La Cigale, ayant joué à Dragon Quest tout l’été…

Life Finds A Way (Futsu wa Hashiridasu)
Hirobumi Watanabe – 2018

 

Que voilà une sympathique découverte ! Cela faisait un bout de temps que j’avais repéré les affiches à la fois colorées et monochromes des films de Hirobumi Watanabe, sans avoir essayé d’en voir un. J’ai rectifié cela hier, un peu au hasard, en choisissant ce Life Winds A Way : excellente pioche ! À tel point que je vais m’empresser d’explorer davantage sa filmo.

Avec Life Finds A Way, on est dans l’autoportrait fictif. Watanabe est dans son rôle, celui du réalisateur Watanabe cogitant à un nouveau projet dans sa modeste bicoque dans la préfecture de Tochigi. Très vite, on comprend à quel animal on a affaire : lors d’une discussion (enfin, plutôt un monologue) dans une voiture conduite par son pote Hirosaki, Watanabe explique sa surprise de voir qu’en France, on accorde plus de valeur à la Cigale qu’à la Fourmi dans la fable alors qu’au Japon, ce pays de workaholics, c’est plutôt l’inverse. Pour lui, pas de doute, ce sont les Français qui ont raison. La Cigale est la gentille, elle est la créatrice qui procure du divertissement aux autres, comme lui, elle doit donc être choyée (et financée sans réserve par de généreux donateurs). Le problème est, qu’en fait de cigale, Watanabe tient davantage de la larve :

Vous vous dites peut-être que le film va receler de scènes le montrant en train de bâtir un nouveau projet, de discuter fiévreusement avec des membres de son équipe ? Que nenni ! Quand on l’entend converser avec son producteur au téléphone, c’est pour dire qu’il est en train de jouer à un Dragon Quest sur sa Nintendo DS, installé tranquillou dans un café :

Même chose quand il converse avec Bang Woohyun, son photographe : c’est le début de la Coupe du Monde et ça n’arrive qu’une fois tous les quatre ans ! Franchement, qui serait assez fou pour bosser sérieusement ? Bref, Watanabe, c’est tout un art de la procrastination. Il y a un peu en lui de l’anti-héros à la Gaston Lagaffe. Une vie au jour le jour, avec des bribes de projet et de grandes envolées existentielles, mais surtout des envies de sieste, de jeux vidéo, de matages de matchs de foot à la téloche dans son salon bordélique à souhait et au milieu duquel trône sa vieille grand-mère qui doit bien être centenaire.

Ajoutons à cela un tempérament terriblement enfantin. Pêcher des écrevisses avec sa petite nièce, il sait faire. Tout comme lire (et s’esclaffer bruyamment) dans la section de sa médiathèque réservée aux enfants. Tout comme se tordre dans tous les sens pour éviter la fraise de sa dentiste (qui d’ailleurs perd patience et lui ordonne d’agir avec plus de maturité). Associée au noir et blanc et aux considérations artistiques fumeuses de Watanabe, cette immaturité fait fortement songer à Clerks, de Kevin Smith. Le trash en moins tout de même. Ici, pas de conversation axée cul. On ne saura rien sur la vie sexuelle de Watanabe probablement parce qu’il n’y a rien à dire. Assez significativement, dès qu’il sort de sa maison où se trouve sa grand-mère parcheminée, il ne cesse de croiser des femmes qui attirent franchement le regard. Franchement, si ma dentiste était comme la sienne, je ferais limite exprès d’avoir une dentition pourrie pour la voir plus souvent à son cabinet ! Même chose pour sa généraliste, l’employée de la médiathèque ou la serveuse de son café préféré. Mais affublé de ses sandales, de son bide, de son maillot de foot de l’équipe du Japon et surtout de son caractère enfantin, c’est évidemment un peu chaud pour lever de la bijin.

Tout semble donc partir à vau-l’eau dans la vie de Watanabe, même si c’est un à vau-l’eau pleinement négocié et consenti. Il n’empêche qu’il n’est pas sans connaître des doutes et des affres liés à son statut de « cigale ». Il y a ainsi une lettre que l’on croit d’abord être une lettre de fan, mais qui est en fait écrite par une femme dégoûtée à l’idée qu’un type comme lui continue de faire des films sans intérêts. Dans la médiathèque, son ami Hirosaki lui montre maladroitement une critique d’un de ses films dans une revue. Pas de chance, c’est une critique incendiaire, ce qui ulcère Watanabe et le lance sur une diatribe anti-critiques. Quant à obtenir un financement pour son prochain film sur les Triple Fire (groupe de rock indé japonais qui fournit d’ailleurs l’OST du film : là aussi, cela m’a rappelé Clerks), il peut s’asseoir dessus, à voir le fou rire de la secrétaire proche du gus (le maire d’Otawara ? un entrepreneur ? on ne le saura pas) que Watanabe vient voir (évidemment vêtu de son maillot de foot) pour lui demander un financement (carrément deux millions de yens, tant qu’à faire).

Bref, l’insouciance existentielle se fissure peu à peu, et s’aggrave dans un segment assez inattendu, avec des interviews des personnages féminins rencontrés (sur leurs films et acteurs préférés, leur perception du cinéma), avant que l’interview ne s’inverse pour questionner le positionnement de Watanabe. C’est alors la panique, la fuite en avant dans une courte séquence expérimentale (utilisant une version live d’On The Run, de Pink Floyd : Watanabe semble avoir des goûts assez sûrs pour ce qui est de la musique, et ses posts sur Instagram me le confirment) à l’issue de laquelle Watanabe rencontrera et discutera brièvement avec le petit garçon qu’il était autrefois. S’il retrouvera une certaine quiétude, la rencontre ne le transformera pas pour autant en une fourmi travailleuse (chose amusante : à la médiathèque l’employée lui dit qu’il a oublié de rendre quatre DVD. Il s’agit de quatre Tora-san : si Watanabe a certainement des points communs avec Torajirô, il n’en est rien concernant d’éventuels liens avec Yamada, ce stakhanoviste de la caméra). Il continuera à pêcher des écrevisses avec sa nièce, à mater des matchs, à jouer à des jeux vidéo plutôt que de travailler sérieusement. Mais alors que retentit à la fin 普通は走り出す des Triple Fire (à noter que toutes les chansons sont sous-titrées, ce qui est une bonne chose tant elles constituent souvent un écho comique au quotidien de Watanabe), on se sent rassuré puisque, après tout, c’est bien le privilège de la cigale que d’être une indécrottable feignasse.

8/10

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