Le tueur, l’enfant et la toxico

Long est un redoutable tueur professionnel taïwanais. Il doit se rendre un jour au Japon pour exécuter un mafieux. Malheureusement, l’entreprise ne se passe pas comme prévu et blessé, dépouillé de son passeport, Long doit prendre son mal en patience avant de retourner à Taïwan. Se terrant en attendant des jours meilleurs dans un quartier désaffecté d’une petite ville, il fait la connaissance d’un jeune garçon qui le prend en sympathie. Mieux, des bonnes gens d’un quartier populaire à proximité décident d’aider cet homme mystérieux qui ne parlent pas leur langue mais qui sait concocter de merveilleux plats. A cela s’ajoute la mère du petit garçon, une prostituée toxicomane, qui refait surface et semble reprendre sa vie en main…

 

Mr. Long (ミスター・ロン)
Sabu – 2017

Je n’ai pas vu le précédent film de Sabu, Chasuke’s Journey, m’étant arrêté à son précédent Miss Zombie, et ayant découvert depuis Dead Run, sorti en 2005. C’est peut-être avec ce dernier que Mr Long a le plus d’accointances. On y retrouve cette vision d’un Japon pauvre et désaffecté, ce goût pour un héros maudit ayant du mal à s’extraire de son funeste passé, ainsi que la présence de bons samaritains qui vont aider le héros. Qui aura vu Dead Run, aura donc l’impression d’un air de déjà vu mais qui ne sera pas forcément préjudiciable puisque le film se démarque en empruntant une autre influence, celle des films de Kitano.

En effet, si le réalisateur de Sonatine désole par son absence depuis pas mal d’années (en espérant que cette absence ne soit pas définitive), on peut toujours se consoler en se disant que finalement, il y a eu Sabu pour combler un peu cette attente avec un film qui évoque aussi bien Sonatine que Hana Bi ou l’Eté de Kikujiro. D’abord à cause du personnage principal, ce Mr Long interprété par l’acteur chinois Chang Chen. Il est impitoyable, mutique, inexpressif, et fera aussi bien penser à nombre de personnages joués par Eastwood qu’aux personnages de flics et de yakuzas incarnés par Kitano. S’il n’est pas non plus invulnérable (l’homme sans nom d’Eastwood et les personnages de Kitano se prenaient eux aussi parfois des coups), il dégage une force qui, lorsqu’elle éclate, stupéfait par sa violence sèche et brutale. Le spectateur en aura d’ailleurs un aperçu dès la scène d’ouverture.

Après, ce n’est pas non plus un Golgo 13 tant il semble se détacher de ses activités de tueur. On retrouve ici l’errance ludique de Sonatine avec sa galerie de mafieux s’adonnant aux plaisirs des jeux de plage. Long n’ira pas à la plage mais au onsen avec sa nouvelle famille, le petit gamin, Jun, et sa maman en pleine rédemption, elle aussi déracinée (elle est chinoise) et indiscutablement la meilleure candidate pour une histoire d’amour que l’on espère pour ces trois personnages en quête d’heureuse stabilité. Dans le onsen, ils se baigneront, apprendront l’art de la poterie, mangeront de succulents plats, s’amuseront bref, prendront enfin le temps de vivre pleinement. Et hors du onsen, ce sera la même chose. La maman ex-pute et toxico, forcément un peu mise à l’écart, parviendra à créer un tissu social en fréquentant les excellentes gens qui ont pris Long sous leur coupe et qui ont incité ce dernier à utiliser ses talents culinaires sous la forme d’une échoppe de nouilles ambulante. Jun et sa maman seront de ses voyages dans la ville pour gagner sa vie, et y prendront plaisir. A cet instant Long n’est plus un tueur mais un marchand qui a été, dans un passé lointain, voire très lointain, un tueur.

Evidemment, comme pour Sonatine, le spectateur se doute que cet oubli de son passé n’est que momentané, que ce dernier refera surface à la fin dans un climax hyper-violent. Mais en attendant cela, le film baigne dans une sorte d’enchantement permanent qui n’est pas sans rappeler celui de L’Été de Kikujiro., en évoquant la relation entre l’ex-yakuza interprété par Kitano (Kikujiro) et l’enfant, Masao. Dans ce film, le vieux voyou était la tutelle magique qui, tout en menant le garçon à une révélation malheureuse (la découverte que sa mère a refait sa vie ailleurs), allait lui faire vivre un périple enchanteur fait de facéties, de jeux et de rencontres inoubliables. Dans le film de Sabu, Long comprend très vite la sinistre situation dans laquelle se trouve Jun, avec une mère aux abonnées absentes et camée jusqu’aux yeux. Contrairement à Kikujiro, il agira directement pour remettre la mère dans le droit chemin. Et s’il n’est pas aussi gouailleur que le personnage de Kitano, loin d’en faut, il possède un soupçon d’étrangeté comique (le T-shirt Perfume) qui le rend attirant aux yeux de l’enfant qui sera volontiers de l’aventure quand il s’agira de l’accompagner à des kilomètres avec son échoppe ambulante.

Mr Long en plein travail, sous le regard bienveillants, à gauche et à droite, de ses bons Samaritains.

Surtout, il y aura les rencontres qui vont permettre de compenser l’absence de chaleur de Long. Il s’agit de ce groupe de japonais, artisans ou ménagères, qui s’amourachent de cet étrange Taïwanais et qui font tout, absolument tout, pour l’aider à se remettre en selle. Il a besoin de nourriture pour préparer ses plats ? On lui apporte illico des kilos de viande ou de poisson. Il vit dans un taudis sans électricité ? Banco ! Tout le monde débarque pour faire des réparations, nettoyer et installer l’électricité, tout cela gratos. Ce ne sont pas les fées de La Belle au bois dormant ou la marraine de Cendrillon, mais ce n’est pas loin tant cette générosité paraît merveilleuse. Et pas de citrouille transformée en carrosse, mais une échoppe à roulettes qui va permettre à Long d’être le dieu de la nouille à l’endroit qu’il a choisi de se poster, juste à côté d’un temple, à des années lumières des rues dangereuses et néonisées de son Taïwan professionnel. Toujours en rapport avec Kikujiro, on retrouve aussi comme un écho avec la représentation théâtrale à laquelle participent ces personnes. Ils y interprètent des malfrats comiques, moyen de supplanter le réel tragique du trio (Long, Jun et sa mère), tout comme Masao, dans Kikujiro, revoyait en rêve toutes ses rencontres affublées de costumes de théâtre. Bref, les scènes avec ces excellentes gens agissent comme un baume salvateur dans les âmes de Long, de Jun, puis de sa mère, et vont donner lieu à de beaux passages dans lesquels Sabu parvient parfaitement à restituer d’un bonheur à la fois simple et hors du temps, comme lors de ce plan où la mère, après avoir terminé son sevrage, regarde tranquillement son enfant dormir :

Quant à Long, économisant chaque sou pour payer son retour à Taïwan prévu à une date précise, il préférera sauter le pas du bonheur familial du vendeur de nouilles même si, on l’a dit, le bonheur ne sera pas fait pour durer dans ce film. Après l’échec de Long lors de sa mission au Japon au début du film, on se doute que cet échec resurgira à un moment, comme on se doute que le maquereau qui a camé la mère de Jun reviendra lui aussi la persécuter.

A ce moment, on quittera L’Eté de Kikujiro pour revenir aux atmosphères de Sonatine et de Hana Bi, mais aussi à celles plus surréalistes des premiers films de Sabu. Ainsi la confrontation finale entre Long et tous les yakuzas, course improbable vers la boucherie qui m’a fait penser à tous ces héros de la filmo de Sabu qui se mettent à courir (Dead Run, Dangan Runner). Le film laissera au spectateur une ultime surprise. Certains ne l’ont pas aimé, la trouvant déplacée car très improbable, forcée. Mais ce serait oublier que le film avait déjà largement baigné dans une atmosphère improbable. Et là aussi, difficile de ne pas songer à un certain film de Kitano (ne disons pas lequel pour ménager la surprise). Sans doute un des tout meilleurs films de Sabu.

8/10

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