Take aim at the police van (Seijun Suzuki – 1960)

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Un fourgon transportant des prisonniers est mystérieusement attaqué. Deux des passagers sont tués et Daijiro, le gardien chargé de les surveiller, récolte une mise à pied de six mois. Chômage forcé qu’il compte bien mettre à profit pour mener sa propre enquête…

 Depuis le Grand Sommeil d’Howard Hawks on sait combien la compréhension d’une intrigue ne pèse pas forcément lourd face à ce qui pourrait constituer le véritable plaisir au visionnage d’un polar, à savoir une simple utilisation – et si possible sublimation – des éléments constitutifs du genre. De l’action, un héros fort mais pas infaillible, des méchants patibulaires, une femme fatale, des cigarettes, de l’alcool, le tout accompagné d’une bonne photographie et d’une ambiance musicale jazzy et normalement, miracle, on se trouve face à une œuvre prenante et, dans le cas du Grand Sommeil, fascinante.

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Exemple tout ce qu’il y a de plus personnel d’une scène qui obtiendra toujours ma bienveillance.

Fascinante, nous n’en dirons pas autant de Take aim at the police van (Sono gosôsha wo nerae: Jûsangô taihisen yori) de Seijun Suzuki. Mais intéressante et plaisante, ça oui. Encore loin des délires formels du Vagabond de Tokyo et de la Marque du Tueur, Take aim constitue une entrée en matière intéressante dans l’œuvre de Suzuki en ce qu’elle se situe à la fois dans une approche classique et annonce les tentatives avangardistes de l’auteur.  Sans être bien sûr aussi déstructuré que la Marque du Tueur, film qui au bout d’un moment fait voler en éclats la narration, Take aim, malgré ses 80 minutes très resserrées, fait tout de même passer un moment un brin nébuleux au spectateur. Ce n’est pourtant pas faut d’être clair au début, l’enquête de Daijirô étant d’une incroyable linéarité. Il tombe sur un personnage qui lui dit qu’il faut qu’il aille voir X. Dans la scène suivante, que voit-on ? Daijirô qui rencontre X, lequel lui dit que chez Y il fera sûrement avancer son enquête. Scène suivante, il rencontre Y, etc. A ce stade on ne sait pas si l’on doit trouver l’histoire prenante ou monotone. On reste cependant intrigué, aidé en cela par l’excellente musique, la photo, évidemment maîtrisée chez Suzuki, ainsi que la galerie de personnages allant d’une vamp tireuse à l’arc à une délinquante en passant par des gangsters qui savent ce que défourailler veut dire.

Et puis, arrivé à un moment, il faut bien avouer que l’on se perd dans une intrigue qui, malgré sa structure très jeu de l’oie, a accumulé les informations, les personnages et les questions sur l’attaque du fourgon de police. C’est l’effet Grand Sommeil, avec en plus un soupçon de bizarrerie WTF?! typiquement suzukiesque quand Daijirô, accompagné de la belle Yuko, se trouve en fâcheuse posture lorsque les méchants du film décident de leur faire définitivement la peau. Cela pourrait être vite fait : pan ! pan ! dans la cafetière et on n’en parle plus. Mais non, pourquoi faire simple quand on peut faire débile ? Attacher les victimes dans la cabine d’un camion essence, le faire démarrer en allumant une traînée de gazole derrière, c’est tellement plus fun !

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On pourrait alors lever le ciel et décider d’arrêter le visionnage et pourtant, il faut reconnaître que les belles images de Suzuki ont fait leur effet et donnent envie de poursuivre le voyage afin de connaître l’identité du salopard derrière toutes les morts qui ponctuent le film, et qu’importe si les invraisemblances continuent d’être de la partie. Un peu comme Daijirô qui à un moment du film fait un mauvais rêve  en ressassant certaines images de ses rencontres avec différents protagonistes, le spectateur laisse le souvenir entêtant de certains plans faire son effet, souhaitant peut-être simplement être surpris par la photographie captant, par exemple, une femme dénudée tuée raide par une flèche :

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Un quidam balancé du haut d’une falaise à la sortie d’un virage :

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Un tueur dont on ne voit pas le visage et préparant un mauvais coup :

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Un homme écrivant mystérieusement « aki » sur la buée d’une vitre :

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Une vue subjective toujours très graphique chez Suzuki :

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Images fortes auxquelles on peut ajouter celles d’une femme archer, de la même femme arborant plus tard une paire de lunettes à grosse monture, paire répondant à celle de l’homme suivant les agissement du héros, images aussi de la femme archer accueillant le héros d’une curieuse manière ou encore de cet homme louche lisant le journal tandis qu’une délicieuse jeune femme ajuste son bas d’une non moins délicieuse manière :

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La secrétaire – Olrik san, vous m’emmenez voir Interstellar ce soir ?

Olrik san –  Nan, mais le septième ciel, je peux mon petit.

Take aim at the police van se présente donc comme un curieux mélange, mélange d’une intrigue qui se perd en cours de route mais qui compense par un trop plein d’éléments narratifs et surtout d’éléments visuels accrocheurs qui pour absurdes qu’ils soient parfois (autre exemple : Daijirô traîné par une voiture sur une centaine de mètres et qui se relève sans le moindre accro à son imper), n’en créent pas moins une atmosphère à la fois pulp et intriguante. Pas le chef d’oeuvre de son auteur, mais un polar plus que recommandable.

6,5/10

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