Bijins de la semaine (69) : les bijins de « Yoroi Bijyo »

Pas très réjouissant, hein ? le vent glacial qui nous vient d’Europe de l’est…  J’imagine que vous n’avez pas tellement envie d’entendre parler de guerre, n’est-ce pas ? Eh bien ce sera pourtant le sujet du jour mais attendez, attendez, ne partez pas et écoutez plutôt. Si je vous dis que tantôt je vais vous présenter une émission japonaise intitulée 鎧美女, soit Yoroi Bijyo, c’est-à-dire « beauté d’armure », à moins que ce ne soit « la beauté dans l’armure », vous comprendrez qu’il n’y a aucun risque de voir s’immiscer dans les lignes à venir de grossières faces de bolcheviks tenant des poignards sanglants entre les dents.

En fait, le programme en question, diffusé tard dans la nuit (toujours bon signe, ça, les programmes « tard dans la nuit ») sur FujiOne, fait dans le pédagogisme de haute volée. Vous aimez le Japon médiéval et ses belles armures ? Yokoso ! Vous allez vous en mettre plein les mirettes tout en apprenant plein de choses. Et encore mieux : vous avez kiffé dans votre enfance les armures démontables de Saint Seiya ? Vous allez retrouver les émotions qui étaient vôtres, et avec même un petit surplus d’excitation.

Allez, je ne vous fait pas languir plus longtemps, de quoi s’agit-il ? Tout simplement de présenter, à chaque numéro (on en est au n°86), l’armure authentique d’un grand seigneur de guerre. Histoire de pousser le réalisme, lesdites armures sont à chaque fois porté par… quelqu’un :

Les images de l’article viennent de différents épisodes, histoire de varier les plaisirs et d’accroitre la connaissance de l’artisanat ancestral des armuriers japonais.

Il faut ici imaginer une voix off tout ce qu’il y a de plus sérieux égrenant au fur et à mesure des informations sur les différentes parties de l’armure qui vont être ôtées une après l’autre (je vous ai dit que cela faisait penser à Saint Seiya). Et commence tout de suite par la partie protégeant le visage et là, stupeur !

On apprend que les rudes bushis de l’ancien temps étaient en fait des bijins ! Akira Kurosawa et tant d’autres réalisateurs ayant pratiqué le chambara nous auraient donc menti ? En tout cas, je dois vous l’avouer, c’est à partir de ce moment qu’il devient ardu de se concentrer sur la voix off. Car, après le masque, vient le tour du heaume :

On se dit que les bijins samouraïs avaient bien du mérite pour ne pas abîmer leurs cheveux soyeux sous une telle protection.

Arrive celui du plastron :

Comme on disait dans Téléchat : Cha alors ! le bikini existait déjà à l’ère Edo ! 

Puis les manchons sur les bras :

On remarquera d’ailleurs le souci du cadrage pour donner à voir la belle confection de la matière.

Enfin la partie protégeant le bas ventre :

What ? Il y avait aussi de telles culottes ouvragées ? Décidément, quand je dis que le Japon nous a toujours enfoncés culturellement…

Arrivé à cet instant de l’épisode, on reprend son souffle et, pour bien avoir une idée du nombre de pièces qu’il faut réunir pour avoir une armure complète, on a droit à chaque fois à ce plan tournoyant en plongée de la bijin bushi :

Ce déballage me fait penser à chaque fois au verso de la pochette d’Ummagumma, de Pink Floyd.

Cependant, après tout ce déversement de savoir, l’heure est au repos, à la détente, d’autant que la bijin s’aperçoit que…

Horreur ! L’armure a défiguré son corps délicat en y laissant des traces !

Arrive alors la deuxième leçon d’histoire : les samouraïs, peut-être un peu lavettes sur les bords, il faut bien le dire, usaient fréquemment de massage à l’huile pour relaxer leur corps après une bataille. Le massage concernant aussi bien le côté face :

Que le côté pile :

Eh oui, que voulez-vous, c’est ça le perfectionnisme à la japonais, on ne fait jamais les choses à moitié.  Et ce n’est pas fini. Puisqu’une fois requinquée, la fleur en armure doit participer à un petit jeu pour tester ses connaissances en histoire. C’est un quizz avec trois questions.

Le jeu est très simple : à la moindre erreur, punition ! N’espérez pas qu’elle aura à ôter ses derniers vêtements, Yoroi Bijyo est une émission décente, messieurs dames. En fait, un masseur fou s’approchera pour lui faire un massage des pieds avec un outil en bois en guise d’instrument de torture :

Kyaa ! Yamete ! Yada !

Croyez-moi, des films déviants, j’en ai vu dans ma chienne de ma vie mais rien qui s’approche de près ou de loin à ces terribles séquences. Mais encore une fois, quand on connaît le goût pour les tortures raffinées pratiquées par les Japonais dans d’innombrables guerres, on ne peut que saluer l’effort documentariste de ces séquences.

Heureusement, il y a le réconfort quand une réponse correcte est donnée. Invariablement, elle est la même : 

Un dango phallique.

Et évidemment, aucune miette n’est laissée. En temps de guerre, on sait l’importance que peut avoir le moindre grain de riz dans l’estomac :

Enfin (oui, l’émission n’est pas finie), il ne faudrait pas oublier que les samouraïs ne faisaient pas que combattre et pouvait pratiquer le zazen, la poésie et la calligraphie. C’est ce que rappelle la dernière séquence :

Après avoir assoupi ses poils, enfin ceux de son pinceau je veux dire…

… la bijin va faire la démonstration, sous nos yeux, de sa belle maîtrise calligraphique :

Le tout toujours en bikini car, après tout, comme la pièce semble convenablement chauffée, on peut comprendre qu’il est inutile de s’embarrasser de vêtements superfétatoires.

Le résultat final, on l’admire à chaque fois par un balayage vertical qui donne à voir la perfection des lignes et des courbes :

Et après une telle plongée dans l’histoire et l’art de ce pays, vous comprendrez qu’on ressent vivement l’envie de (re)lire Le Chrysanthème et le Sabre, de Ruth Benedict, ou La Pierre et le Sabre d’Eiji Yoshikawa. C’est d’ailleurs ce que je ferais si j’avais le temps, mais, comme ce n’est pas le cas, je crois que je vais me contenter de voir un autre épisode de Yoroi Bijyo. Le savoir par la manière douce, de temps en temps, ça ne fait pas de mal. 

 

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2 Commentaires

  1. Voilà une forme de médiation culturelle qui devrait inspirer comme il se doit les musées Guimet et de l’Armée. Ou pas. Malheureusement.

    • Bien dit.
      Et si jamais le musée Guimet cherchait un commissaire pour une expo intitulée « Pour une compréhension raisonnée de la bijin dans la culture populaire japonaise », je suis volontaire.

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