Mauvaise herbe

Shiori, adolescente fugueuse, utilise des applications pour rencontrer de bonnes âmes acceptant de l’héberger, bonnes âmes ayant souvent l’apparence d’hommes solitaires faussement bienveillants et pas forcément réfractaires à l’idées de mettre une mineure dans leur lit. Mais heureusement pour elle, elle croise un jour la route de Yamada, un officier de police qui ne peut s’empêcher de superposer à Shiori l’image de sa fille décédée. Il la recueille chez lui pour permettre à Shiri de retrouver un nouvel élan…

Publié chez le Lézard Noir, Mauvaise Herbe (Nora to Zasshô) est le premier manga de Keigo Shinzô que je lis. Ne pas se fier au trait rond et rassurant, on est bien face à un seinen, pas non plus aussi glauque qu’un tome d’Ushijima, mais quand même : détournements de mineur, suicide, assassinat, décapitation, harcèlement scolaire, mère en cloque abandonnée par son compagnon, l’univers de Mauvaise Herbe est loin de rayonner d’une lumière paisible. Mais c’est justement ce contraste entre le joli trait et les thématiques sombres qui fascine et incite à s’enquiller vite fait les quatre volumes, saisi aussi que l’on est par l’improbable duo entre la fugueuse et le flic.

Et puis, comme je parle d’Ushijima, je dois dire aussi que ça fait plaisir de voir restitués des décors précis sans tombant pour autant dans un ultra-réalisme photoshopé à la longue lassant (même grief envers Hiroya Oku). Après le sublime Tokyo, ces jours-ci de Matsumoto, je poursuis une errance (moins glauque et dangereuse que celle de Shiori) dans un Japon dessiné sentant bons les outils traditionnels, me donnant envie de m’attarder sur chaque case, et c’est très bien ainsi.

En revanche, le plaisir de lecture a été quelque peu malmené par la traduction d’Aurélien Estager qui a usé et abusé d’un langage familier très « djeuns d’aujourd’hui ». Rien à dire quand il s’attaque à des dialogues de la vie courante, mais dès qu’il s’essaye au registre familier, c’est l’horreur. « Grave mieux », « michto », « de ouf ! », perso j’ai trouvé qu’il fallait surtout avoir le coeur bien accroché pour lire ces expressions plutôt que d’assister aux affres de Shiori. Le genre de dialogues qui paraîtra terriblement démodé dans quelques années. Mieux vaut chercher (à mon sens) une familiarité de ton plus passe-partout, plus atemporelle.

En tout cas, probable que j’enchaîne prochainement avec Tokyo Alien Bros., du même Shinzô dont on espère que le traitement, au moment de la publication de Mauvaise Herbe, pour un lymphome malin, n’a pas été suivi de fâcheuses conséquences sur sa créativité. Apparemment, la publication d’Hirayasumi, son dernier manga, suit son cours. Tant mieux, c’est le genre de mangaka qui, au sein d’une industrie où il faut parfois tailler à la machette pour découvrir des titres valables, apparaît comme une perle précieuse.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.