L’Ange Rouge (Akai Tenshi)
Yasuzo Masumura – 1966
En visionnant pour la première fois l’Ange Rouge, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à La Bête aveugle, que Masumura réalisera trois ans plus tard. C’est que dans les deux cas, on est en présence d’une histoire d’amour un rien maladive entre deux êtres enfermés dans un lieu chaotique, graphiquement dantesque.
Ainsi, dans l’Ange Rouge, on suit le quotidien sur le front d’un chirurgien et de son infirmière. Pas vraiment de permissions pour eux, ils doivent rester pour soigner ou, plus précisément, trancher, couper, amputer – ce que pratiqueront d’ailleurs les deux amants déviants de La Bête aveugle. Visuellement, c’est à la fois beau et éprouvant. Porté par le noir et blanc, le film plonge le spectateur dans un univers gangréné par la mort, le tout avec un fort sentiment d’absurdité. Car comment se satisfaire d’amputer les deux bras d’un jeune soldat qui ne pourra plus espérer vivre « comme avant » ? Le docteur Okabe, lui, est lucide par rapport à ce que ses interventions peuvent avoir d’absurdes. Et pour mieux le supporter, il se drogue à la morphine. Alors qu’on lui assigne une infirmière avec le physique d’Ayako Wakao (y a-t-il en ce monde un docteur qui serait capable de se concentrer sur son travail avec juste à côté de lui une Ayako Wakao ?), lui, sans non plus être indifférent à la persona de l’infirmière, refuse de voir l’amour qu’elle ressent pour lui. Il est donc lui aussi, d’une certaine manière, aveugle, comme le personnage du sculpteur de l’autre film.
Mais là aussi, autre point commun, c’est au milieu d’une implacable ambiance de mort que va poindre le désir et, dans le cas des deux personnages de ce film (c’est un peu différent avec La Bête aveugle), l’amour. Si le travail d’Okabe est de maintenir la vie dans le corps de de ses patients, celui de l’infirmière Nishi sera de le ramener à la vie, psychiquement (elle l’attachera pour l’aider à surmonter son manque par rapport à la morphine) et sexuellement. Moins explicite que pour La Bête aveugle, Masumura se contente de brefs plans érotiques (en faire davantage aurait été de mauvais goût) suffisants pour donner de la puissance à Eros qui s’invite de manière inattendue chez Thanatos. Plus étonnant : la scène où est suggérée l’impuissance d’Okabe et que le personnage de Wakao glisse la main sous les draps pour vérifier l’état du sexe de son amant. Cette mort, qui prolifère jusque dans le corps de celui qui a pour mission de protéger la vie, l’infirmière, cet ange rouge, a pour mission, elle aussi, de la remplacer par la vie (dans La Bête aveugle, les positions sont en revanche inversées puisque c’est le sculpteur qui vise à éveiller le désir chez sa séquestrée). Rien de graveleux bien sûr dans tout cela. Commençant comme un rugueux film réaliste (et anti-militariste), il se mue en une histoire d’amour, de celles qui laissent en mémoire l’image d’un couple inoubliable à la fois dans le monde et hors du monde, campés par deux acteurs et filmés par un réalisateur tous en pleine possession de leurs moyens.
8,5/10