Tora-san 11
C’est dur d’être un homme : Élégie du vagabondage (Otoko wa tsurai yo: Torajirō wasurenagusa)
Yôji Yamada – 1973
Splendide épisode, difficile de dire autrement. D’abord parce qu’on y trouve tous les ingrédients que le spectateur, devenu un habitué après être arrivé à plus de dix films, espère retrouver : Chishu Ryû dans le rôle du prêtre, le personnage de Gen, le poulpe, une dispute familiale et Sakura qui, à un moment ou à un autre, va verser des larmes. Très important ce dernier point, véritablement, un Tora-san ne serait pas complétement un Tora-san sans quelques larmes de Chieko Baishô. Torajiro livre sinon son habituelle palette, tour à tour drôle, pathétique ou insupportable.
Mais le plus important dans cet épisode est sans doute la madone, Lily, chanteuse itinérante sans le sou incarné par Ruriko Asaoka. L’actrice chanteuse a déjà une bonne carrière derrière elle (elle a 33 ans au moment du tournage), elle a joué dans plus de cinquante film (largement) et est donc une actrice expérimentée. Et c’est ce qu’il fallait pour incarner ce personnage de chanteuse de cabaret à la fois joyeuse et mélancolique, solitaire, faite pour rencontrer Tora et s’prendre de lui. D’apparence magnifique (après, c’est le lot de toutes les madones de la série, mais autant certaines deviennent oubliables au fil des visionnages, autant on sent que Lily, on ne l’oubliera pas), elle est le parfait contre-point à Torajirô et sa gueule carrée. Mais c’est justement ce contraste qui rend le couple assez magnétique et qui expliquera pourquoi il séduira le public au point que le Lily apparaîtra dans quatre autres épisodes.
Évidemment, ce sera de nouveau une histoire d’amour malheureuse, Lily se mariera à la fin avec un restaurateur tenant un petit resto de sushi. Mais toujours on retrouve cette habileté à éviter une impression de déjà-vu en jouant sur les circonstances de la séparation avec Tora. Quand on voit Lily radiner au magasin Kuruma en pleine nuit, passablement torchée (on comprend qu’une de ses prestations musicales s’est mal passée et qu’elle a été virée) avant de repartir, furieuse, en disant à Tora qu’elle le déteste, on se dit qu’elle est de la même eau que lui, que sa grossière maladresse, eh bien c’est du Tora tout craché et qu’ils sont vraiment faits pour vivre et panser leurs plaies ensemble.
Plaies d’autant plus vives chez Lily que, contrairement à Tora, elle n’a pas la chance de vivre dans une famille aimante. Évoquant le thème de la pauvreté, le film donne à voir deux aspects de cette vie. L’une à Hokkaido, dans une famille d’agriculteurs où Tora va travailler (enfin, essayer de travailler). Vie d’ailleurs davantage frugale que pauvre. L’autre à Tokyo, dans un quartier misérable, bruyant, pollué et avec des enfants livrés à eux-mêmes et n’allant pas à l’école (par contraste, Mitsuo a tout de l’enfant choyé et équilibré). L’aspect social, souvent en arrière-plan lors des ouvertures, est ici plus marqué, plus poignant, avec notamment ce désir de Sakura de posséder un piano, désir impossible compte tenu des revenus de sa famille.
Le tout porté par la photographie toujours magique de Tetsuo Takaha, le photographe qui a accompagné Yamada dans tous ses films. Il y aurait d’ailleurs un chouette photobook à faire, photobook qui serait constitué de ces plans restituant les détails d’une vie de quartier ou d’un village rural, parfaits instantanés de la vie japonaise, tant traditionnelle que moderne, et inscrite dans une époque donnée.
À travers les objets, comme ici les affiches de cinéma à l’arrière-plan
8/10