The Village (Harakara)
Yôji Yamada – 1975
Rarement vu une affiche vendant si mal une histoire : deux chaumières quelconques, des arbres chétifs et, devant, un champ gorgé d’eau. Le tout avec des couleurs lavasses. Ça n’envoie pas du rêve, mais allez, réssuré par les noms de Yôji Yamade et de Chieko Baisho dans le rôle principal, j’ai chaussé mes bottes pour m’aventurer dans le lisier et, franchement, aucun regret, tant le film est un émerveillement. L’histoire :
N’attendez pas une pléthore de péripéties. Ici, il n’y aura pas une histoire d’amour entre l’un des acteurs de la troupe et l’une des filles de l’amicale des jeunes, ou bien un incident technique pouvant ruiner la représentation tant attendue. Il y a bien des réticences, des incertitudes, quelques frictions avec des proches (le président de l’association, jeune fermier travaillant avec son frère aîné et qui se demande s’il doit continuer ainsi ou ne pas partir à la ville), mais tout cela suit un cours assez tranquille, finalement comme dans un épisode de Tora-san, ou bien un film d’Ozu. Cette prestigieuse comparaison s’impose complétement tant Yamada peut apparaître à cette époque comme une sorte d’héritier dans sa capacité à faire vibrer l’humain à travers de petites choses de la vie. Avec pour différence que si Ozu faisait dans la retenue, le statisme au ras des tatamis, Yamada est davantage dans l’agitation et le mouvement. Torajirô est un marcheur, tout comme l’est Konno, sémillant petit bout de femme qui crapahute pour accéder à des trous perdus et communiquer sa joie et son optimisme. Ici, autant le dire : Saku… pardon, Chieko Baisho défonce tout. On retrouve la gentillesse de Sakura, mais avec peut-être davantage d’espièglerie. C‘est un vrai bonheur d’assister à ces scènes, tout comme le permettent celles avec les autres personnages.
Ainsi les jeunes de l’amicale. Dès les premières scènes, difficile de ne pas les trouver sympathiques, de ne pas les aimer. Avec quelques coups de pinceau, Yamada parvient à esquisser le caractère de chacun et il suffit d’une demi-heure pour bien les connaître et créer un effet d’attente par rapport aux questions qui taraudent certains d’entre eux. Car il ne s’agit pas seulement de savoir s’ils seront capables de permettre au spectacle d’avoir lieu. Pour certains d’entre eux se pose tout simplement la question de ce que peut être le bonheur : rester dans le village natal, devenir un fermier, ou bien monter à la ville quitte à vivoter avec un petit boulot ? A la fin du film, il ne fera pas de doute que c’est surtout la première proposition qui prévaudra, ce qui ne signifie pas pour autant que la deuxième sera critiquée. Peintre de son époque, Yamada traque avant tout l’humain et ses facettes positives, et que son environnement soit rural ou urbain ne change rien.
On est donc captivé et positivement charmé par la douce fébrilité qui habitent ces jeunes pour se donner un but, quitter une vie un peu stagnante, et proposer à l’ensemble du village un spectacle qui sera un reflet de leur condition. Entassés dans le gymnase d’un collège, sept-cent personnes assistent à une comédie musicale, riant et pleurant devant des situations trouvant un écho dans leur vie ou dans celle de proches. Surprise ! Parmi ces spectateurs, ce type :

On a pu parfois critiquer Yamada de sentimentalisme. Mais tout dépend aussi de sens que l’on accorde au mot, si on lui assigne ou non une charge péjorative. Si l’on considère qu’il s’agit juste d’accorder une place aux sentiments, alors oui, Yamada fait dans le sentimentalisme. Mais, ma foi, quand un réalisateur parvient à proposer une galerie de spécimens humains avec autant de facilité et de profondeur, je dois dire que, pour ma part, j’en redemande.
8/10