Début d’un long chemin

C’est dur d’être un homme (Otoko wa tsurai yo)
Yoji Yamada – 1969

Quel est le point commun entre Torajirô Kuruma et Sherlock Holmes ? Tous deux ont été tués par leurs créateurs, suscitant la colère d’admirateurs qui ont alors exigé qu’ils ressuscitent, chose qui advint, après un long moment pour Sherlock Holmes, bien plus rapidement pour Torajirô (juste quelques mois).

C’est en effet au dernier épisode d’une série diffusée sur Fuji-Tv du 3 octobre 1968 au 27 mars 1969 que Torajirô meurt d’une morsure… de habu. Pressentant l’erreur scénaristique qui tue un personnage avec un sacré potentiel, Yamada parvient à convaincre la Shôchiku de faire un reboot. D’abord pas convaincue à l’idée d’entreprendre un film avec un personnage de série TV, la société de production finit par accepter. Dès le générique, la nouvelle situation est annoncée en voix off par Torajirô lui-même : à ses quatorze ans, après une violente dispute avec son père, il a fui le domicile familial et revient vingt ans après. Entretemps ses parents et son frère sont morts, seule subsiste sa sœur Sakura qui vit auprès de son oncle et sa tante. C’est le début de la plus longue saga de l’histoire du cinéma.

Pour qui, comme moi, a déjà un peu exploré cette saga en piochant vers des épisodes postérieurs, commencer par le premier opus n’a rien de déroutant. On sent que tout le monde est déjà bien dans la peau de son personnage, pour certain bien entraînés par la série TV (on retrouve Shin Morikawa dans le rôle de l’oncle), les petits nouveaux — qui ne savent pas encore qu’ils en ont pour plusieurs dizaines de films avec leurs personnages — déjà au diapason (Chieko Baisho dans le rôle de Sakura, Chieko Misaki dans celui de la tante).

Scénaristiquement, on commence d’emblée avec tout de même un gros morceau : les premières amours entre Sakura et Hiroshi, amours qui vont déboucher sur un mariage et une excellente scène de repas avec, dans le rôle du père d’Hiroshi, le kurosawaesque Takeshi Shimura qui, le temps d’une réplique, fera pleurer tout le monde.

Mais la star reste évidemment Kiyoshi Atsumi qui, dans le rôle de Torajirô, montre une grande palette de sentiments. Son personnage est parfois bien antipathique (cf. la gigantesque mornifle qu’il ose donner à Sakura – je me demande si ce n’est pas la seule fois d’ailleurs où il porte la main sur elle, ce sera à vérifier) mais en réalité, c’est un amalgame de facettes qui le rendent immédiatement attachant. Sur le plan vestimentaire, s’il ouvre le film affublé d’un costume classique, il le termine avec ses vêtements iconiques, notamment son harakami (ceinture de laine associée aux gens du peuple).

À noter que le premier film ne s’ouvre pas sur la traditionnelle séquence du rêve. En revanche, on a déjà l’habituelle « madone », ici rien moins que la délicieuse fille du prêtre du quartier (déjà interprété par Chishû Ryû), la merveilleuse Fuyuko (Sachiko Mitsumoto). Evidemment, ça se terminera par une déconvenue sentimentale pour Torajirô. Tiens ! C’est d’ailleurs à se demander si toutes celles à venir n’auraient pas pour origine une malédiction liée à la gifle donnée à Sakura qui, elle, a su obtenir dès le premier épisode la récompense du mariage. Dans tous les cas, l’association avec Gin Maeda dans le rôle du mari est parfaite. Là aussi, quand on y songe, la distribution est assez miraculeuse (et ne pas oublier non plus Umetarô Katsura dans le rôle de Hisao Dazai (aka « le Poulpe », le voisin imprimeur).

Bref, ce premier épisode est une réussite. Pas de rodage, il a été fait avec la série TV, l’univers est déjà bien campé (n’oublions pas la musique de Naozumi Yamamoto) et ne demande qu’à évoluer avec les personnages et la société. Le film fera 543000 entrée, ce qui sera un score décent. Il faudra attendre encore quelques films pour que Tora san devienne un phénomène cinématographique et un véritable marqueur culturel.

 

 

 

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