L’Armée Rouge en crise de sokatsu

United Red Army (Jitsuroku Rengo Sekigun Asama-sanso e no Michi)
Koji Wakamatsu – 2008

Quand il s’agit de virer sa cuti, certaines personnes ne le font pas à moitié, et Koji Wakamatsu en fait certainement partie. Connu pour être autrefois un réalisateur radical associé à l’extrême gauche, il a par la suite compris toutes les failles, les aberrations et la dangerosité de ces doctrines, et c’est en 2008 qu’il décide de régler définitivement ses comptes avec ce United Red Army… et ses 3H10.

3H10, c’est long, surtout quand vous êtes en compagnie de tarés reclus dans une montagne pour un camp d’entraînement et ce, sous la houlette d’encore plus tarés qu’eux (Tsuneo Mori et Hiroko Nagata). Après une bonne demi-heure d’un montage d’archives pour planter le décor, montage soutenu par un morceau psyché-rock de Jim O’Rourke pour donner à la montée en puissance des idéologies d’extrême-gauche, à la fin des années 60, un aspect à la fois électrique, inéluctable et déjà malaisant, le film enchaîne avec cette longue deuxième partie pour une expérience faite de réclusion et d’humiliations.

Évidemment, c’est long et souvent répétitif. Mais pas non plus illogique puisqu’au sentiment d’horreur s’ajoute celui de la durée. Un peu comme les membres de l’United Red Army, le spectateur se trouve lui aussi piégé, ruminant, abasourdi par le virage délirant que prennent les « têtes pensantes » (avec beaucoup de guillemets) du groupuscule biberonnées de lectures maoïstes. Au départ, il s’agissait de faire la révolution, autrement dit de se tourner vers le monde, de s’y confronter par la violence. Là, dans le chalet isolé au milieu des montagnes, sans liens avec l’extérieur, la révolution se replie sur elle-même. L’ennemi n’est plus à l’extérieur, mais à l’intérieur, associé à ce terrible mot : sokatsu. Il signifie « résumer », il s’agit de se prendre pour objet et de s’analyser, d’avoir conscience de ses fautes. Dans les sous-titres, il était traduit par « auto-critique ». « Fais ton auto-critique ! », « Où est ton auto-critique ? », « Tu es incapable de t’auto-critiquer ! » Les reproches sont éructés jusqu’à plus soif par Mori et Shigenobu, à des membres qui ont pourtant montré durant plusieurs années une adhésion sincère à cette envie de faire la révolution, mais qui se retrouvent dépassé par ce sokatsu, ne comprenant pas au juste ce qu’ils doivent dire, et amenant sur eux des passages à tabac… et la mort.

On tombe alors dans l’abjection tant on se demande ce qui anime réellement Mori et Nagata lorsqu’ils entreprennent ce genre de torture mentale (torture à laquelle n’échappent pas les femmes bien sûr, quand bien même elles seraient enceintes). Envie d’affirmer leur puissance ? Simple sadisme ? En tout cas, pour le jeune spectateur japonais qui, en 2008, aurait été tenté d’adhérer à l’extrême-gauche dans un pays depuis plusieurs décennies bien ancré à droite (justement grâce aux agissements de ces groupuscules qui ont fini par écoeurer l’opinion publique), le visionnage d’URA a de quoi tempérer les ardeurs. Tout n’est que veulerie, courage de pacotille. Car quel courage y a-t-il à châtier un « camarade » d’un coup de couteau quand ce dernier ne peut se défendre ? Et à cette absence de flamboyance, s’ajoute celle de la réalisation, ou plutôt de cette image choisie par Wakamatsu, une image quasi désaturée, délavée, accentuant l’aspect glauque et déprimant du séjour en montagne.

Mori et Nagata, bien au chaud alors que cinq membres de l’URA s’apprêtent à vivre l’affaire du chalet Asama. 

La seule flamboyance serait finalement celle des mots. Mais là aussi, c’est d’une flamboyance sinistre. Il s’agit d’éructer, de brailler, de porter en étendard ce mot magique : « wareware ». Soit un version emphatique, pompeuse, de « watashitachi », c’est-à-dire « nous ». Bien signifier que l’on fait partie d’un collectif pour mieux annihiler les volontés individuelles forcément perçues comme égoïstes et dangereuses. À ce titre, le dernier segment, consacré à la prise d’otage dans le chalet Asama, donne un exemple d’une stupéfiante crétinerie. Sans la dévoiler, disons juste qu’il y est question d’un cookie. C’est tellement inapproprié qu’on pourrait penser qu’il s’agit d’un sketch des Monty Pythons mais non, c’est bien la réalité. À l’enfermement physique signifié par ce chalet encerclé par les flics s’ajoute un incroyable enfermement idéologique mais qui, à la longue, fera réagir le jeune Katô Motohisa (seize ans au moment des faits) au même moment que se fera entendre l’unique chanson de Jim O’Rourke pour le score, Pictures of Adolf qui scandera de poignants « you’re wrong, you’re wrong ».

United Red Army rejoint la liste des films que l’on peut qualifier de « films-épreuves » de par leur sujet et leur longueur. Si vous vous en sentez capables, eh bien chaussez vos grosses chaussures de marche et faites-votre barda pour entreprendre le visionnage d’un film morne, dépressif, mais brillant dans sa manière de révéler des excès idéologiques.

Et si vous en êtes incapables, eh bien… FAITES VOTRE AUTO-CRITIQUE BORDEL !

8/10

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