Miss Zombie (Sabu – 2013)

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Première et sans doute unique critique d’un film de zombies sur Bulles de Japon. Pas non plus que je déteste le genre, certaines perles valent assurément le détour, à commencer par le chef d’œuvre fondateur de Romero mais après, malgré la capacité de ces films à y associer une métaphore plus ou moins ancrée dans son époque (le zombie comme reflet du consumérisme, le zombie comme symbole d’une pauvreté galopante, etc), il faut quand même bien se les farcir hein, ces histoires où de paisibles citoyens doivent slalomer entre des créatures putrescentes allant à deux à l’heure. Et c’est la même chose dans ces productions plus récentes (World War Z) où les zombies sont tout à coup plus véloces. Surenchère dans le nombre, surenchère dans la rapidité, pas toujours évident de rester éveiller jusqu’au bout de ces métrages. Walking Dead ? Assurément la série mérite un accessit mais je ne puis pleinement me prononcer puisque j’ai abandonné la série au milieu de la deusième saison, sentant que le jeu n’allait pas non plus valoir le visionnage de plusieurs saisons.

Pour ce qui est du Japon, c’est à peine différent. Certes, les affiches sont prometteuses :

rape zombi - lust of the dead

Et le contenu en apparence bien bidonnant :

zombie érection

D’après vous que va-t-il se passer avec l’infirmière à l’arrière-plan ?

Mais il en va de ces films comme des habituelle zèderies peuplées de filles à gros seins et armées jusqu’aux dents auxquelles le direct-to-video japonais nous a habitués depuis des lustres. Marrant cinq minutes, au-delà, n’en jetez plus, la bijin est pleine (de ce que vous voulez) ! Bref, pour moi, encore une fois malgré le côté « miroir de son époque », le film de zombie, en dehors de la Nuit des Morts Vivants, ne m’a jamais fait courir plus que cela.

C’est alors qu’est arrivé ce miss Zombie. Habituellement je n’y aurai guère prêté trop d’attention mais lorsque j’ai découvert que le film avait remporté le grand prix à Gerardmer et qu’il était l’oeuvre d’un certain Sabu, bien connu et fort apprécié de nos services, mon sang n’a fait qu’un tour, pour dire comme Jean-François Copé (d’ailleurs le film de zombies comme métaphore de l’impuissance intellectuelle à l’UMP, ce serait pas mal tiens !).

Sabu et ses univers de fantaisie peuplés de personnages insignifiants et truffés de hasards qui vont propulser ces personnages dans une frénésie de péripéties. A priori, rien de vraiment compatible avec les films de zombies. Et de fait, Miss Zombie n’a aucun rapport avec les précédents films de Sabu, montrant par là sa grande capacité de renouvellement. Alors que Kiyoshi Kurosawa et Kore-Eda ont réalisé récemment deux films (Real et Tel Père, tel Fils) d’excellente facture mais sans surprise par rapport à leurs thématiques habituelles, Sabu nous sort un film faisant figure de virage à 180° dans sa filmographie en offrant une histoire originale sur le thème du zombi comme domestique :

Sara fait partie des zombies peu atteints par leur mal : loin de chercher à agresser le premier venu, ils sont capables de vivre dans des familles où ils peuvent effectuer de menues tâches domestiques. C’est ce qui arrive à Sara dont les services sont achetés par une famille aisée composée d’un couple et d’un garçonnet…

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 Cela pourrait être comique, et a d’ailleurs déjà donné lieu à une comédie canadienne (Fido), mais à travers la caméra de Sabu, ça ne l’est pas. Mais alors pas du tout. D’abord parce qu’il y a ce choix du N&B qui est immédiatement signifiant pour le spectateur. On a le sentiment d’un retour aux sources, d’un film fonctionnant comme un lointain écho au film fondateur de Roméro. Dans les deux cas on se retrouve dans un univers sérieux où l’on serait bien en peine de trouver la moindre trace d’humour. On ne rigiole pas car on se trouve dans un monde où on ne rigole plus (dans la Nuit des Morts Vivants ce sera juste au début du film, avec le frère qui fait enrager l’héroïne dans le cimetière : il crèvera au bout de cinq minutes, enterrant du même coup les moindres velléités d’humour). Ou alors, si un sourire ou un rire apparaît, ce sera plus de l’ordre du rictus ou du sarcasme accompagnant un geste violent :

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Chaque soir Sara emprunte un chemin pour gagner ses pénates. Elle y croise un groupe de jeune qui s’amuse systématiquement à lui planter un objet pointu (couteau, tournevis…) à l’épaule.

Bref on est d’emblée face à un objet visuel lugubre, crépusculaire, à l’image des nombreux plans nous montrant des paysages.

A cela s’ajoute un parti pris de scènes répétées encore et encore. Amateur d’action s’abstenir. La seule action que vous verrez est Sara en train de frotter jour après la terrasse avec une brosse :

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J’exagère un peu mais il y a vraiment la volonté chez Sabu de plonger le spectateur dans un quotidien vide et désespérant. On pourra être crispé en attendant le crissement de la brosse sur le sol. Mais on pourra aussi être stupéfait de voir combien ce vide et cette répétition semble contaminer les personnages du film, en particulier celui de l’épouse qui est systématiquement montrée en train de ramasser les feuilles avec sa pelle et son balai.

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Quant à son fils, il passe son temps à photographier les environs avec un polaroïd tandis que le père passe son temps à travailler dans son bureau. Travailler à quoi ? On ne sait pas, il travaille, c’est tout.

Du coup la frontière est mince entre Sara et les membres de la famille. Et même avec tous les autres personnages du film dont la vie n’est montrée qu’à travers un même type d’action (les trois voyous qui malmènent Sara, les enfants qui lui lancent des cailloux).

Le zombie comme métaphore de l’humain, quelle que soit la classe sociale à laquelle il appartient. A côté de cela, on peut bien sûr y voir aussi le symbole du cynisme d’une classe dominante qui trouve fascinant d’avoir à la maison quelqu’un qui n’est pas comme eux et n’ayant aucune conscience des sentiments de le domestique zombie. C’est au passage une des autres petites nouveautés de ce film dans l’univers du film de zombies : Sara conserve des souvenirs (douloureux) et sera animée du désir de protéger le fils du couple.

Mais le zombi (ou plutôt la zombie) comme métaphore de la condition de la femme est tout autant recevable. D’un côté une mère au foyer qui passe son temps à passer la balayette, à s’occuper de son fils ou à apporter un rafraîchissement à Monsieur. De l’autre une miss Zombie frottant inlassablement une terrasse et dont la posture ira jusqu’à éveiller les désirs de deux maçons occupés à bricoler on ne sait quoi dans la propriété du couple. Quand le fils prendra innocemment une photo suggestive de Sara et que cette photo tombera entre les mains de l’un d’eux, il ne fera aucun doute que Sara connaîtra un désagrément de plus. Sara est rabaissée à un cul dont il serait bien dommage de ne pas profiter. La fin, sans bien sûr la dévoiler, me semble aller dans le sens de cette piste de la femme vouée à être considérée plus ou moins comme une zombie, un être voué à effectuer inlassablement les même tâches et à présenter sa chair aux désirs masculins.

Oeuvre aboutie visuellement et grinçante, miss Zombie est un beau film cadavérique qui réussit l’exploit d’apporter un renouveau à la fois dans la filmographie du réalisteur et dans un genre ultra codifié et trop souvent ramené aux histoires de survival. Il y est bien question de survie mais il apparaît à la fin qu’elle est peut-être moins une survie face à des autres qui seraient potentiellement dangereux que face à une condition humaine désespérante de vide, de cynisme et de cruauté.

7/10

Miss Zombie est prévu pour sortir cette années dans les salles. Evidemment à ne pas rater.

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