Le saké et les larmes de Natsuko

Après 2400 planches, l’aventure Natsuko no sake vient donc de se terminer en France. On a craint l’aventure inachevée à un moment, lorsque les éditions Vega, touchées par par le premier confinement, ne communiquaient plus et donnaient l’impression qu’elles allaient devoir fermer boutique. Mais c’était sans compter sur le rachat par Dupuis et c’est ainsi que le sixième et dernier tome de la saga a pu paraître ce mois-ci.

Félicitons au passage Vega pour avoir proposé ce titre intelligent qui tranche avec la pléthore de titres paraissant chaque mois en France. Et a priori, cela a été un pari payant. Pourtant, rien d’évident dans l’idée de proposer un manga fleuve sur la fabrication du saké, mais il suffit de lire le premier tome pour comprendre que Natsuko no sake, ce n’est pas que du didactisme, oh que non !

Certes, sur les 2400 pages, vous ferez forte consommation de planches explicatives comme celle-ci :

Et encore, ce n’est pas la plus didactique.

Mais cela n’est rien car, comme l’indique le titre, il s’agit avant tout du « saké de Natsuko« . Jeune tokyoïte travaillant au début dans une agence publicitaire, fille du patron d’une kura (brasserie), Natsuko décide, après la mort de son frère Yasuo qui projetait de fabriquer un incroyable saké, de tout laisser tomber pour reprendre le flambeau et faire son propre saké qui sera un des meilleurs du Japon, si ce n’est le meilleur. Cela tombe bien, la jeune femme dispose d’un palais hors norme et, secondée par son tôji (maître sakéificateur) Shinsuke Yamada mais aussi Kusakabe, ami d’université de Yasuo et futur tôji prometteur, ainsi que d’autres employés, elle devrait y parvenir. Mais les obstacles sont nombreux et c’est là que le manga d’Akira Oze est passionnant tant il fait feu de tout bois pour ne jamais ennuyer.

Au-delà des difficultés inhérentes au traitement du riz, il y a d’abord sa culture, à une époque où l’épandage de pesticide pouvait susciter se vives critiques. Désireuse de cultiver un riz haut de gamme « bio », Natsuko l’apprendra amèrement. Oze évoque aussi le système des coopératives agricoles et les problèmes qu’elles peuvent rencontrer. Mais les problèmes sont surtout prenants lorsqu’ils émanent de la galerie de personnages tournant autour de Natsuko. Ainsi Saeko, amie d’enfance de Natsuko un rien bêcheuse, parfois franchement désagréable, méprisant l’obsession de Natsuko à vivre au milieu de terreux grossiers et ignares. Son évolution sera sans doute la plus radicale et la plus belle de celles des autres personnages.

Citons aussi le tôji Yamada, surnommé « papy », sorte de deuxième père pour Natsuko et dont la santé défaillante n’est pas pas sans faire couler, à défaut de gouttes de divin saké pas encore produit, moult larmes dans les yeux de Natsuko.

Et puis, il y a Natsuko elle-même qui, à l’image de ce riz unique (le tatsu-nishiki) qui doit être cueilli au summum de sa croissance, sent qu’il est temps aussi pour elle d’être cueillie et de se laisser aller à connaître de tendres penchants. N’attendez pas des scènes torrides, tout cela est évoqué de manière discrète, mais il y a une certaine beauté à voir combien Oze parvient à tisser avec légèreté cette épopée agricole mêlant temps qui passe et renouveau, et on termine le dernier chapitre presque déçu d’avoir à laisser Natsuko dans sa kura.

En tout cas, cela donne envie de découvrir d’autre titres d’Oze, à commencer par Le Disciple de Doraku, vaste fresque sur le rakugo que les édition Isan Manga avaient commencé à publier. Hélas, après deux tomes sortis en 2014, seul un troisième avait été publié en 2016. Depuis, plus rien. Peut-être que l’on pourrait suggérer à Vega-Dupuis de se pencher sur ce titre ? Pas plus que pour le saké, je n’y connais pas grand chose en rakugo, mais si l’histoire est tissée avec la même maestria que pour Natsuko no Sake, je ne demande qu’à découvrir.

Terminons en évoquant un drama que j’avais chroniqué il y a quelques années : l’excellent Liquid. Au programme : plongée dans une kura dans la froidure de l’hiver. Beau et envoûtant.

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