Nanami Minagawa est une jeune femme qui vient de trouver l’âme sœur sur internet. Enfin, « âme sœur » est un bien grand mot puisque ses confessions anonymes sur un réseau social semblent indiquer qu’il s’agit pour elle moins d’une véritable passion que d’un besoin de combler un vide. Bref la voilà devenue la petite-amie d’un jeune homme sans histoires, puis sa future épouse puisque le couple fait le projet de sauter le pas. Les deux familles sont d’accord pour le mariage, il ne reste plus qu’à organiser le repas de noces. Problème : Nanami ne voit que deux connaissances qu’elle pourrait inviter alors que son mari en a plusieurs dizaines. Elle décide alors de s’offrir les services d’une entreprise d’un jeune homme, Amuro, entreprise qui propose justement de faire venir des comédiens qui feront semblant d’être des proches à elle. Le mariage se passe bien mais quelques jours plus tard, Nanami découvre une boucle d’oreille dans son salon en faisant le ménage. Suspectant une tromperie de son mari, elle décide à nouveau de faire appel aux services d’Amuro afin d’en avoir le cœur net…
リップヴァンウィンクルの花嫁 (Rippu van winkuru no hanayome)
D’une durée de trois heures, A Bride for Rip Van Winkle m’a d’abord fait croire que j’allais assister à un film de la trempe d’un Love Exposure. Difficile en effet de ne pas être porté par la première heure durant laquelle on prend connaissance du personnage de Nanami. On assiste à sa rencontre avec Tetsuya, à leur mariage puis à une désagrégation de tout ce qui faisait son bonheur en carton. Découverte que son mari la trompe (c’est du moins ce qu’elle croit), machination qui la fait passer aux yeux de sa belle-famille pour une mauvaise épouse, expulsion ignominieuse du domicile conjugale, la condamnant à errer hagarde dans les rues avec deux grosses valises, tout cela constitue une heure serrée qui prend à la fois son temps tout en captivant le spectateur, lui donnant l’impression de n’avoir vu qu’une petite demi-heure.
On est charmé par l’aspect conte de fées moderne de la chose. Nanami est une sorte d’anti-Cendrillon. Pas de rêves sucrés d’un prince charmant, juste une envie confuse de faire comme tout le monde. Aussi porte-t-elle son dévolu sur le premier venu rencontré sur internet. Tout s’enchaîne ensuite avec le mariage qui arrive rapidement mais qui est lui aussi quelque peu vérolé. Nanami vit la consécration de son petit conte de fées personnel, mais tout cela sonne faux. Aux images de bonheur se superpose un certain malaise. D’abord à cause de ces comédiens qui ont été engagés, comme si montrer que l’on n’est pas solitaire, que l’on a un tas d’amis, était plus important que de montrer sa véritable vie, sans crainte du qu’en dira-t-on. Ensuite à cause du mari que le spectateur, du fait de quelques scènes précédant le mariage, a bien du mal à sentir. Bref, si dans un conte de fées ordinaire le mariage est le point d’arrivée qui satisfait tout le monde, il constitue ici un point de départ qui va propulser Nanami-Cendrillon dans une période trouble et l’amener à connaître les mêmes occupations que l’héroïne de Perrault puisqu’elle va se trouver contrainte de faire le ménage afin de gagner sa vie.
A cet instant du film, j’avoue, j’aurais aimé que les malheurs de Nanami se poursuivent. Pas de sadisme de ma part, non, juste une fascination liée à cette première heure parfaitement maîtrisée et qui aurait pu se prolonger encore une bonne heure sans aucun problème. Et puis, il faut évoquer aussi les activités d’Amano qui utilise des moyens très particuliers pour aider Nanami. On se gardera ici de révéler comment il s’y prend pour résoudre cette histoire d’infidélité au sein du couple Nanami-Tetsuya. Disons juste que le procédé utilisé lui donne une aura de bon génie de son temps, qui n’hésite pas à plonger les mains dans certains sombres aspects de l’humanité qui donnent au film un côté « conte de fées pour adultes » pas déplaisant. Nanami rencontrera par exemple une sorte de Barbe-Bleue et on craindra qu’elle ne soit obligée de passer à la casserole. Heureusement Amano interviendra mais d’une manière qui laissera planer le doute sur le véritable but de son action. Mais là encore, n’en disons pas trop. J’ai juste espéré qu’Iwai poursuive dans cette veine, avec une Nanami qui sombre et un Amano veillant dans l’ombre pour la relever à chaque fois.
Sauf que, voilà, le film change de braquet dès l’apparition de Mashiro (jouée par la chanteuse Cocco), AV idol qui s’amourache de Nanami. Dès lors commence de longues scènes où l’on voit les deux jeunes femmes s’épanouir dans leur nouveau bonheur. On voit bien ce qu’a voulu faire Iwai, montrer cette fois-ci une union réellement heureuse, épanouie, à mille lieues de ce qui est attendu comme modèle par la société. Il s’agit ici d’une relation gentiment homosexuelle entre une actrice porno et une femme qui a pour l’instant tout raté dans ce qu’elle a entrepris. On ne mettra pas en cause le côté gracieux de la chose, très bien mis en scène par Iwai mais justement, tout cela n’est pas non plus sans déboucher sur une impression de déjà vu. Voir les jeunes femmes esquisser gracilement des pas de danse fait aussitôt penser à Hana and Alice. Le néophyte pourra cependant apprécier, encore que le choix de Cocco, comparé à celui de Haru Kuroki dans le rôle de Nanami, n’est pas toujours enthousiasmant. Là aussi, on regrette d’autant plus que le film ne se soit pas davantage concentré sur le personnage de Nanami, personnage effacé mais magnifiquement incarné par Kuroki.
En tout cas, voilà, attendez-vous à un tunnel sentimental d’une heure et demie entre deux filles. Là aussi toujours dans une perspective de conte de fées. On remplace le prince charmant par une JAV idol charmante, le château par une somptueuse demeure dans laquelle il va falloir insuffler de la vie (on songe au château dans la Belle et la Bête). On n’oublie par le motif du baiser et celui de l’empoisonnement, et le film n’a plus qu’à connaître, après cet acmé féerique durant lequel Nanami a oublié ses rapports sociaux par le prisme de son portable au profit d’un réel lien humain, une conclusion vers la renaissance. Et là, il faut reconnaître qu’Iwai parvient à donner un regain d’intérêt à son histoire, avec une scène chez la mère de Mashiro, scène qui n’est là aussi pas sans rappeler Sion Sono. Pas tant Love Exposure mais plutôt Guilty of Romance, avec l’odieuse mère du personnage de Mitsuko. Influence sonoienne ou pas, la scène, réussie, nous montre l’ivresse – dans tous les sens du terme – qui saisit les personnages afin de surmonter une tragédie. L’hystérie a vraisemblablement une part de feinte mais qu’importe, ce que semble suggérer le film à cet instant et au regard du mariage mis en scène au début du film, c’est que la feinte peut permettre dans certains cas d’apaiser les âmes. Les acteurs du mariage sont finalement positifs en ce qu’ils permettent à la mariée de trouver une quiétude. Leur feinte est finalement plus acceptable que celle que la société oblige de mettre en place pour préserver on ne sait quelles convenances (ainsi l’écoeurement de la mère du marié qui jett les hauts cris en apprenant le stratagème de Nanami ou encore le fait que fait qu’elle a omis de préciser que ses parents étaient divorcés). La mère de Mashiro, au départ détestable, pourra à la suite de cette scène se retrouver en tant que mère vis-à-vis d’une fille dont on suppose que le métier d’AV idol n’a pas facilité les relations.
Quant à Nanami, ce sera la quiétude qu’elle retrouvera à la fin. Montrée au début sans cesse recroquevillée sur la minuscule fenêtre de son portable (variation du « miroir Ô mon miroir » de Blanche-Neige ?), on la verra à la fin au milieu d’un appartement lumineux, entourée de fenêtres qu’elle ouvrira pour regarder l’extérieur. La solitude domine mais semble alors préférable à l’amitié virtuelle de la première partie du film. Conclusion heureuse qui sauve le film in extremis d’une parenthèse sentimentale un brin longuette.
Hmm je me demande, quel est le rapport avec l’histoire de Rip Van Winkle ?
Rip Van Winkle est tout simplement le pseudo de Mashiro sur le réseau social qu’elle fréquente. Le titre donne un élément sur la nature de la relation Nanami-Mashiro qui est tout sauf liée au hasard.
Je vois, merci pour la précision.