Erotic free jazz

Endless Waltz
Koji Wakamatsu – 1995

 

L’histoire retrace la relation entre Kaoru Abe, saxophoniste de free jazz mort en 1978 d’une overdose de sédatif, et Izumi Suzuki, romancière-modèle-actrice décédée en 1986 d’un suicide.

 

Après un horrible film commercial tourné en Australie (je ne donne pas le titre, il ne le mérite pas), Wakamatsu revient avec un sujet plus digne de lui et de son passé de réalisateur ayant œuvré dans le pinku eiga. On se doute ici que Wakamatsu va livrer un nombre considérable de scènes légères et bingo ! ça ne rate pas, surtout avec Léona Hirota dans le rôle de la tumultueuse romancière — qui avait d’ailleurs largement offert sa plastique à l’objectif de Nobuyoshi Araki.

Après, ce n’est pas non plus l’essentiel. Si l’attirance sexuelle entre Abe et Suzuki et manifeste, elle s’accompagne aussi d’une attirance de cœur. Mais voilà, en ce qui concerne l’esprit et les approches artistiques, les deux artistes diffèrent et c’est là que le film devient intéressant, livrant des scènes de disputes (dans lesquelles le saxophoniste n’hésitera pas à frapper sa femme). Les motifs de dissension ? Ils sont multiples. Une jalousie maladive (surtout après que Suzuki lui avoué qu’elle a probablement eu cent amants avant lui), le besoin d’Abe de disposer du corps de sa femme comme bon lui semble, mais aussi un agacement envers ses écrits, qu’il juge indécents, commerciaux, étrangers à une forme d’art pur — que lui, bien entendu, incernerait.

A-t-il raison ? Wakamatsu se garde bien de le dire, préférant brouiller les cartes. Des personnages ont beau parler du « génie » d’Abe, de la pureté de son jeu, il faut bien avouer que l’on est souvent bien circonspect devant ses scènes live. Oh ! Le voir jouer dans la nuit, seul en face d’une voie ferrée, c’est poétique, charmant. Mais le voir grimé en écolier pour souffler à plein poumons dans son instrument afin d’en sortir des sons stridents, étrangers à toute mélodie, en est autre. Car histoire de situer le bonhomme, ça musique, c’était cela :

Ça calme, hein ? Vous attendiez un précurseur au Dai Miyamoto de Blue Giant ? Perdu ! Alors je n’ai rien contre le free jazz, il en faut pour tous les goûts, mais il faut bien avouer que les scènes live du film ont tout d’un repoussoir, la palme revenant à un bœuf associant Abe et un « chanteur » pris de transe et poussant des hurlements grotesques. Et le pis est que ça ne trouble pas les quelques happy few présents qui semblent écouter religieusement.

Forcément, on met en doute très fortement le génie d’Abe (et ça fait un peu mal d’entendre ses coliques sonores quand on sait qu’il était le neveu de Kyu Sakamoto). Et l’on peut se demander si ses colères envers Suzuki sont moins le fait d’une jalousie sentimentale que d’une jalousie artistique, la romancière parvenant à trouver un semblant succès et à gagner de l’argent (elle ne se privera pas d’ailleurs de le lui signifier). Abe, artiste génial mais maudit, ou simple artiste raté ? En fait chacun jugera.

Mais à un autre niveau de lecture, je me suis demandé si les deux personnages n’annonçaient pas les violents et grotesques révolutionnaires d’extrême gauche d’ United Red Army. Kaoru Abe en particulier, Izumi Suzuki étant présentée essentiellement comme une femme ne demandant qu’une chose : qu’on l’aime tout en lui foutant la paix pour qu’elle puisse créer tranquille. Lors de quelques scènes de dispute, Abe interroge, remet lourdement en question, absolument convaincu du bien-fondé de sa position, rejetant toute contestation et, quand les mots ne suffisent pas à convaincre, arrive alors le temps des torgnoles dans la gueule. À mes yeux, Abe est un personnage fêlé et autoritaire qui rejoint les Tsuneo Mori et Hiroko Nagata d’ United Red Army. Après, l’association ne saurait non plus être totale. Quoi que l’on pense de sa musique, c’est bien cette dernière qui constitue son moteur, et non les idées politiques. L’art est son élan vital et, quand il n’aura plus la force de le pratiquer, il n’aura plus qu’à succomber, cette fois-ci définitivement, après une ultime crise liée à la drogue. Au « jazz en liberté » succédera une libération radicale, l’habituelle issue prématurée pour tout artiste maudit qui se respecte.

7/10

 

 

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