Home From The Sea (Furusato)
Yôji Yamada – 1972
À quoi ressemblerait un film de Tora-san sur un mode sérieux, dramatique, en phase avec les transformations industrielles de l’époque ? Probablement à Home from the sea. D’abord parce qu’on entre dans un territoire connu : outre Chieko Baisho, on retrouve Gin Maeda (cette fois-ci dans le rôle d’un beau-frère parti vivre à la ville), Chishû Ryû (dans le rôle du beau-père) et enfin Kiyoshi Atsumi dans celui d’un modeste poissonnier. À cela s’ajoute le goût de Yamada pour les petites gens, pour une pauvreté qui s’accomode d’elle-même et dont la richesse vient de liens tissés avec le voisinage et de profondes racines dans un endroit qui a une âme, une histoire.
Mais voilà, si dans Tora-san la famille Kuruma s’accommode de sa relative pauvreté (les friandises fabriquées par l’oncle et la tante leur permettent finalement de vivre sans trop de soucis financiers ; quant à Torajirô, c’est la débrouille érigée en art de vivre), ce n’est pas le cas de la famille de Seiichi Ichizaki, marin qui utilise son modeste bateau en bois pour transporter des rochers sur des sites de construction. Son vaillant navire vieillit, le moteur montrant des signes de faiblesse, et il ne peut surtout lutter contre les titanesques bateaux en acier qui peuvent transporter dix fois plus de poids. Ajoutons qu’une fois le réservoir rempli d’essence, il ne reste quasiment plus rien pour subvenir à la famille d’Ichizaki, composée d’une femme, de deux filles et de son vieux père.
Dès lors, que faut-il faire ? Suivre l’exemple de son frère, parti vivre à Hiroshima, départ qu’il a pris comme une trahison ? Ou bien rester et réparer le moteur, quitte à s’endetter ? Au-delà de l’aspect financier, vital pour lui et sa famille, il y a l’aspect existentiel : on n’imagine pas les Kuruma quitter un jour leur cher quartier de Shibamata. Eh bien, c’est ce qui est en train de se jouer pour les Ichizaki.
Pourtant, les images de leur village n’ont a priori rien d’extraordinaire (les couleurs sont plus délavées par rapport à celles d’un épisode de Tora-san, donnant un aspect quasi documentaire au film). Mais c’est à cette époque toute la magie de Yamada qui, associé au fidèle Tatsuo Takaha à la photographie, et bénéficiant d’une musique discrète et inspirée de Masaru Satô, parvient à rendre touchante l’atmosphère de ce trou perdu ainsi que les réticences du couple à le quitter.
Cela dit, le départ semble inéluctable, ce qui ne sera pas le cas du personnage joué par Kiyoshi Atsumi qui, au passage, montre qu’il était parfaitement capable de ne pas se limiter à son personnage de Torajirô. Pourtant, d’une certaine manière son personnage de poissonnier y fait penser. Il n’a pas de boutique, il se contente de vendre sa marchandise dans la rue avec une gouaille tranquille. Mais cette fois-ci, ce ne sera pas à lui de quitter la ville à la fin de l’histoire. Son personnage, à l’image de celui de Chishu Ryû, a eu la chance de pouvoir enfouir profondément ses racines dans le village, et il ne demande rien d’autre que d’y passer toute sa vie – et on peut penser qu’il y parviendra, on n’imagine pas un poissonnier mettre la clé sous la porte dans un village côtier). En plus d’être le témoin d’un bout de son histoire, il sera sa mémoire, son âme pourrait-on dire, tant le personnage incarne (tout comme Torajirô) une sorte de sensibilité populaire, mélange de simplicité et de bienveillance.
Par rapport à l’esthétique de la célèbre saga de Yamada, Home from the Sea pourrait donc être perçu comme une proposition inversée à un film de Tora-san. Moins comique (même pas du tout), plus grave, et en même temps d’une belle fatalité qui se contente d’accepter plutôt que de gémir, un peu à l’image de ces jeunes gens partis vivre à la ville dans Harakara. C’est ainsi, c’est l’époque qui le veut, mais d’un autre côté, cela n’empêche pas les souvenirs et, qui sait ? la possibilité un jour d’un retour.
Un très beau film qui ferait presque regretter que la saga Tora-san ait été aussi tentaculaire dans la filmographie de Yamada.
7,5/10