Drive my Saab 900

DRIVE MY CAR

Ryusuke Hamaguchi – 2021

Ryusuke Hamaguchi aurait-il toutes les qualités requises pour être le meilleur adaptateur de Haruki Murakami ? Après avoir vu Drive my car, on peut se dire que oui. Déjà, Asako I et II et son discret réalisme magique avait su instiller en moi l’envie de voir Hamaguchi réaliser une œuvre de l’auteur de 1Q84 tant son élégance et son atmosphère me semblaient raccord. Et c’est guère surpris finalement que j’ai vu débarquer ce Drive my car, adaptation d’une nouvelle du recueil Des Hommes sans femmes.


L’histoire en quelques mots. Un acteur / metteur en scène de théâtre, Yusuke Kakufu, découvre un jour que sa femme, une romancière, le trompe. Il n’a pas vraiment le temps de laisser mijoter sa douleur puisque quelques jours après cette découverte, sa femme meurt d’une hémorragie cérébrale. Deux ans plus tard, il est invité à une résidence à Hiroshima durant laquelle il doit mettre en scène Oncle Vania, de Tchékhov. Pour des raisons d’assurances, interdiction lui est faite de conduire une voiture durant la résidence. On met pour cela à sa disposition une jeune conductrice taciturne, Misaki Watari. Cependant, au fil des déplacements, les deux âmes vont apprendre à se connaître et il s’avérera que Watari est elle aussi une grande écorchée vive, tout comme le jeune Koji Takatsuki, jeune acteur devant jouer l’oncle Vania — et ancien amant de la femme de Kakufu.

Je suis loin d’avoir une connaissance absolue de l’œuvre de Murakami, mais pour avoir lu Le Meurtre du Commandeur, les scènes montrant une âme en peine derrière le volant d’une vieille Saab 900 (on retrouve le goût de Murakami pour les objets et les œuvres d’un « monde d’avant ») m’ont tout de suite été familières. Tout comme le personnage de ce roman, Kakufu à une brisure intérieure (et même une double) qu’un voyage en voiture et plusieurs rencontres vont permettre de surmonter. Pas spécialement de réalisme magique ici, mais une douceur de la mise en scène associée à une photographie qui, que ce soit pour montrer la beauté d’un visage ou celle d’un Japon automnale, agit comme un magnifique contrepoint permettant d’exorciser les affres des protagonistes, tout comme la pratique de l’art théâtral, thématique déjà observée dans Senses (Hamaguchi avoue par ailleurs être un fan de Cassevetes).

Je n’ai jamais été très amateur des mises en abyme présentant des acteurs jouant des acteurs, mais il faut bien admettre qu’ici, Hamaguchi excelle aussi bien dans le propos (sans entrer dans les détails, la représentation d’Oncle Vania se veut comme une sorte de tour de Babel langagière qui s’affranchit des problèmes de communication et ne va justement pas sans permettre aux acteurs de se libérer de leurs brisures qui ont toutes eu à leur base un problème communicationnel), que dans la manière (magnifique plan final de cette représentation).

Et l’esthétique renvoyant à Murakami ne serait pas complète sans le thème de la sexualité. Bon, n’attendez pas un roman porno, ce n’est pas forcément le kif de Hamaguchi mais enfin, attendez-vous à une scène d’ouverture surprenante, qui tape juste, qui gémit doucement et fictionnalise joliment.
Trois heures, trois heures d’Oncle Vania et de bruits de moteur d’une Saab 900. Et au bout une seule envie, revoir une autre œuvre de Murakami réalisée par le prodige Hamaguchi, 43 ans et une facilité déconcertante à fouiller les passions avec délicatesse et à enchanter le réel.
Seul petit regret : la trop grande mise en retrait de l’excellent score de Keiko Ishibashi, produit par Jim O’Rourke. Mais il semblerait que ce soit pour l’instant une constante chez Hamaguchi qui a déjà bien à faire comme cela à composer avec les mots et les silences.

8/10

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