Sakura a 80 ans

Plan 75
Chie Hayakawa – 2022

Dans un futur pas si lointain, le gouvernement japonais, pour lutter contre le vieillissement de la population, instaure le « plan 75 » permettant aux personnes âgées atteignant les 75 ans d’avoir, si elles le souhaitent, un droit à l’euthanasie. Michi, une vieillarde ayant atteint cet âge, ne compte pas forcément s’inscrire à ce plan. Mais d’un autre côté, comme tout semble être fait dans cette société pour faire sentir aux séniors qu’ils n’y ont plus leur place…

 

On peut se sentir glacés pour pas mal de raisons, devant Plan 75.

Le sujet, bien sûr, d’autant plus glaçant qu’avec la folie inhérente à notre époque, on se dit que c’est une dystopie qui ne mettrait pas forcément plusieurs centaines d’années avant de se réaliser, loin s’en faut.

Mais aussi cette forme que prend ce Plan 75, avec ses spots publicitaires présentant le choix de départ volontaire comme quelque chose d’épanouissant, la politesse très « papier glacé » de ses employés, enfin l’aspect froid, clinique et inhumain des derniers instants de vie des vieillards qui décident de se rendre dans le bâtiment où on va les euthanasier avant de les incinérer. Je me suis alors souvenir de la fameuse séquence de Soleil Vert où le personnage joué par Edward G. Robinson fait le même choix que Michi. Certes, savoir que l’on était dans une société où le désespoir était tel que les personnes âgées décidaient d’en finir, savoir cela faisait froid dans le dos, mais on ne pouvait dénier à l’euthanasie pratiquée d’avoir de la gueule et, finalement, de témoigner d’une forme de respect envers les futurs défunts. Là, ce n’est pas vraiment le cas. Les vieillards ont comme ultime réconfort de disposer, plusieurs fois dans la semaine, de quinze minutes de discussion téléphonique avec une standardiste de l’entreprise, aumône permettant de les sortir un peu de leur solitude. Michi aura d’ailleurs de la chance, puisque sa voix et sa personnalité toucheront la jeune Yoko qui acceptera la proposition de la vieille femme de se voir « en vrai », dans un bowling, afin de faire davantage connaissance. Ce qui permet de dire que tout n’est pas non plus inhumain dans Plan 75, certains personnages (Yoko, mais aussi Hiromi, employé de Plan 75 tout surpris de voir qu’un vieil oncle à lui s’est inscrit, ou encore Maria, une aide-soignante philippine) apporte leur part d’humanité qui laisse entendre qu’il y a encore un peu d’espoir (ce qui était moins le cas dans Soleil Vert).

Mais personnellement, plus que la froideur du sujet et de ses différents aspects, ce qui m’a surtout glacé est d’avoir Mieko Baisho dans le rôle principal. C’est que lancé que je suis dans la saga Tora-san, le timing n’est pas forcément le plus judicieux. Ça pince méchamment le cœur que de voir celle qui incarna Sakura Kuruma, peut-être l’incarnation cinématographique la plus pure, la plus lumineuse, la plus absolue d’un personnage de sœur, enfoncée dans une effroyable solitude. En la voyant, je me suis dit que Sakura, un peu comme Claire à la fin de Six Feet Under, avait survécu à tous ses proches. À son oncle et à sa tante, à son mari, à son frère et même à son fils Mitsuo. Et, encore plus poignant, à une ère Showa, cristallisée par le quartier de Shibamata, et désormais absente, remplacée par des immeubles aseptisés sans âme que l’on croirait sortis tout droit d’un film de Kiyoshi Kurosawa.

Il serait intéressant de savoir la raison qui a poussé Chie Hayakawa à choisir précisément Baisho pour le rôle. Peut-être y avait-il cette volonté d’offrir à l’actrice un contre-emploi absolu et de donner de la force à son sujet. Mais à trop vouloir jouer la carte de la froideur on court le risque d’empêcher l’émotion. C’est entendu, la Mieko Baisho d’aujourd’hui n’est plus celle de l’ère Tora-san (ou de n’importe quel film de Yamada en dehors de la saga). Et pourtant, il y a ce détail que j’associe à l’actrice, ce sourire si simple, si réconfortant, qui apparaît par exemple quand son frère Tora est espiègle et adorable plutôt qu’orgueilleux et désagréable. Bien entendu, on arguera qu’il n’y a pas vraiment pour son personnage de quoi sourire avec la situation dans laquelle elle se débat. Il n’empêche : j’ai l’impression qu’Hayakawa est gênée aux entournures lorsqu’il s’agit de creuser l’humanité pour y déceler un peu de chaleur. Quand arrive le personnage de Yuumi Kawai (que je retrouve dans une bonne prestation, après avoir été déçu par le drama Extremly Inappopriate et surtout l’épouvantable Desert of Namibia), on croit tenir, enfin, un peu de chaleur qui saura donner, par effet de contraste, plus de force à la fin, que cette dernière soit pessimiste ou non. Hélas, la scène de bowling ne dure que cinq minutes et, parasitée qu’elle est par l’ambiance bruyante, ne permet pas vraiment de créer une quelconque émotion. On veut nous faire croire que le personnage de Kawai est sous le charme de la personnalité de la vieille dame, mais le jeu de Baisho est tellement sous-exploité par les dialogues ou la direction d’acteur, que la chaleur ne dépasse pas une impression de lien éphémère tiédasse.

Après, si le but était de montrer que dans ce monde, la chaleur est condamnée à se limiter à une portion congrue, alors c’est réussi. Mais pour ma part, sur le même thème, je préfère encore prendre une ration de Soleil Vert.

6/10

PS : Petite consolation : se dire que Baisho est en ce moment en train de tourner un film sous la direction… de Yôji Yamada ! Le film s’intitule Tokyo Taxi et proposera Takuya Kimura pour donner la réplique à Baisho.

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2 Commentaires

  1. j’ai bien aimé Plan 75 avec son côté ‘sous le documentaire feutré, l’indicible nous guette’. Pour Yuumi Kawai, on ne la voit pas assez dans des gros rôles je trouve, je l’ai trouvée excellente dans A Girl Named Ann

  2. Je l’ai découverte dans Ann et oui, on sent un potentiel. Sa prestation n’a pas fonctionné avec moi dans Desert of Namibia, mais je suis curieux de voir la suite de sa carrière.

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