De 2004 à 2006, Ryuichi Hiroki semble s’être évertué à mettre en scène des histoires dont les héroïnes sont des femmes plus ou moins névosées ou dépressives. Dans Vibrator, Shinobu Terajima interprétait ainsi Rei Hayakawa, jeune femme en proie à de terribles crises d’angoisse. L’amant nous montrait Nozomi Ando jouant Chikako, jeune fille désoeuvrée acceptant de vendre ses services sexuels pour un an à trois amis d’âge mûr. Dans It’s Only Talk, on retrouvait à nouveau Shinobu Terajima, et à nouveau dans le rôle d’une trentenaire dépressive.
Ces trois personnages, en dehors de leurs problèmes psychologiques, ont un point commun : le sexe est à la fois le point de convergence de leur névrose, sorte d’acmé sordide, mais aussi le moyen qui va leur permettre de se reconstruire, avec les effets indésirables que l’on peut craindre.
L’héroïne du dernier film d’Hiroki, M, n’échappe pas à ce type de personnage féminin. Épouse modèle, mère aimante, belle, encore jeune, Satoko est une femme parfaite. Pourtant, dès les premières minutes, on comprend que cela ne va pas durer, des grains de sables vont s’insérer dans la machine trop bien huilée de cette famille. Satoko a par exemple conscience d’être dans une trentaine encore largement désirable. Il est vrai que l’actrice, Miwon, a une plastique plutôt agréable :
Le problème est que son mari est un peu à l’image de nombre de pères de familles japonais : il est aux abonnés absents, indifférent par exemple au déshabillage pas vraiment innocent de sa femme avant de rejoindre la couche conjugale.
Montée de désir inassouvi : Satoko s’aperçoit
que son mari vient de s’endormir.
Dès lors, son quota d’affection, Satoko va aller le chercher dans les bras d’autres hommes en se prostituant et c’est à partir de cette décision que le spectateur va assister à une gentille petite descente aux enfers.
Les passes vont d’abord se faire sous la protection d’un maquereau puis en toute autonomie. Satoko ne tardera pas à tomber sur un yakuza qui la forcera à travailler pour elle. Pas le choix : il la prendra évidemment en photo dans des postures indécentes, histoire d’avoir un moyen de pression sur elle. Enfin, cerise sur le gâteau du sordide, des photos pornographiques de cette mère angélique circuleront sur le net et, évidemment, son mari tombera sur elles par hasard.
Au corps ignoré par le mari succède le corps violé par le futur maquereau.
On est parti pour une jolie petite implosion familiale. Mais c’est sans compter avec l’arrivée d’un autre personnage : Minoru. Minoru est le double de Satoko. Ce sont en fait les deux « M », l’un pour Minoru donc, l’autre pour « Mother ». Figure œdipienne (il a tué son père et a participé indirectement – ou peut-être directement, les images ne nous le montrant pas – au viol collectif de sa mère), Minoru ne ressent pas vraiment le besoin d’avoir des rapports sexuels (malgré les tentatives répétées d’un de ses collègues de travail pour le dévergonder).
Minoru et le fils de Satoko : L’ancien gamin traumatisé et le prochain ?
De quoi a-t-il besoin d’ailleurs ? On le suit en train de fricotter avec des marginaux, fumer sans conviction un peu d’herbes, participer impulsivement à un viol, sa vie intérieure apparaît totalement vide, finalement comme celle de Satoko. Arrive la rencontre avec cette dernière et c’est le choc. Il est tout de suite frappé par ce qu’elle fait lorsque son mari est au travail et semble tout de suite désireux de lui venir en aide.
Drogue, baise et mort : trois tentations sans effets sur Minoru.
L’aide apporte sera à l’image du jeune homme : brutale. On en vient d’ailleurs à se demander si ce « M » ne désignerait pas « masochisme ». Les multiples allusions au « S&M » iraient assez dans ce sens, tout comme d’ailleurs la personnalité de Satoko. On peut voir dans l’attitude de cette mère de famille parfaite comme une volonté de se faire mal, de s’autodétruire devant une vie familiale certes parfaite mais sans saveur. Et puis, il y a cette scène finale dans une chambre de Love Hotel. Sans le révéler, il y a un attachement physique (dans le sens que Satoko est attaché par les poignets) qui ne sera qu’un prélude à un déferlement de violence duquel sortira la vérité sur la réelle motivation de Satoko.
Recherche du double intérieur.
M peut se voir comme une fable sur la famille japonaise avec ses deux faces : l’une sombre, avec ses tromperies liées à l’absence d’un père toujours fourré au travail ; l’autre lumineuse, liée à l’amour ishin tenshin, l’amour qui n’a pas besoin de se dire (la dernière scène en est l’illustration parfaite).
Mais on peut aussi l’apprécier en se limitant à ce beau portrait d’une femme débordée par un traumatisme originel. Nul doute que ceux qui connaissent et qui ont aimé les films sus mentionnés seront conquis par les hésitations affectives de cette femme à la recherche d’un père, mais qui se révélera dans son rôle de mère.
M est disponible chez Happinet sans sous-titres
Je n’ai pas vu le film mais la façon dont tu en parles, ça m’a tout l’air d’un « Visitor Q » abordable pour les pisseuses. Je ne veux pas savoir qui a inspiré qui mais même le titre est ressemblant!
Ça ne m’avait pas frappé sur le coup, mais il y a du vrai dans ta comparaison, même si le personnage a dans le film d’Hiroki une motivation psychologie. Le ton est aussi plus réaliste.
En fait, si je devais faire un lien avec un film de Miike, ce serait peut-être avec « Sun Scars », drame familial épouvantable, à déconseiller aux pères de famille. Tu connais?