Élan vital vers la dissection

Vital
Shinya Tsukamoto (2004)

 

Hiroshi Takagi se réveille dans la chambre d’un hôpital. On lui explique qu’il revient d’un accident de voiture, accident dans lequel sa petite-amie, Ryoko, a eu moins de chance. Mais à cette perte s’ajoute une deuxième puisque Takagi a aussi perdu la mémoire. Il découvre cependant qu’avant l’accident, il avait commencé à étudier la médecine. Dès lors reprend-il ses études dans une une université. Là, une étudiante, Ikumi, semble s’intéresser à lui. En vain car alors qu’il doit activement participer à une dissection sur un cadavre s’étalant sur plusieurs jours, il s’aperçoit que le corps qu’on lui confie n’est autre que celui de sa petite-amie…

Quinze ans plus tôt, Tsukamoto racontait avec Tetsuo la renaissance d’un homme qui voyait son corps peu à peu contaminé par le métal. Dans Vital, il s’agit de nouveau du récit d’une renaissance, mais cette fois-ci, le métal du bistouri ne remplacera par la chair. Il sera utilisé pour faire ce dont il est destiné, c’est-à-dire couper et pénétrer, afin d’accéder à une résurgence des souvenirs, mais aussi d’accéder à une sorte de havre dont on serait bien en peine de préciser s’il est purement onirique, fantasmatique ou touchant au fantastique.

Pour Tsukamoto, le point de départ du film a été sa fascination pour les dessins anatomiques de Léonard de Vinci, fascination qu’il a cultivée en se rendant dans une fac de médecine pour assister à des travaux de dissection. Présenté comme cela, ça fait peur. Morbide forcené, le père Tsukamoto ? C’est ce que l’on craint lors des premières scènes de dissection, mais il faut savoir que les seuls organes internes que l’on verra seront représentés par le biais de dessins que l’on demande aux étudiants d’effectuer. Il y a du coup une distanciation esthétique, distanciation magnifiée par les rêves (ou les visions ? ou par un réel accès à un ailleurs mystique ?) que fait Takagi et qui lui permettent de rejoindre son ancienne bien-aimée dans un lieu édénique, tranchant terriblement avec l’univers de béton (signifié dès les premiers plans, avec la puissante apparition de quatre gigantesque cheminées d’usine — ou d’un crématorium) dans lequel il vit.

Indéniablement, il dissèque un corps qui n’est plus que mort. Mais en même temps, c’est en disséquant cette mort qu’il parvient à se souvenir, à retrouver avec ivresse le souvenir vital de son histoire d’amour avec Ryoko. Et entre les deux, Ikumi ne peut que ronger son frein et sentir la jalousie monter. Car la jeune femme, si elle est bien vivante, semble finalement bien morte aux yeux de Takugi.

Loin du noir et blanc hyper contrasté de Tetsuo, Vital n’hésite pas à jouer de toute une palette de couleurs.

Vous l’aurez compris, difficile de trouver un triangle amoureux plus WTF que celui proposé par Tsukamoto. Mais l’histoire ne doit pas rebuter. Film d’amour, film sur la nature, enfin film affrontant la mort avec élégance et pudeur (belles scènes au moment de la toilettes funéraire et de l’incinération des personnes qui avaient légué leur corps à la science), Vital apparaît finalement comme une porte d’entrée aussi fascinante qu’accessible pour celui qui n’aurait pas encore exploré l’univers si particulier de Tsukamoto. Sa seule faute de goût n’est finalement que son générique de fin, avec une chanson de Cocco, chanteuse alors à la mode et que l’on a dû probablement imposer à Tsukamoto. Pour le reste, le film est visuellement très beau, loin de l’expérimentation techno-punk de Tetsuo.

 

Je mets la bande-annonce, même si la chanson de Cocco donne une image biaisée de l’atmosphère du film :

Lien pour marque-pages : Permaliens.

2 Commentaires

  1. Je ne suis pas un inconditionnel du cinéma de Tsukamoto qui à mon goût est souvent soit très/trop dérangeant, parfois aride, d’autres fois grandiloquent mais celui-ci est une exception magnifique.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.