Shokuzai (Kiyoshi Kurosawa – 2012) 3/5

Troisième volet de notre série sur Shokuzai et là, une importante question se pose : n’y aurait-il pas chez Kurosawa un grand amateur de bijin qui sommeille ? Car enfin, quoi, vous admettrez qu’un tel drama peut être perçu comme le meilleur moyen de s’entourer d’une équipe qui sent bon :

C’est un point qui a largement été oublié par les intervenants divers qui ont posé moult questions inutiles à Kiyoshi lors de sa récente venue à Paris. J’eusse aimé lui posé quelques questions à ce sujet, m’est avis qu’on aurait été surpris.

Bref, pour ce troisième épisode, l’actrice s’appelle Sakura Ando. Et là, je dois dire que cette découverte m’a fait plaisir. Souvenez-vous, elle était l’actrice qui jouait la sectatrice perverse dans Love Exposure, celle qui émascule un jour son père :

Scène chaude inédite à 2:17, je répète : scène chaude inédite à 2:17 !

Seulement voilà : en fait de bijin génie du mal, on se retrouve cette fois-ci avec ça :

Une hikikomori aux cheveux gras et fringuée comme un sac

Les hikikomoris sont ces versions agravées de l’otaku qui restent reclus chez eux aux crochets de leurs parents. Et une nouvelle fois, cette façon de mener sa vie est à lier avec le traumatisme de la mort d’Emiri. Pourtant, le jour du drame, tout commençait bien pour la petite Akiko :

Elle se voit en effet offrir par sa tante une très jolie robe, lui donnant un aspect de petite poupée auquel la fillette ne semble guère habituée. C’est justement l’élément déterminant qui va conditionner ce que va devenir sa vie. Pour ses parents, l’affaire est entendue : Akiko l’a échappé belle. Si Emiri s’est fait assassiner, c’est justement à cause du fait qu’elle avait tout de la petite poupée adorable et il s’en est fallu de très peu pour qu’Akiko, avec ses beaux habits, n’ait été choisie à sa place. Du reste, à quoi bon se prendre pour ce que l’on n’est pas? Emiri était la fille d’un couple fortuné, ce que n’est pas Akiko. Ajoutons à cela que lors de la découverte du cadavre, Akiko a pour délicate mission d’aller prévenir la mère d’Emiri. Celle-ci, immédiatement hors d’elle, sort précipitamment de sa maison et bouscule brutalement la fillette qui saigne du nez…

… et souille irrémédiablement sa belle robe. Le motif du saignement du nez apparaît dans un autre épisode. Sans trop en dire, disons qu’il concerne aussi un autre personnage féminin dans une circonstance tragique. Elle l’est d’une certaine manière moins avec Akiko, mais reste symbolique de ce que va devenir son choix de vie. Les beaux vêtements, la mise en valeur de soi, tout cela est désormais entâché du drame et Akiko ne voudra plus en entendre parler. Elle sera désormais une fillasse négligée, une hikikomori ou plutôt, pour reprendre ses mots, une fille ourse.

Evoquons enfin un autre personnage : son frère Koji. Lors de son errance nocturne dans les rues à la suite du drame, Akiko tombera sur son frère qui la consolera et la ramènera à la maison. Une complicité particulière s’installe alors entre la soeur et le frère, celui-ci apparaissant comme une sorte de double (le titre de l’épisode est « frère ours et sœur ourse »). Mais on s’aperçoit rapidement dans cette série qu’il y a une sorte de malédiction en ce qui concerne les personnages masculins. Dans le premier épisode, c’était un mari percevant sa femme comme une poupée, dans le deuxième un collègue de travail a priori parfait mais qui s’avère en vérité lâche et fou, dans cet épisode il s’agit d’un frère là aussi a priori bien sous tous rapports, qui a réussi sa vie, qui a une jolie épouse et une jolie fille mais qui, d’un autre côté, donne d’alarmants signaux. Cela commence avec la rencontre de Koji dans un game center, un Koji donnant de l’argent à une collégienne :

De là à déduire que Koji est un pédophile, il n’y a qu’un pas. Mais l’idée fait son peu à peu son chemin dans l’esprit d’Akiko, surtout lorsqu’elle s’aperçoit que sa nièce semble terrorisée à l’idée de retourner chez elle le soir.

On le voit, une nouvelle fois l’héroïne du jour va être rattapée par son passé et avoir l’impression de le revivre :

Délaissant son affreux jogging, Akiko se métamorphose une nouvelle fois sous l’influence de sa belle-sœur et de sa nièce devenue sa grande amie. Elle redevient une poupée ou plutôt, se métamorphose en ce qu’elle n’a jamais vraiment été : une femme. Akiko, c’est un peu à la recherche du temps perdu, la chrysalide qui devient papillon après une période d’hibernation anormalement longue. La comparaison avec l’ourse est à ce titre bien plus juste qu’elle ne le pense. Les 15 ans qui la séparent du drame initial n’ont été qu’une longue hibernation dans sa tanière, à glander et jouer aux jeux vidéo dans sa chambre. En cela elle fait effectivement penser à un ours.

Mais il est dit dans ce drama que les personnages sont ancrés dans un naturel dont ils ne parviendront pas à se défaire. Un ours, c’est aussi quelqu’un muré dans un quotidien et qui a toutes les peines du monde à s’en extraire. Akiko aura beau faire, elle revivra bien son passé ce qui, en toute logique, doit avoir pour conséquence une nouvelle mue et un retour aux anciens oripeaux, retour qui ne se fera pas sans une montée progressive de la folie du personnage. Cette montée se fera en trois étapes :

Ici, elle quitte brutalement la voiture à l’arrière-plan car elle craint pour la vie de sa nièce. Elle n’est pourtant pas en mauvaise posture : elle est simplement avec son père devant un distributeur de boissons. Mais sentant un je ne sais quoi de malsain dans la scène, et revivant peut-être un obscur moment de son passé, elle décide de sortir brutalement de la voiture pour « sauver » la fillette (elle s’arrêtera au dernier moment). Il faudrait voir ici la scène telle quelle pour bien saisir la bestialité montante d’Akiko.

2ème étape : Akiko laisse son frère rentrer chez lui en compagnie de sa fille. Mais prise de remords, elle poursuit leur voiture, en vain. La détresse d’Akiko est alors soulignée par un violent éclairage en pleine face qui ne la quitte pas tout le long de sa course. Dans l’épisode précédent Maki, au moment de sa confession publique, bénéficiait aussi d’un jeu de lumière irréel, fantastique. Enfin, troisième étape :

Akiko découvre soudain dans sa chambrette un gigantesque ourse en peluche. Le gigantisme de l’objet évoque à la fois la force de sa nouvelle métamorphose en femme-enfant tournée envers elle-même mais aussi la résurgence absolue de ses vieux démons liés à une enfance pas vraiment réussie. Notons aussi, à côté de cette stylisation graphique, une utilisation d’une musique gaie, un poil grotesque, très inhabituelle chez Kurosawa, pour souligner le côté irréel des nouvelles décisions que prend Akiko pour exorciser son passé.

La dernière sera criminelle, particularité qu’elle partagera avec ses anciennes camarades de fait divers, comme si le remord de n’avoir pu empêcher (tuer) le meurtrier d’Emiri trouvait sa solution dans un meurtre à l’emporte-pièce. Lors d’une ultime rencontre avec la mère d’Emiri, elle comprendra douloureusement qu’elle n’en est pas quitte pour autant avec son ancien pacte. Elle a empêché de nuire un probable pédophile, mais le meurtrier d’Emiri court encore.

Il restera à Asako, la mère d’Emiri, une ultime cartouche en la personne de Maki. Mais à cet instant du drama, lorsque l’on voit comment ça sent la déglingue pour chacun des personnages, on se dit que c’est mal barré…

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5 Commentaires

  1. Décidemment cette série envoie du lourd… Edition DVD sous-titrée please. Je sais bien que le DVD c’est mort mais enfin bon, quoi…
    Euh, loués soit les timecode. 2:17 indeed.

  2. Enfin vu le second film de Shokuzai. Beaucoup aimé ce troisième chapitre, avec une actrice assez fantastique dans le rôle de cette fille-ours. On dirait une chronique familiale à la Kore-Eda qui verse dans le fantastique. Il en faut vraiment très peu à Kurosawa pour instiller une inquiétude, un malaise, comme ce simple geste du frêre dans la voiture tendant son bras devant sa belle-fille, « réclamant » de lui faire une caresse sur sa tête (comme celle qu’il faisait à sa frangine). Les irruptions soudaines de la fille ours hors de la voiture ou dans la rue sont impressionnantes, sans que Kurosawa ait besoin d’en faire trop. Sur l’attitude du frêre, il demeure une ambiguïté jusqu’à la fin. Excellent épisode, peut-être mon favouri des quatre (ah, l’utilisation de la cornemuse quand Akiko cède à sa folie, il n’avait aps déjà utilisé cet instrument dans le BO de Tokyo Sonata d’ailleurs ? Ou était-ce dans Loft ? Ou je confonds total avec autre chose ?).

    (visionné l’extrait de Love Exposure, ça fait drôle de voir notre fille-ours toute fillasse dans cette scène !)

  3. Difficile à dire si c’est celui que je préfère mais c’est clair que c’est l’un des épisodes qui laisse le plus de traces dans l’esprit.
    Pour la cornemuse, j’ai d’abord pensé que tu confondais avec Suicide Club de Sono, lors de la scène d’ouverture. Vérification faite, ce n’est pas de la cornemuse mais de l’accordéon. Dans les deux cas, c’est un instrument totalement inattendu qui fait irruption. Mais je pense que tu as raison, la cornemuse apparaît dans d’autres Kurosawa. Tokyo Sonata, je ne pense pas, j’ai souvenir de sonorités genre mellotron et c’est tout. Peut-être Seance, à vérifier. Et Charisma, je l’ai revu il y a quelques mois, j’ai souvenir de passages musicaux totalement incongrus.

  4. La cornemuse apparaît dans Seance avec la séquence du Doppelganger (pour ceux qui l’ont vu). Et peut-être bien dans son film Doppelganger justement, mais à vérifier je me souviens plus trop de ce film.

    Sinon pour Shokuzai, excellent épisode celui-là oui, le meilleur également pour moi même si tout le reste (le premier est glaçant lui aussi…) est excellent, mis à part le dernier que je trouve un gros cran en dessous.

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