L’otokorashii de la semaine (5) : le rikishi

Chaudes les journées en ce moment ! Olrik Jr et Olrik the 3rd peuvent protester tout leur soûl, leur papounet ne répond plus. Inutile de me tanner pour faire telle ou telle sortie, je n’y suis pour personne. Pourquoi ? D’abord parce que j’ai trop de choses à lire. Sade, Huysmans et Roth occupent actuellement une tranche non négligeable de mon emploi du temps. Ensuite trop de choses à écouter. Pris du virus de la fiction radiophonique, j’occupe mes séances de vélo en pleine campagne façon Lance Armstrong à me muscler le cerveau par la même occasion en écoutant de délicieux feuilletons made in France Cul. Enfin trop de choses à voir. N’imaginez pas qu’il s’agisse de films, pour une fois non, en ce moment c’est plutôt la guerre des dramas à la maison, au moins deux épisodes par jour – après avoir abandonné cet imbécile de Westworld (quelle fadeur !), place aux dramas japanisthanais de l’automne, avec quelques bon titres que je chroniquerai bientôt.

Mais surtout, surtout, depuis dimanche dernier, le scénario est le même. Vers 17 heures, je m’installe confortablement dans mon canapé, d’abord une tasse de café à portée de main en attendant un apéritif, j’allume le téléviseur, lance la NHK et me mate l’intégralité des vingt combats quotidiens du basho de Fukuoka :

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Mieux qu’une bijin dans un roman porno : Goeido s’apprêtant à en mettre plein la rondelle à son adversaire !

Cela doit durer quinze jours, soit 300 combats au total. Pour l’instant je n’en ai raté aucun et il n’y a aucun raison pour que je faille à ce beau programme télévisuel qui m’enchante à chaque fois.

J’ai toujours aimé le sumo mais je ne suis jamais vraiment devenu un passionné du fait des possibilités de visionnages qui ont toujours été hasardeuses. Après, disposant maintenant de la TV japonaise à domicile, cela risque de changer. Je compte bien me familiariser avec les rikishis actuels (pour le néophyte, rikishi est le nom que l’on utilise au Japon pour désigner les combattant, sumotori étant d’usage exclusivement français), avoir une bonne connaissance des points forts et des faiblesses de chacun, connaissance qui me permettra de saisir pleinement le sel de telle ou telle rencontre.

A la fin des années 90, les diffusions sur Eurosport m’avait permis un peu de me familiariser avec les meilleurs rikishis d’alors. C’était l’époque du Big Four, l’unique, le seul, le vrai, non pas celui de certains tennismen millionnaires plus ou moins créatinés, mais celui constitué par quatre hommes rudes, virils, ayant construit leur gloire dans la sueur rance des dojos et des chankonabe engloutis quotidiennement. Bref, ces otokorashiis, c’était ces quatre fabuleux yokozunas (là aussi pour le néophyte, yokozuna désigne le plus haut grade pour un rikishi), les deux frangins Takanohana et Wakanohana, et les deux hawaïens Akebono et Musashimaru :

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Sur la photo, de gauche à droite, Wakanohana, Takanohana et Musashimaru. Akebono, trop imposant, n’a pu être cadré par le photographe. Le voici donc à part :

Ici en train de serrer la pince à ce bon vieux Chichi.

J’appréciais énormément Takanohana qui me semblait être le sumo idéal, parfait équilibre de qualités physiques (force, puissance et agilité) et disposant d’une technique qui pouvait le faire battre n’importe qui. Wakanohana m’a plus convaincu lorsqu’il était Ozeki (le grade le plus haut après celui de yokozuna), alors qu’il était en quête du grade suprême (très longue quête en l’occurrence, le pauvre a assez peu profité de ses années en tant que yokozuna). Dès qu’il est devenu yokozuna, l’entrain semblait brisé et surtout les blessures n’ont pas tarder à l’accabler. N’importe, c’était la première fois que l’on avait deux frangins yokozunas et leurs confrontations n’en avaient que plus de piquant.

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Takanohana, la classe, tout simplement.

En revanche j’aimais moins Akebono. Si le physique d’un sumo fait inévitablement partie des critères pouvant faire d’un combattant un rude adversaire, le physique hors norme d’Akebono donnait trop souvent lieu à des confrontations ennuyeuses, le géant hawaïen n’ayant qu’à avancer avec une démarche de Casimir à coups de tsuppari (les fameuses gifles portées sur le torse voire le visage de l’adversaire) pour balayer les vermiceaux ayant eu l’arrogance de monter sur le dohyô en même temps que lui. Après, je reconnais que voir son regard vraiment intimidant lors des préparatifs mentaux était quelque chose et que son imposante constitution rendait d’autant plus stupéfiantes ses défaites.

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Akebono et sa « hawaiian team » infernale.

Enfin, il y avait Musashimaru. Pour lui, pas de problème, j’adorais voir sa bouille exprimant un savant mélange de morgue et de menace. Moins complet que Takanohana mais tout aussi charismatique :

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Musashimaru, l’homme qui murmurait à l’oreille des morses.

Par ailleurs, d’après les témoignages, grand déconneur devant l’éternel :

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Mais euh ! Senpai, arrêtez de m’embêter !

Mais aussi gaillard qui n’était pas sans savoir jouer d’un certain sex appeal :

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Musashimaru, Ai Shinozaki, même combat.

J’ai un peu oublié les autres rikishis d’alors. Petit souvenir tout de même de Konishiki. Du reste comment l’oublier ? 1m84, 287 kilos, cet autre hawaïen était à la fin des années 90 dans ses dernières années de pratique et offrait souvent de décevantes performances. Mais voir ce golgoth sur le dohyô  donnait toujours le plaisir particulier d’assister à un spectacle à mi chemin entre un combat de sumo et un épisode de Grendizer. J’aimais cela.

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Musashimaru et son pote Konishiki (notez au passage la belle casquette).

Bref, quand j’ai découvert sur Eurosport l’univers du sumo, j’ai tout de suite eu un immense respect et une immense admiration pour ces otokorashiis que je me promettais bien de voir un jour pour de vrai au Japon, lors d’une séance d’entraînement du côté de Ryogoku ou lors d’un basho. Pas encore arrivé mais cela se fera un jour, soyez-en sûrs. Pour le moment, les seuls rikishis que j’ai pu voir c’était lors d’une halte à la gare de Nagoya (justement en plein basho) :

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… et du côté de Harajuku :

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Au passage, si vous vous demandez si être rikishi est un bon plan pour rabouller de la loute, la réponse semble être positive :

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165 Kg + paire de rouflaquettes = une bijin qui vous tombe dans les bras et qui est prête à marier. Bien ouéj’ Toki !

Du reste, ces gaillards sont d’une hygiène irréprochable :

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Toki shampouinait tous les matins ses rouflaquettes au shampoing parfumé au sirop d’érable.

En attendant d’autres occasions de voir les bestiaux cette fois-ci en pleine action, je dois me contenter des retransmissions à la télévision. Et là, énorme plaisir du fait qu’il ne s’agit donc plus de résumés sur Eurosport mais des retransmissions intégrales : deux heures pour couvrir les vingt matchs quotidiens, avec moult interviews, mini-reportages et, pour les matchs importants, l’intégralité des préparatifs mentaux avant la confrontation. Le tout bien sûr avec les commentaires japonais d’origine. Pas non plus une immersion dans la salle du tournoi, mais de quoi échapper au temps et être charmé par ces rituels avant chaque combat desquels va jaillir une explosion brève mais intense de puissance. Voir enfin ces rituels change tout. C’est toujours la même chose et pourtant, pour peu que l’on y prête une attention particulière, ils fourmillent de petits signes qu’il est intéressant de décoder pour prendre encore plus plaisir au combat. Il y a aussi un peu du plaisir d’esthète dans l’étrange ballet que font les deux lutteurs durant ces quatre minutes. On songe ici à la corrida, autre pratique ancestrale basée sur un affrontement. A la différence qu’on ne voit pas ici un torero en train de tortiller du cul, ne laissant quasi aucune chance à un taureau et pour lui prendre à la fin la queue et les oreilles, sinistre coutume qui m’a toujours fait applaudir des deux mains les renversements de situations – parfois mortels – de ces déplaisantes joutes à sens unique.

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Excellent Franquin !

Non, le spectacle est ici d’une nature autrement supérieure. Il vient d’abord des quarante rikishis qui vont apparaître à tour de rôle, sarabande de physiques de colosses qui ont tous leurs particularités. Taille, masse, graisse, musculature, pilosité, expression, couleur du mawashi, autant d’éléments qui particularisent chacun des combats.

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Olrik ! T’oublies nos super pouvoirs de Sailor Rikishis ! BWAHAHA !

Viennent ensuite ces quatre minutes de préparations mentales avant le combat. On guette alors ces détails visant à se gonfler d’assurance ou à défier l’adversaire. Ça peut être un regard, un geste, une attitude, une manière de jeter le sel sur le dohyô, autant de détails qui font des quatre minutes un moment aussi intéressant que le combat lui-même. Mais l’intérêt visuel ne s’arrête pas là. J’ai personnellement beaucoup de plaisir à observer les mouvements hiératiques des différents arbitres et à admirer leur splendide tenue. Par ailleurs, qui dit arbitre dit voix. Là aussi, l’aspect auditif n’est pas sans ravir encore un peu plus le spectateur. Il n’entendra jamais des exclamations émanant des rikishis au moment de l’effort. Pourquoi ? Je suppose qu’astreints pendant des années d’entraînement à un art martial visant à la maîtrise de soi et du geste parfait pour prendre l’avantage, se mettre à s’exclamer ou à bramer comme un Kuerten serait du dernier vulgaire. Les sons viendront donc de l’arbitre qui vise à stimuler les lutteurs quand la situation est bloquée, et bien sûr du public qui, tout japonais qu’il est, fait voler en éclats sa légendaire retenue pour exprimer tout son enthousiasme lors d’un combat. Les ralentis procurent d’ailleurs un dernier petit plaisir en permettant de voir les visages des spectateurs à l’arrière-plan. On pourra ainsi distinguer telle bijin en pleine hystérie, à vrai dire pas loin de la fureur utérine, ou tel vieillard absolument ravi, limite hilare, de s’être pris un rikishi dans la gueule lors de sa chute hors du dohyô.

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Typiquement le genre de plan que j’adore.

Tout cela explique donc que je ne trouve plus guère de temps pour voir des films et que je mette de côté mes qualités de Big Daddy toujours à l’affût d’activités pour les lardons. Après, Olrik Jr et Olrik the 3rd y trouvent aussi leur compte car ces séances de basho devant la télé donnent parfois lieu à d’enfiévrés paris sur l’issus des combats. Après six journées de compétition, on commence à avoir nos favoris. Totalement déconnecté du monde du sumo depuis un certain nombre d’années (le dernier nom que je connaissais était celui du yokozuna mongol Asashoryu), je me remets à niveau peu à peu. J’aime bien Ishiura et son physique modeste mais particulièrement athlétique. Le visage de Takayasu et son corps velu se sont bien inscrits dans mon esprit.

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Ne sous-estimez pas la légendaire puissance du poil !

Les trois yokozunas d’origine mongole ont eut tôt fait de me faire comprendre qu’ils n’étaient pas à ce grade pour rien. Quant aux Ozekis, j’ai bien compris que le gars Gôeidô était le chéri de ces dames. Moult voix féminines scandent en effet son nom, sans doute ardemment désireuses de voir leur chéri remporter un deuxième basho d’affilée pour lui permettre d’accéder au rang suprême de yokozuna. C’est en effet le principal enjeu de ce basho à l’issue duquel nous pourrions avoir de nouveau un « Big Four ». Vendredi, Gôeidô a concédé sa première défaite, rude combat qui nous a fait voir à la fin un Gôeidô sortir de la salle avec un visage tuméfié. Trouvera-t-il les ressources pour revenir d’attaque ? Il ferait bien car rien n’est encore perdu. Ils sont huit à disposer de cinq victoires pour une défaite et il ne reste plus que le yokozuna Kakuryû à aligner six victiores d’affilée. Le même Kakuryû qui doit aujourd’hui affronter Endo, qui a hier brillamment botté le cul d’un autre yokozuna, Hakuhô. Admirez le spectacle :

A suivre donc. On croise les doigts pour avoir droit à encore plein de belles surprises pour les dernières journées.

Edit : entre le moment où je tapais ces lignes et l’upload de l’article il s’est passé des choses. Goeido conserve ses chances, le suspense reste entier.

Bref je n’ai pas fini de passer de délicieuses heures à admirer ces joutes spectaculaires que le béotien a tôt fait de résumer à des duels entre des « gros tas qui se rentrent dedans » (expression de Sarkozy, si je ne m’abuse). Il s’agit bien de véritables athlètes, capables par exemple d’associer à la force et la puissance une étonnante souplesse :

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Hayateumi, Akane Hotaru, même combat.

Si avec tout cela vous n’avez toujours pas envie de vous essayer au sumo (on trouve plein de résumés des matchs sur Youtube), c’est que vraiment, vous êtes difficiles. Pour moi, je n’ai qu’un regret : c’est qu’une fois le basho de Fukuoka terminé, je vais devoir patienter un bon mois avant de suivre le suivant. Hâte d’y être, admirer les exploits de ces otokorashiis bien au chaud à la maison alors que dehors règne la froidure de l’hiver promet d’être particulièrement savoureux. Ça va être bien bon de déguster les derniers toffees rescapés des fêtes devant le…

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RIKISHI POWAAA !!!

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8 Commentaires

  1. Excellent. Tu sembles avoir trouvé l’ultime régime : bons livres, sumo. De quoi être pleinement d’attaque pour Noël.

  2. Bravo et merci pour cette évocation aussi passionnée que documentée.
    Sur ce sport/cet art effectivement si fascinant!
    J’avoue que, moi aussi, je suis accro.
    Que je peste de n’avoir le temps de m’offrir des petites pauses de boulot pour pouvoir mater cela. Et que, quand j’ai des loisirs, le choix est toujours déchirant entre 1/aller déambuler dans ma si chère Tokyo ou 2/allumer la télé et regarder le sumo.
    Qui, définitivement, est tout sauf un «combats de types obèses aux chignons gominés», «vraiment pas un sport d’intellectuels!» : si je me souviens bien de la citation exacte de Sarkozy (qui, décidément, là dessus non plus, n’a rien compris).
    Sinon, ce soir en ce moment précis, à la télé ici, c’est la retransmission du « NHK Trophy » de… patinage artistique. Un autre genre. Une autre physionomie. Mais, là aussi, des athlètes japs magnifiques.

  3. J’adore ton dilemme ! Moi, si j’habitais à/près de Tokyo, ce serait :
    1) Après le travail je vais déambuler dans les rues de Tokyo.
    2) Puis je me mate à la maison les matchs du jours, quitte à me coucher tard et à ressembler à un zombie le lendemain au boulot.
    Par contre je ne ferais pas cela pour le patinage artistique. Pas assez de coffre, pas assez de bide, pas assez de muscles.Mais j’y jetterai tout de même un oeil pour voir s’il y a une bijin en patins valable, merci du tuyau.

    Plus que deux journées de basho à mater (je me mate l’avant-dernière dans quelques minutes) et rien n’est joué, même si Kakuryu paraît bien parti. Regrettables défaites de Goeido en milieu de tournoi. Par contre jolies victoires d’Ishiura même s’il reste limité face à certains opposants.
    J’ai apprécié aussi la ténacité de Tochinoshin, seul rikishi blanc valable.
    Hakuho est un yokozuna magnifique. Pour moi un des combats les plus impressionnants du tournoi est celui contre Takayasu. Je me suis demandé si ce dernier allait être valide pour le lendemain. Les mecs sont quand même blindés. Ils ont beau avoir des techniques pour retomber sans se faire mal (j’imagine), il y a des moments où l’on se dit que même des rugbymen en comparaison feraient figure de frêles footballeurs.
    Vivement les deux dernières journées, et vivement le prochain basho.
    Olrik, il met un mawashi pour regarder comme il se doit le basho à la télé.

  4. En attendant ta prochaine chronique de dramas, jette un œil sur le pitch de celui-ci, j’ai envie de parier un billet dessus : http://asianwiki.com/Byplayers

    • Euh, clairement, là, si ce drama s’avère être un foirage, c’est à n’y rien comprendre. Direct dans la liste des prochains dramas à mater. Là, je termine ceux commencés pour la saison automnale. Des choses correctes mais rien de transcendant, à l’exception d’une série que pour l’instant j’apprécie beaucoup.

  5. Tu peux préciser le titre de l’exception ?

    Je compte faire une pause avec « Doctor-X » une fois la saison 2 terminée et je manque un peu d’inspiration…

    • Voici :
      null
      « Suna no tou ». Une famille (un couple et leurs deux enfants) emménage dans un luxueux building. Ils sont tout jouasses mais très vite la bourgeoise déchante : le petit clan de desperate housewives qui y habite ne tarde pas à lui mener la vie dure, notamment la cheftaine du troupeau. Ajoute à cela une mystérieuse voisine qui passe son temps à épier tout le monde avec des caméras de surveillance, des kidnappings d’enfants, un fils aîné un peu suspect et un père de famille aux abois, et tu obtiens un drama vraiment prenant. J’en suis au 7ème épisode et l’intérêt ne faiblit pas.

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