Ceci est la sixième critique cinéma que j’écris et la deuxième sur un film où il est question d’un camionneur en tant que personnage principal. Indéniablement, je pars sur des statistiques intéressantes. Mais cela ne durera pas, ce n’est que le hasard. En tout cas, le lien entre Vibrator et les Camionneurs salopards est bien mince. Dans le dernier film, on a droit à un univers de camionneurs qui sent fort sous les aisselles. Rien de tel dans Vibrator. Et pourtant, pourtant, si vous dites que vous venez de voir un film où il est question d’une histoire d’amour entre une jeune femme et un camionneur, et que ce film s’intitule Vibrator, il y a fort à parier que cela déclanche une étincelle égrillarde dans l’oeil de votre interlocuteur. Et si en plus vous croyez bon de préciser qu’il y a au bout d’un quart d’heure de film une scène de fornication dans la cabine d’un camion et une autre de fellation juste avant la fin de la première demi-heure, peut-être que des plaisanteries plus ou moins grasses à propos de vos goûts cinématographiques commenceront à fuser.
En fait, gras, poisseux, vulgaire, complaisant, Vibrator ne l’est pas. Son réalisateur, Ryuichi Hiroki, a beau venir des pinku, les fameux films érotiques japonais, il ne cède pas à la facilité d’enchaîner les scènes dénudés. Quand on observe sa filmographie générale, on s’aperçoit que son intérêt se porte depuis quelque temps sur des personnages féminins mal dans leur peau et souvent en mal d’amour. C’est le cas du magnifique personnage principal de Vibrator, Rei. Elle a d’abord 31 ans, âge fatidique pour une jeune femme japonaise (même si les mentalitéssont en train de changer), âge qui doit inciter fortement à penser à fonder un foyer. Ensuite, elle a un fort penchant pour l’alcool, penchant qui s’accompagne de celui de se faire vomir. Oublier qui elle est et expulser ce qu’elle est, telles sont les deux faces de son mal être. La première scène du film nous la montre dans un convini. Une voix off nous donne accès à ses pensées. On comprend tout de suite que l’on a affaire à quelqu’un de solitaire, d’un peu paumé, d’un peu révolté. D’autant que cette voix off a un quelque chose de malsain. Sont-ce vraiment les pensées de Rei ? On a l’impression qu’elle est incontrôlée, comme dissociée de Rei. Plus tard dans le film nous apprendrons qu’il s’agit de « voix » qu’elle entend et qui soeraient finalement comme un symptôme des crises d’angoisse auxquelles Rei est sujette.
La rencontre avec Takatoshi, un jeune camionneur, va l’aider à suivre une véritable thérapie et à combattre ces voix. Mais ici pas de psychiatre ni de divan. Juste un camionneur et la cabine d’un poids lourd. Le sexe sera la première étape de la rédemption de la jeune femme. Après deux scènes crues mais d’une belle justesse, Rei parvient à trouver un meilleur équilibre. Mais le chemin seraencore long, comme celui que suit le camion pour faire une livraison à Niigata, au nord du Japon. Durant une heure, nous suivrons les deux personnages et leurs conversations sur tout et sur rien, leurs moments de parfaite entente, les rechutes de Rei, jusqu’à leur séparation au point de départ de leur rencontre : le convini du début.
Fin positive ou négative, nous ne le révélerons pas. Sachez juste que la structure du film, en apparence monotone, parvient durant l’heure et demie que dure le film à capter l’attention du spectateur. Il faut dire que le portrait de Rei est un magnifique portrait de femme, complexe et superbement interprété par Shinobu Terajima. Nao Oumori, jouant Takatoshi, n’est pas
en reste avec sa composition d’un personnage d’abord intéressé par l’aspect sexuel de la relation puis peu à peu attaché par la complexité de Rei. Le duo fonctionne parfaitement et l’on prend vraiment plaisir, malgré les dialogues encore une fois pas toujours d’un grand intérêt (mais cela participe d’une démarche réaliste), à accompagner les personnages dans leur cabine. A cela s’ajoute des plans magnifiques d’un Japon enneigé, un peu endormi, et une musique parfaitement choisie. Je pense notamment aux quelques secondes d’un plan durant lequel la caméra, postée dans un hélico, tournoit autour du bahut roulant sur une petite route enneigé et au milieu de petites maisons typiquement japonaises, sur l’air de Shin Shin Shin, excellent morceau de Happy End (dans mon article sur ce groupe, vous trouverez le lien pour entendre cette chanson). Moment anodin, sans intérêt narratif, mais qui contribue parfaitement à rendre compte du tempo sentimental dans lequel se trouvent à ce moment les deux personnages. Ils sont pris dans un élan positif, et le spectateur prend alors plaisir à les accompagner dans cet élan.
Un dernier mot sur le titre. Pourquoi Vibrator ? Bon, tout d’abord aucun rapport avec les sex toys. Le mot renvoie plutôt au vibrateur des téléphones portables. Plus précisément, il renvoie à la scène de la rencontre entre Rei et Takatoshi. Lorsqu’elle l’aperçoit, l’appareil, placé dans un poche de son manteau au niveau du coeur, se met à vibrer. Le
symbole est clair, c’est le coup de foudre. Mais que ce symbole se fasse par le biais d’un appareil symbolisant aussi la solitude (à plus forte raison dans un pays comme le Japon) n’est pas innocent. Les repères de Rei (sociaux, culturels…) sont sans doute brouillés et contribuent à alimenter son mal être. A ce titre, on peut voir dans la belle scène de la cérémonie shinto du milieu de film le symbole d’un remède à cette confusion de Rei. Au coeur-portable du début du film répond une cérémonie dans laquelle des familles (symbole, symbole…) contemplent une kyrielle d’énormes bougies allumées au milieu d’un décor enneigé. Cette chaleur surgissant au milieu du froid pourrait être celle qui jaillit peu à peu d’une personne à la vie jusqu’à présent glaciale. Et que l’homme qu’elle ait choisi soit blond n’est peut-être pas innocent. En tout cas cette scène ne suffira pas à guérir complétement Rei de son mal, tout comme l’uillusion d’aimer un autre ou d’être aimée de cet autre. La solution résidera dans ces quelques mots : apprendre à s’aimer soi-même.
Il n’existe pas d’édition DVD française de Vibrator. L’édition japonaise possède les sous-titres anglais.
Bande annonce japonaise :
J’ai beaucoup aimé.
La 1ère partie du film est très rafraichissante, en bon road-movie bien fun. Quand Rei se remet à entendre des voix, le superbe jeu de Terajima a vite fait de nous rendre dépressif…
Peut-être aussi parce que la caméra assez tremblante dans le camion nous donne une plus forte impression de proximité avec les personnages, comme si on filmait avec un caméscope.
Et bien qu’assez ouverte, la fin n’est pas si désagréable, c’est assez rare je trouve.
Merci. 🙂
Pour ma part, 1er film d’Hiroki vu, et de très loin mon préféré. Si tu as aimé, tu peux apprécier je pense son « It’s Ony Talk » avec encore une fois Terajima dans le rôle d’une fille dépressive :
http://www.youtube.com/watch?v=mcdedK_6eno
Faudrait que je me mette au parfum sur ses derniers films, c’est un réalisateur que j’ai un peu oublié – à tort.
Je vais voir si je peux le trouver, ça a pas l’air trop mal. Je suis juste limité par la présence sous-titres pour l’instant… 🙁