Shiawase no Kiiroi Hankachi, Le Mouchoir Jaune, de Yoji Yamada

Yoji Yamada est connu pour être l’immortel réalisateur de la série des « Tora san ». Je ne pense pas me tromper en affirmant qu’il s’agit de la plus longue série de films portée à l’écran. Commencée en 1969, elle s’est achevée en 1995 avec un 48è opus dans lequel l’acteur légendaire Atsumi Kiyoshi a pour la dernière fois (il s’est éteint l’année suivante) endossé le rôle de son sympathique personnage de vaganbond au grand coeur.

48 films… on pourrait se dire que Yoji Yamada a pu parfois se sentir étouffé par le personnage de Tora san, un peu comme un Conan Doyle avec son Sherlock Holmes. Pourtant, on peut aussi se dire qu’il y a sans doute trouvé son compte. Pas tant au niveau lucratif, plutôt d’un point de vue artistique. Je connais très mal la série des Tora san, mais lorsque je vois un film comme le Mouchoir Jaune, les rapports humains qui y sont présentés, la légèreté et la tendresse qui s’en dégagent, pas si différent en cela qu’un film avec Tora san, je me dis que Yoji Yamada est un peu, à la manière d’un Ozu ou d’un Ford, de ces cinéastes qui aiment à faire en apparence le même film, mais en jouant de multiples petites variations. On est devant un film de Yoji Yamada comme devant un western de l’âge d’or d’Hollywood : en terrain connu, pour notre plus grand plaisir.

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Le Mouchoir Jaune est sorti en 1977 et fait partie de ces quelques films que Yamada a intercalé au milieu de plusieurs épisodes de Tora san. Quand il commence à tourner ce film, il vient d’achever le 19è épisode de Tora san et, on s’en doute, avec déjà autant de films consacrés à ce personnage, on est devant le même type de phénomène cinématographique que Godzilla. Je viens de faire un parallèle avec Conan Doyle qui pestait contre le côté envahissant de son personnage, considérant que sa seule véritable littérature était ses romans historiques, malheureusement totalement dans l’ombre des histoires avec Sherlock Holmes. On pourrait penser que les films de Yamada en dehors de la production torasanesque aient connu le même sort. Il n’en a rien été, en tout cas en ce qui concerne le Mouchoir Jaune, film ayant eu un incroyable succès critique et populaire, qui perdure encore à notre époque (la prison d’où sort le personnage principal, fermée depuis 1984, est maintenant un point d’attraction artistique très photographié des badauds).

 

L’histoire est assez simple : un jeune homme, Kinya, rencontre par hasard une jeune femme réservée, Akemi. Devant se rendre tous les deux à Hokkaido, Kinya lui propose de l’emmener en voiture. Le jeune homme, exubérant et chaleureux, parvient peu à peu à faire fondre la glace et une certaine complicité commence alors à s’installer. C’est alors qu’ils rencontrent Yusaku Shima. Au moment de leur rencontre, ils ne le savant pas encore, Yusaku est un ancien détenu. Sortant tout juste de prison après avoir purgé une peine de six ans pour meurtre, il s’apprête, non sans hésitation, à retrouver sa femme. Les deux jeunes gens proposent à cet homme mystérieux, taciturne mais fascinant, de les accompagner. Le film suivra donc leur périple sur les routes d’Hokkaido jusqu’à la révélation du passé de Yusaku et à la réponse à cette épineuse question : son ex-femme (avant d’aller en prison, il lui a lui-même demandé de divorcer afin de refaire sa vie) vit-elle avec quelqu’un et, si non, souhaite-t-elle reprendre sa vie avec lui ?.

Le Mouchoir Jaune est donc un road movie, mais un road movie qui brille finalement par une quasi absence de péripéties. Tout au plus une rapide bagarre avec un Yakuza et une touchante arrestation (sans gravité) de Yusaku (au cours de laquelle, d’ailleurs, on retrouvera Atsumi Kiyoshi non pas jouant Tora san mais incarnant un flic au grand coeur – on ne se refait pas -), et c’est tout. A côté de ces deux scènes, citons aussi des petits accrocs qui viennent distendre ou renforcer les rapports entre les personnages. Ainsi Kinya, amoureux d’Akemi, a du mal à réguler ses sentiments pour elle et est par deux fois à deux doigts de la violer. C’est un couple en devenir, on se doute que finalement ils sont faits pour être ensemble, mais avec l’attitude de Kinya rien n’est gagné. La situation entre les deux jeunes gens est donc « distendue », mais débouche sur un autre accroc, cette fois-ci profitable : agacé par l’attitude de Kinya, Yusaku lui fait la leçon dans une scène formidable où il lui apprend que les femmes sont des être fragiles, comme des fleurs, et que le rôle des hommes est de les protéger. Kinya l’écoute, tête baissée, subjugué par cette leçon de vie dispensé par un Yusaku autoritaire. Il n’y aura plus de nouvelle tentative de viol…

Evidemment, cela fait sourire, et pourtant, cette naïveté pleine de fraîcheur, dite par cet ancien taulard incarné par Ken Takahata, paraît alors admirable. Ceci m’amène à évoquer le ton du film. On l’aura compris, le Mouchoir Jaune n’est pas vraiment un road movie poisseux, glauque, violent. Mais nous ne sommes pas non plus dans un univers acidulé dans lequel « tout le monde il est gentil ». Ainsi Kinya donc qui, même si cela apparaît comme une bouffonnerie tant le personnage a un côté ado attardé, fait preuve d’une certaine violence sexuelle envers Akemi. Ainsi ce yakuza qui frappe Kinya avant de se faire lui-même violemment botter le cul par Yusaku. Ainsi, surtout, Yusaku dont le meurtre accidentel du malfrat qui lui a valu quatre années à l’ombre, est montré au spectateur dans toute sa sauvagerie. C’est un univers finalement où les personnages (essentiellement masculins d’ailleurs) ne sont pas à l’abri d’un dérapage. Mais c’est aussi un monde où chacun peut facilement avoir une deuxième chance, un nouveau départ. Akemi, malgré l’attitude de Kinya, lui reste attachée, ne cherche pas à s’en éloigner, semble au contraire favoriser un rapprochement.  Quant à Yusaku, malgré la révélation de son passé, il est tout surpris, à la sortie du poste de police, de voir que ses deux compagnons de route l’attendent pour continuer ensemble leur route. Qu’ils cohabitent dans la même voiture avec un meurtrier n’a aucune espèce d’importance : ils ont bien vu qu’il était un type bien, pourquoi dès lors ne pas continuer avec lui ? En revanche, reste une contradiction entre le passé et le présent du personnage qui reste à élucider. La dernière partie du film est une sorte de thérapie, une suite de questions posées pour lui permettre de dépasser sa chute passée et mieux négocier son nouveau départ présent.

Il y arrivera, et cela avec facilité. C’est un autre aspect fascinant du film : nous sommes dans un univers où tout semble en effet facile. En dix minutes seulement, le spectateur assiste au regroupement improbable dans une petite Mazda rouge d’un jeune homme exubérant, d’une vendeuse de bento dans les trains et d’un quadragénaire sortant de prison. Improbable mais vrai ! Et cela ne choque pas plus que cela. Le jeu des acteurs, la mise en scène et la patine que le temps a donné à ces images filmées durant les années 70 n’y sont pas étrangers. Du coup regarder un film De Yoji Yamada semble aussi facile que de rouler sur les routes d’Hokkaido à bord d’une Mazda rouge. C’est confortable, on goûte des bons sentiments mais sans avoir honte de cela. On nage dans un pathos qui sait faire dans la mesure, qui nuance. Du coup, on est un peu comme le quatrième passager de la voiture. Entourés de trois amis aux personnalités dissemblables mais complémentaires, on n’a plus qu’à apprécier leur évolution et les beaux paysages d’Hokkaido qui accompagnent ces deux heures de pur bonheur.

Le DVD Japonais, contrairement au DVD hongkongais, ne présente pas de sous-titres anglais. Il possède en revanche deux courts documentaires intéressants et nostalgiques. L’un insiste sur le phénomène « mouchoir jaune ». La maison de la femme de Yusaku est maintenant une sorte de lieu touristique. Les murs à l’intérieur sont une sorte de gigantesque livre d’or sur lesquels les touristes peuvent punaiser des petits papiers, évidemment de couleur jaune, sur lesquels ils écrivent quelques mots de remerciement attendris au réalisateur. La Mazda rouge trône évidemment au milieu de ce sympathique petit culte. Un autre documentaire nous fait un parallèle, en utilisant un split screen, entre les images des  routes d’Hokkaido que l’on aperçoit dans le film, et celles des mêmes routes, mais à notre époque. L’intérêt est un peu limité pour un français, mais ce type de nostalgie donne une idée de l’impact visuel que ce film a pu avoir dans l’imaginaire collectif  japonais.

8/10

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