Le Jardin des Mots (Makoto Shinkai – 2013)

Après une incursion plus ou moins réussies sur les plates-bandes des studios Ghibli et Gainax, Makoto Shinkai nous est récemment revenu avec un moyen métrage de 46 minutes de la même veine que 5 centimètres par seconde : le Jardin des Mots (Kotonoha no Niwa). Retour salutaire à mon avis tant Hoshi wo o koudomo, quoique visuellement réussi et truffé de péripéties, me semblait mal soutenir la comparaison avec la poésie contemplative de 5cm. Goro Miyazaki avait récemment une jolie séquence dans sa Colline aux coquelicots, séquence où l’on voyait l’activité urbaine de Yokahama, avec ses hordes de travailleurs retournant chez eux en tramway, laisser peu à peu la place aux activités nocturnes. Très jolie scène accompagnée d’Ue o muite arukou de Kyu Sakamoto pour achever de baigner les quelques minutes dans une doucereuse nostalgie :

Tout cela offrait une bien belle représentation de la ville. Après, voilà : quand Makoto Shinkai décide de sortir l’artillerie lourde et de magnifier la vie urbaine, difficile de rivaliser. Dire qu’il est le successeur de Miyazaki le père comme on peut le lire ici et là n’a guère de sens tant leur démarche est différente. Mais il faut reconnaître à ses films une puissance visuelle qui n’a pas vraiment d’équivalent actuellement. Shinkai, c’est un peu un Caspar Friedrich qui serait tombé dans le monde de l’anime et de l’ordinateur. Chacun de ses plan est un tableau emprunt de mélancolie où l’homme, perdu dans un microcosme urbain ou naturel, doit faire face à sa solitude. Rien de bien changé depuis 5 centimètres par seconde. Mais pas vraiment non plus de lassitude pour le spectateur qui se prend en pleine poire avec délectation chacun des plans. On est proprement sidéré par le rendu des textures, le souci des détails, la somptuosité des arrières-plans et la grâce du jeu entre les couleurs et la lumière. Du coup l’histoire importe peu. Alors qu’elle était relativement élaborée dans Hoshi wo ou Kodomo, elle tient ici sur un timbre poste :

Un lycéen, Takao, rencontre un jour dans le jardin de Shinjuku une jeune femme d’une vingtaine d’années, Yukari Yukino. Le courant passe et les personnages prennent l’habitude de se retrouver au jardin, mais seulement les jours de pluie. Un peu plus tard Takao découvre que Yukari est en fait professeur de littérature classique dans son lycée mais qu’elle a décidé de quitter son poste à cause de quelques élèves qui répandent de sales rumeurs à son sujet…

Voilà en gros les grandes lignes, il n’y a pas grand-chose à ajouter. Comme pour 5cm, ce sera suffisant pour envelopper le lecteur dans une histoire d’amour a priori malheureuse, ou plutôt une histoire d’amour qui permettra au héros de se lancer dans la vie. C’est peu, et en même temps largement suffisant. Le lecteur est plongé dans un climat d’attente créé par un sentiment amoureux qui peine à se formuler. Dans 5cm la frustration venait d’un éloignement spatial. Dans le Jardin des Mots il s’agit d’un éloignement lié à l’âge des personnages. Evidemment, le motif de la liaison élève-professeur peut faire peur, peut apparaître cliché, et pourtant, à la sauce Shinkai force est de constater qu’à aucun moment il ne suscite le sourire. Bien au contraire, on est stupéfaits de voir combien Shinkai parvient à faire vivre ses personnages et à faire résonner en eux des émotions qui se manifestent par des détails ou des situations inattendues. Ainsi cette scène où Takao prend les mesures du pied de Yukari afin de lui confectionner une paire de chaussures (le jeune homme se destine à être cordonnier).

En fait, l’histoire  est à l’image des pluies antédiluviennes qui  ponctuent la quasi intégralité du film. Les sentiments n’ont pas pour vocation à être exprimés mais à se diluer dans le moment et le lieu. De l’extérieur il ne se passe rien, mais à l’intérieur c’est clair que ça s’agite. C’est un spectacle de peu de choses, mais un spectacle simple, beau et sans cesse renouvelées par l’inventivité des plans et l’incroyable beauté des couleurs. Oui, clair que ce Shinkai-là, on en redemande. Avec peut-être une once de seinen en plus, quelque chose comme un soupçon d’Inio Asano dont les mangas ne sont pas sans points communs avec l’oeuvre de Shinkai. Une adaptation d’Oyasumi Punpun par Shinkai… on imagine la tuerie que ce serait….

7/10

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Un Commentaire

  1. Très bon article.

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