Kaïro
Kiyoshi Kurosawa – 2021
Toujours un plaisir de revoir Kaïro, un des fleurons de la J-horror (en fait d’horreur, j’ai surtout horreur de cette appellation paresseuse, mais bon, passons), même si, après m’être enquillé récemment pas mal de films de Kurosawa, j’ai peut-être préféré certains de ses films plus courts (le contre-exemple de Kaïro serait ainsi le récent Chime, 45 minutes).
N’empêche, sorti juste un mois après Ring, il faut reconnaître que le genre était à la fête et que ce film couronnait un peu plus Kurosawa d’une réputation de réalisateur cérébral et efficace dans ses effets (Miike avoua un jour que Kaïro était le seul film de J-horror qui lui avait fait peur). Pas besoin ici de débauche d’effets spéciaux ou de maquillages fantômatiques qui finiront invariablement par être datés. Ceux qui ont vu Kaïro se souviennent sûrement de cette femme fantôme rencontrée dans une cave et de son déplacement en direction de l’un des protagonistes masculins. Voilà, le fantastique de Kurosawa, c’est juste ça, une femme habillée en tailleur qui marche droit devant elle. Et ça fonctionne parfaitement. Tout comme fonctionnent la kyrielle d’images d’ordinateur où l’on voit des individus semblant attendre ou errer à l’intérieur de leur appartement, parfois devant leur écran ordinateur.
Et l’on ne tarde pas à comprendre qu’il s’agit tout de même d’un peu plus que de la J-horror, que l’on glisse peu à peu dans un fantastique métaphysique. En fait, dès que le jeune Kawashima insère dans son ordinateur un cd-rom pour installer internet (à cette époque, on faisait ainsi) via un soft se nommant « Ur@nus » (Uranus était le dieu originel qui, craignant et haïssant ses enfants, avait décidé de les enfermer dans le Tartare, aux Enfers), on comprend que l’on est invité à cogiter sur la situation que va nous dévoiler Kurosawa et à réfléchir au-delà d’une simple histoire de revenants. On peut très bien prendre du plaisir si on ne le fait pas mais, comme toujours chez Kurosawa, le plaisir vient chez lui du miel que l’on peut faire à travers tout un repérage de signaux, de décodage, d’interprétation.
Ce qui m’a frappé lors de ce visionnage, c’est parfois l’absence de naturel lors des dialogues, absence de naturel qui, pour le néophyte qui ne connaîtrait pas Kurosawa, apparaîtrait comme le signe d’une maladresse, d’un script mal écrit. En fait, il donne surtout l’impression d’une terrible incommunicabilité préparant la solitude qui n’attendra pas la mort pour être déjà effective. Rarement Tokyo aura été montrée aussi dépeuplée à l’écran. Et pourquoi est-elle montrée ainsi ? Parce que tout le monde est mort et devenu un fantôme ? Ou bien parce que tout le monde est chez lui, aspiré par son écran d’ordinateur et vidé de sa substance ? Ce sera au spectateur de trancher. Une chose est sûre, la clé pour survivre est, comme pour les descendants d’Uranus, de retrouver – et d’y rester – la lumière, et ce sera tout l’espoir des dernières images – et du générique chanté par Cocco, après le score ténébreux de Takefumi Haketa.
7,5/10