Ceux qui connaissent la carrière de Sonic Youth seront peut-être un peu étonnés de la présence de Jim O’Rourke (ex-membre de ce groupe) dans ce blog. Cependant, les inconditionnels de Shinji Aoyama et de Koji Wakamatsu voient sûrement où je veux en venir. Ce n’est certes pas le fait que ce musicien, passionné de la vie tokyoïte, habite la capitale qui m’a motivé pour écrire un article sur lui. Ce serait plutôt deux films, et sa participation (voulue ou involontaire) à la B.O. : je veux parler d’ Eureka (2000) et de United Red Army (2008).
Commençons par ce dernier. Réalisé par Koji Wakamatsu, il suit la lente descente aux enfers (descente qui s’avère être une inexorable autodestruction) de l’armée rouge unifiée, groupuscule radical d’extrême gauche ayant sévi durant les 70’s et ayant dérapé dans les actes terroristes. C’est un film à la tonalité amère, Wakamatsu ayant tout d’abord allégrement soutenu les mouvements étudiants. Mes les actions de l’armée rouge, notamment la purge interne qu’elle s’est infligée (le film montre bien comment des membres en sont arrivés à exécuter certains de leurs camarades) ont eu une portée traumatisante dans l’esprit des Japonais, et donc de Wakamatsu, et n’ont pas vraiment contribué par la suite à la bonne santé des mouvements contestataires. En fait, plus que l’autopsie de l’Armée Rouge Unifiée, c’est plutôt celle de la contestation au Japon à laquelle on assiste durant trois heures.
Pour un tel film, il fallait évidemment une B.O. un peu dépressive. Tâche qui n’a semble-t-il pas posé de problème à Jim O’ Rourke : tout le long des 40 minutes de l’album, on baigne dans une ambiance crépusculaire. L’exception est représentée par le deuxième morceau, Mad Shinjuku, qui illustre les émeutes étudiantes qui eurent lieu à Shinjuku. Durant six minutes, une guitare électrique un peu psyché semble déverser sa colère dans les tympans de l’auditeur. C’est un excellent morceau, mais aussi une déception car ce n’est pas celui-ci que l’on entend dans le film. Pour vous donner une idée, voici la bande annonce du film dans laquelle on entend ledit morceau manquant, pièce assez proche par son esprit et ses sonorités du morceau que l’on trouve dans l’album (la bande annonce commence avec une chanson d’ O’ Rourke, Pictures of Adolf).
Evoquons maintenant Eureka, le chef d’œuvre de Shinji Aoyama. Ce film est une réelle expérience. Imaginez, trois heures de road movie psychologique, en sépia, avec presque pas de dialogues et encore moins de musique ! Durant la première demi-heure, on se demande si on va tenir, et puis, pour peu que l’on soit habitué de la lenteur des films asiatiques, et sous le charme de l’admirable photographie du film, le miracle a lieu : on a l’impression d’accompagner les quatre personnages dans leur périple à travers le Japon. Ca ne va pas bien vite, pour sûr, on voyage à cinquante à l’heure dans un vieux bus ! Et ce n’est pas très joyeux non plus. Imaginez, les personnages en question ont été les victimes traumatisées d’une prise d’otages mortelle dans un bus. Le conducteur (interprété par Koji Yakusho) a démissionné et n’est plus que l’ombre de lui-même, la jeune fille (jouée par Aoi Miyazaki) est subitement devenue muette et son frère, guère plus âgé qu’elle, est devenu un… bon, évitons peut-être de le dire. Bref, le nouveau voyage entrepris s’avère rapidement être une sorte de quête intérieure pour essayer de se retrouver et de repartir dans la vie.
Durant toute une partie du film, on est un peu sceptique sur la démarche, pour ne pas dire pessimiste. Et puis, arrive cette scène fulgurante, une scène de plage. J’aurais pu écrire : ce morceau fulgurant, cette chanson de Jim O’Rourke. Car c’est la fusion des deux qui donne l’impression au spectateur que quelque chose, le basculement tant attendu, est en train de se faire. Je ne préfère pas trop entrer dans les détails de cette scène pour ne pas déflorer l’éventuel plaisir de ceux qui n’auraient pas vu le film. Disons juste que c’est une de ces scènes qui vous donnent dès les premières secondes une impression de grandiose en préparation.
Après avoir vu le film, je me suis aussitôt penché sur l’auteur de ce morceau, de ce Jim O’Rourke. Chose curieuse, le morceau en question a pour titre… Eureka ! Et est tiré d’un album qui, devinez quoi ? s’intitule lui aussi Eureka ! Je me suis alors demandé si Aoyama, marqué par cette chanson, n’avait pas entièrement construit son film autour de cette magnifique scène de plage. Renseignements pris, ce sont en fait deux albums qui l’ont inspiré : Daydream Nation, de Sonic Youth, et donc Eureka. Ce dernier est d’ailleurs à l’image du morceau utilisé dans le film. On est dans une sorte de mélange aérien entre musique électronique et chansons pops pourvues d’une orchestration particulièrement bien sentie (l’arrivée des cuivres dans Eureka est à ce titre sublime). C’est élégant, jamais lassant et, surtout, léger, léger…comme une bulle de Japon, évidemment.
Bande annonce d’ Eureka, dans laquelle on entend la chanson éponyme :
Excellente idée d’avoir établi le lien entre Jim O’ et ces deux géants: Wakamatsu et Aoyama. D’une façon générale, merci pour votre blog, succulent, plein d’infos et de points de vue variés et réjouissants. J’en suis un fidèle visiteur. Bonne année !
Merci pour ce retour. Toujours agréable d’apprendre que ce blog n’est pas totalement dénué d’intérêt. D’ailleurs, votre commentaire m’a permis de découvrir votre blog qui possède aussi son lot de surprises. La rubrique « Hotties Reading » est originale. Si jamais si je tombe sur des photos de bijin des 70’s, lisant rêveusement un livre en nuisette, promis, je vous envoie le lien.
Bonne année.
Merci à vous.
Pour Hotties reading : les bijin peuvent porter n’importe quoi d’autre qu’une nuisette. Elles peuvent venir aussi des 50s, 60s, 80s, ou 90s, ou avant.
Les candidates nippones à ma série « Une bise et au lit » sont aussi les bienvenues, oeuf course.
Arigato, Charles.