L’Olrik Team à l’assaut du mont Fuji ! (6) : Here comes the Sun

Comme on peut le voir sur le plan, la descente tout à gauche est constituée d’un interminable sentier en zigzag. Ici pas de grosses pierres pour un numéro d’équilibriste, juste un matelas de gros cailloux. On s’y enfonce, ça fait croch ! croch ! sous les pas, il faudrait être le dernier des boulets pour trouver le moyen de se blesser sur ce chemin. Pas bien palpitant non plus mais enfin, mieux valait ça que se farcir le sentier de l’ascension en sens inverse. Autre avantage : sa tranquillité. Ici, pas vraiment de randonneurs, juste l’obscurité, à peine atténuée par ma frêle lampe torche, et le bruit de nos pas. J’eusse bien sûr préféré me mêler à la masse des randonneurs au sommet, reste que cette descente sur le sentier des vaincus promettait d’avoir un petit charme. Je tournai la tête vers Olrik the 3rd : ce n’était pas encore la joie mais j’étais sûr qu’après un quart d’heure de marche, ses soucis de respiration ne seraient plus.

Une qui par contre en avait, des soucis, fut une famille que nous croisâmes. Les parents, bien équipés d’habits coupe-vent, était assis aux côtés d’un enfant allongé au sol. Drôle d’endroit pour une sieste, me dis-je bêtement, moi aussi quelque peu sous le coup de la fatigue. En fait, j’apprendrais le lendemain que le garçon avait fait un malaise, bien plus violent que celui d’Olrik the 3rd, et que les parents attendaient la venue des secours.

Une centaine de mètres plus loin, nous dépassâmes aussi deux autres montagnards. Bien, comme ça, nous n’étions pas les seuls à avoir failli ! Nous continuâmes, engrangeant les croch ! croch ! dans la nuit et les premiers échanges avec Olrik the 3rd, signe que ça allait mieux.

Et puis, à un moment, je m’arrêtai, m’apercevant combien il pouvait être stupide de continuer à descendre. La raison ? Au loin, une fine bande d’aube commençait à apparaître. Nous descendions, oui, mais du côté du lever du soleil ! Allez ! Je l’aurais finalement mon lever sur le mont Fuji ! La différence, c’est qu’il ne serait pas admiré à 3776 mètres mais à 3000.

— Pourquoi tu t’arrêtes ? me demanda Olrik the 3rd.

— Pour le lever de soleil. On va l’attendre ici.

— À quelle heure il se lève ?

— À 4H30.

— Il est quelle heure ?

— Trois heures.

— Pfou ! Ça va être long ! Il fait froid.

Long et froid, oui mon petit. Mais c’était le seul moyen d’atténuer les regrets et de retransformer l’ascension avortée du mont Fuji en belle expérience. J’avais encore de l’eau, des barres de céréales, Olrik the 3rd respirait maintenant normalement et bientôt la température allait suivre le lever du soleil. Et l’on pouvait même nous asseoir si cela nous chantait bref, le paradis, quoi !

On se mit donc à patienter. Je ne me souviens plus trop de quoi nous avons discuté. Des bribes de discussion en fait, assaisonnées de généreuses rasades de silence. Ce n’était pas désagréable, d’ailleurs, de rester ainsi dans l’obscurité à contempler la bande de sombre azur à l’horizon qui allait bientôt s’étendre. Sans aller jusqu’à dire que tout allait bien, l’instant était particulier, appréciable et finalement unique. Et rien ne pouvait le troubler.

Rien ? À voir.

Un détail en amont du sentier, à une cinquantaine de pas, attira mon attention.

Deux lumières, probablement deux lampes frontales, qui s’approchaient. Ce qui signifiait que deux éclopés empruntaient le sentier de secours et allaient nous rejoindre. Rien que de très normal et pourtant, une chose qui ne l’était pas, était la lenteur du déplacement ainsi que la trajectoire de ces lumières. Ce que c’est que d’associer cinéphilie et un grand éreintement physique : mon esprit songea assitôt à la scène du fantôme dans Kaïro, de Kiyoshi Kurosawa :

C’est ça, foutez-vous de ma gueule mais bon, on était dans le pays des yōkai quoi ! Les fantômes japonais, ça existe sûrement, pour sûr ! Et encore une fois, la trajectoire des lampes était incompréhensible. Tantôt à hauteur de visage, tantôt à hauteur de poitrine quand ce n’était pas au-dessous du bassin ! C’était quoi, la créature qui se rapprochait ? Une sorte de gigantesque Gollum rampant ? Un yokai non répertorié par Shigeru Mizuki ? Ou alors un randonneur maniaque et facétieux qui se rapprochait en marchant grotesquement pour jouer avec nos nerfs, juste avant de provoquer un fait divers sanglant ? 

Non, je le reconnais, j’étais sûrement un peu perturbé à ce moment. Je me rapprochai d’Olrik the 3rd, prêt à le défendre en cas d’attaque de fantôme lorsque je compris. La lumière était à cinq pas et je vis son propriétaire : c’était tout simplement l’un des deux quidams que nous avions dépassé en amont sans faire attention à eux. Plus précisément, un couple de vieilles gens (j’aime beaucoup l’accord au féminin quand un adjectif est antéposé à « gens », pas vous ?). Et mon Gollum n’était autre que Monsieur qui avait fort à faire avec ses cannes de randonneurs pour trouver un équilibre sur ce terrain meuble. Pourquoi ? Tout simplement (il me l’expliqua) parce que ses genoux avait méchamment morflé lors de l’ascension. Et ce n’était guère mieux pour Madame, à dix pas derrière. J’avoue que je ne compris pas. Pourquoi ne pas s’installer dans un coin et attendre les secours, plutôt que d’entreprendre à leur âge une ahurissante descente et risquer de se rétamer et de se bousiller les genoux pour de bon ? Mais je me souvins de l’attitude déplaisante de l’employé du chalet, ou encore de ce qui se passait dans un basho lorsqu’un sumo se blessait gravement lors d’un combat. Dans ce genre de cas, le brancard arrive rarement aussitôt pour l’évacuer. Non, ce qui prime, c’est le demerden sie sich : qu’il se relève d’abord, qu’il grimpe clopin-clopant sur le dohyo pour saluer et après on songera à l’aider. Moi qui commençais à me réchauffer, cette rencontre me fit froid dans le dos et finalement, je m’aperçus que la déconvenue avec Olrik the 3rd était franchement légère, voire heureuse, en comparaison.

À partir de quatre heures, l’azur commença sérieusement à s’étendre. Comme écrirait un ami : « En filigrane du bleu, le jaune – la nudité du ciel, où phosphorent mes mots, évanescents. Peindre, écrire, en rêvant sur le fil, jusqu’à des retombées tangibles, en termes de repères. Les aubes ont soif de grands matins dont tes yeux sont les sceaux siréniens, d’amphores fines. » Moi, je dirais simplement que j’avais subitement l’impression d’être un putain de Jean-Jacques Rousseau dans un tableau de Caspar Friedrich. Assez chouette comme sensation et j’entrepris de réveiller Olrik the 3rd pour qu’il ne rate rien du spectacle :

Matez la petite bouteille d’oxygène à ses pieds !

4h30, 4h35, 4h40… on se rapprochait de l’instant T. Bon sang de bois ! Par où le soleil allait-il jaillir ?

Logiquement, cela devait se jouer à l’horizon et j’enjoignis donc Olrik the 3rd à bien le surveiller. Sauf que… ce fut au-dessous, entre la ligne et la crête des montagnes au loin, qu’un point lumineux perça, point qui s’élargit en un trait. Ahurissement d’Olrik the 3rd, alors à 10% seulement de ses ressources physiques et intellectuelles : « Je ne savais pas que le soleil sortait du sol du Japon ! ». Je ne me moquai pas, l’idée était belle et savoureuse. Et puis, « pays du soleil levant » quoi ! Là, on y était clairement. 

La photo ne rend que médiocrement compte de cette impression d’un soleil qui semble effectivement sortir de la terre après avoir percé les nuages. En tout cas, le souvenir sera je pense bien présent dans nos têtes, ainsi que dans celle d’Olrik jr qui, à 700m d’altitude plus haut, devait bien savourer aussi. 

Nous restâmes ainsi à admirer le panorama pendant de longues minutes durant lesquelles j’eus cette fois-ci l’impression d’être Chateaubriand plongé dans le premier segment de 2001 : L’Odyssée de l’espace (« L’aube de l’humanité ») puis, comme nous avions encore pas mal de kilomètres à faire avant de revenir à la cinquième station, nous reprîmes la marche.

À suivre…

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