Quand la NHK s’invitait chez Tezuka

Filmé en 1985, NHK Tokushu Tezuka Osamu : Sosaku no Himitsu (Les Secrets de la création : Osamu Tezuka) est un documentaire précieux puisqu’il nous permet de pénétrer dans l’antre créatrice du « manga no kamisama ». Il n’a alors plus que quatre années à vivre et a donc l’essentiel de sa carrière derrière lui. Mais alors âgé seulement de 55 ans, le maître n’entend pas encore remiser ses crayons, même s’il est conscient que ses capacités sont amoindries avec l’âge. C’est ainsi qu’il révèle qu’il s’est aperçu qu’il n’est plus capable de tracer des ronds parfaits à mains levée. Et il n’est pas trop sûr concernant ses tentatives de dessins plus réalistes à travers Histoire des 3 Adolfs, qui vient d’être publié.

Doute concernant sa création, donc, mais franchement, à le voir faire courir son crayon, puis sa plume, sur des planches qu’il recouvre en deux temps trois mouvements de dessins irréprochables (parfois en se massant l’épaule droite avec un ustensile), on n’est guère inquiet. On observe et on admire cet homme qui, bien qu’âgé de 55 balais, fait passer en comparaison les jeunes employés de son studio pour des petits vieux. On aurait pu croire qu’avec son statut de Dieu du manga, les cadences infernales auraient tendu à s’atténuer. Mais non, même après avoir noirci des centaines de milliers de planches, Tezuka était toujours soumis à la fameuse « deadline » pour rendre à tel éditeur un quota de vingt planches en vue d’une prépublication dans un magazine. Et même si on apprend que Tezuka était connu comme le loup blanc concernant les dépassements de deadlines, il n’en reste pas moins que le dessinateur nous apparaît comme vivre dans un autre espace-temps : du matin au soir, deux idées prédominent : inventer et dessiner. Tout sourire quand il ouvre la porte de l’appartement dans lequel il se retire quand il veut dessiner…

Un vrai appartement d’ermite, pas non plus un taudis, mais un espace dépouillé de tout qui, en dehors d’un tourne-disque et d’un minable téléviseur, va lui permettre de maintenir sa concentration sur son travail.

… il arbore très vite une autre bobine quand il se met au travail. Même chose quand il arrive à son studio : d’abord affable pour saluer ses employés, on comprend après qui est le boss. La déférence un rien craintive que l’on peut percevoir chez ces employés doit être la même, j’imagine, que celle que ceux du studio Ghibli doivent avoir auprès d’un Miazaki.

Quant à sa vie privée? Marié de longue date à une amie d’enfance, il n’a guère le temps pour cela. Sa femme Etsuko s’occupe de faire tourner leur belle maison et on la verra à peine, juste le temps de venir le chercher pour l’accompagner à un avion qui doit le mener en France pour une rencontre culturelle.

Même pour ça, c’est le rush : on le voit courir dans la rue pour choper un taxi et il y reste jusqu’au dernier moment, avant d’embarquer dans l’avion, pour… y dessiner quelques planches supplémentaires !

Ce sera tout, et n’attendez pas de beuveries avec des potes ou ses employés en plein milieu de la nuit pour fêter la livraison in extremis de vingt planches. Quand il se repose, c’est pour jouer tranquillement chez lui avec une perruche.

Car il y a toujours une part d’enfant chez le Dieu du manga. Scène révélatrice : on le suit à un moment lors du festival international du film d’animation à Hiroshima et on le voit donner une invraisemblable poignée de mains à un vieux monsieur dont on comprend qu’il est français :

Tout en le voyant faire des courbettes, visiblement aux anges, on a l’impression qu’il va lui arracher la main à la secouer ainsi. Mais qui est donc ce vieux français pour rabaisser ainsi le maître au niveau d’un petit garçon fanboy ? Rien moins qu’un autre maître :

On connaît l’admiration sans bornes de Miyazaki et de Takahata pour Le Roi et l’Oiseau. Mais à voir l’attitude de Tezuka, je me dis que son visionnage du film a dû aussi lui en mettre plein les mirettes. A vérifier cependant, j’ai cherché, mais n’ai pas trouvé une information allant dans ce sens. Peut-être est-elle à trouver dans l’ouvrage The Art of Osamu Tezuka qui propose en bonus le DVD du docu de la NHK… 

On ressort en tout cas du visionnage de Sosaku no Himitsu à la fois charmé par ce qui devait être tout de même une bonne pâte d’homme et impressionné par l’infernale énergie créatrice que les vingt-quatre pauvres heures d’une journée ne permettaient sûrement pas d’assouvir. Le film se termine sur un Tezuka faisant le poirier contre un mur pour se décontracter. L’homme pète la forme, et on se dit qu’il a encore plein de belles années devant lui à créer. Hélas le cancer y mettra un coup d’arrêt définitif et on se prend à rêver sur ce qu’aurait été sa production, déjà dantesque, sans ce coup du sort contre lequel ce maître en ressorts narratifs ne pouvait rien faire. C’est égal : le créateur s’est endormi mais ses créatures, elles, sont toujours bien vivantes et toujours aussi universelles. 

 

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