Your Name (Makoto Shinkai – 2016)

Mitsuha est une lycéenne qui vit dans un coin paumé dans les montagnes. Fille d’un maire à l’autorité pesante, elle ne trouve rien de bien réjouissant à l’idée de passer sa vie dans ce bled. Elle ne rêve en fait que d’une chose : monter à Tokyo.

Justement, Taki est quant à lui un lycéen qui vit à la capitale. Rien d’anormal pour lui, il a des amis et sa vie de lycéen est rythmée par un petit boulot dans un restaurant italien. Toutefois, un beau matin, il se réveille dans la peau… d’une jeune lycéenne habitant dans un coin paumé dans les montagnes.

君の名は (Kimi no na wa)

Le visionnage de Kimi no na wa est tout frais et je ne vais pas bouder mon plaisir : ç’a été un pur enchantement. Comme c’est le premier film de Shinkai que j’ai pu voir sur grand écran, il faut reconnaître que sa maestria formelle, avec notamment ce goût pour les décors hyperréalistes débouchant sur une certaine poésie, en met plein la vue et n’a rien à envier à d’autres expériences de films d’animation vécues au cinéma comme, par exemple, le Voyage de Chihiro ou plus récemment Belladonna lors de sa ressortie (Akira étant hors compétition).

Donc, oui, si vous vous demandez si Your Name vaut son billet d’entrée et les 14 milliards de yens engrangés au Japon, rejoignant et dépassant certains high scores de Miyazaki lui-même, oui, trois fois oui, vous pouvez y aller les yeux fermés. Vous êtes réfractaire au style Shinkai ? Vous vous êtes emmerdés devant 5 centimètres par seconde ou avez trouvé que le Voyage d’Agertha était une pâle resucée d’un certain imaginaire ghibliesque ? Pas de crainte à avoir dans le cas de Your Name : gardant sa poésie formelle mais mettant de côté son grand esprit de sérieux (esprit qui a culminé lors de Garden of Words) au profit d’un rythme narratif et d’une touche humoristique inhabituels chez lui, Shinkai livre un film complet sans renier son goût pour les affres psychologiques de jeunes personnages et celui pour les histoires d’amour torturées. D’une certaine manière, il signe à 43 ans un magnifique chef-d’œuvre et le place subitement au coude à coude avec Mamoru Hosoda dans la course pour devenir le nouveau roi de l’animation japonaise après le départ en retraite de Miyazaki (dont j’ai peine à imaginer un énième retour).

Voilà pour les lauriers.

Maintenant, les réserves.

Un tel succès attirant infailliblement les critiques, il a pu se dire du côté du Japon que Shinkai avait perdu de son âme afin de vendre le plus de tickets d’entrée. Dixit en gros le co-fondateur de Gainax Toshio Okada ainsi que l’auteur de Golden Boy, Tatsuya Egawa. Petite perfidie d’esprits rongés par la jalousie ? On peut se contenter de cette explication. Et pourtant, j’avoue que je garde un souvenir émerveillé de mon premier visionnage de 5 centimètres par seconde qui reste à ce jour, quoi qu’on en pense, le premier véritable chef-d’œuvre de Shinkai. A tel point qu’à certains égards Your Name pourrait être perçu comme un remake mainstream de 5 centimètres. Difficile en effet lors des scènes finales, d’abord dans le train puis dans la rue, sur l’escalier, de ne pas penser à la fin de 5 centimètres. Comme hanté par le chef-d’œuvre qui lui a valu une reconnaissance internationale, Shinkai semble avoir voulu reprendre certains de ses motifs mais en y injectant, pour que cela passe mieux auprès de ceux qui auraient eu du mal avec la lenteur de 5 centimètres, un jeu sur les changement de registres (certaines expressions burlesques des visages, des effets comiques avec des bulles donnant à voir ce que pensent les personnages…) ainsi qu’une touche fantastique empruntant au thème du changement de corps, thème bien connu que l’on a pu découvrir dans un manga tel que Ranma ½ ou encore dans l’excellent Exchange Students d’Obayashi.

Un savant cocktail donc, entre une histoire d’amour torturé empruntant à 5 centimètres et une légèreté venant du thème du changement de corps. Ajoutons à cela une thématique post-Fukushima ainsi qu’une révélation intervenant à la moitié du film permettant de complexifier un peu plus l’intrigue et l’on se retrouve face à un film fait pour captiver tous les âges, les sexes, les goûts.

Et c’est tant mieux mais d’une certaine manière, on peut comprendre les positions d’Okada et d’Egawa. Si je me garderais bien d’accuser Shinkai d’avoir fait dans une facilité mainstream calculée pour enfin connaître un succès auprès du grand public (Your Name est tout de même moins l’œuvre d’un faiseur que d’un véritable créateur), j’espère aussi que cet immense succès va lui donner les moyens de donner libre cours à son art, quitte à parfois dérouter le public. Je songe ici à un Takahata et son Conte de la princesse Kaguya, mais aussi, plus près de nous, à Dudok de Wit et son audacieuse Tortue Rouge, certes pas à la fête au niveau du box office mais unanimement saluée (même par Miyazaki, qui n’est pas le genre à offrir des fleurs, mais aux réalisateurs de Ghibli, son fils en sait quelque chose) comme une réussite artistique.

Your Name est un chef-d’œuvre, oui, mais un chef-d’œuvre qui en appelle d’autres encore plus complets. Car si les cent minutes passent relativement bien, il ne faut pas non plus oublier que cela passe par quelques incongruités scénaristiques, les « plot holes » comme on dit, qui contribuent à faire patiner un peu le plaisir du visionnage. Habituellement, ce genre de faille ne me gène pas outre mesure dans un genre appelant à l’imaginaire mais là, sans non plus entrer dans les détails, certaines choses m’ont gêné dans la mesure où elles atténuaient subitement cette impression de perfection formelle et narrative, voire rendaient confus, pour ne pas dire brouillon, le dernier tiers du film.

Taki essayant de recréer de mémoire un endroit ? Non, plutôt Makoto Shinkai aux prises avec les astuces retorses de son scénario !

Pas grave. Au moment où je tape ces lignes, j’écoute en parallèle l’excellente B.O. composée par RADWIMPS et n’ai qu’une envie : revoir au plus vite Your Name, aussi bien pour me prendre une nouvelle fois en pleine face les belles images, mais aussi pour mieux saisir certains aspects de l’histoire qui m’auraient échappé. Pour vous, si ce n’est encore fait, vous savez ce qu’il vous reste à faire avant de vous attaquer au réveillon ou bien pour le digérer dignement demain. Your Name est une magnifique conclusion cinématographique à l’année 2016.

8/10

Dernier article de 2017. Comme d’habitude, je ressors ma photo d’Hiroko Kumata pour vous souhaiter un excellent réveillon :

A l’année prochaine !

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3 Commentaires

  1. Bon, ben je suppose que je vais quand même lui donner une chance.

    Jusqu’ici il m’était apparu comme particulièrement paresseux, surtout graphiquement, mais difficile de se faire une idée en se basant sur le (très extensif cela dit) matraquage publicitaire dont il a fait l’objet.

    Pendant ce temps là, le fabuleux Tortue rouge passe discrètement, sans grand remous.

    Beuh.

  2. Bof.
    Effectivement, sur la forme, c’est globalement assez réussi.
    Mais quant au fond? Une « soupe » si habituelle, tant de fois déjà vue, de merveilleux, de bravoure, de camaraderie et de mal-être ado, sans oublier l’inévitable double pincée de pittoresque local/ »furusato » et de catastrophisme naturel.
    Ai vraiment eu du mal à trouver cela très neuf et passionnant.
    Mais sans doute devais-je être de mauvais poil, encore plus teigneux que d’habitude, ce jour-là… 😉

  3. @ Eled : « graphiquement paresseux » ? Rhô l’autre. Son travail informatique sur des photos est quand même abouti et personnel, immédiatement reconnaissable.
    Pour le Tortue Rouge, je suis le premier à reconnaître que son manque de succès est déplorable. Mais tant que la pauvrette n’a pas connu le même sort que son homologue dans Cannibal Holocaust, ça va, ça pourrait être pire.

    @ bern :
    « Mais sans doute devais-je être de mauvais poil, encore plus teigneux que d’habitude, ce jour-là…  »

    Ou plutôt tu commences l’année en bouffant du lion. Si je veux bien reconnaître que « Your Name » est consensuel, je n’irais pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’une « soupe ». Il fait juste du neuf avec du vieux, de façon très rythmée quitte à perdre un peu le spectateur quand se complexifie à mi-chemin les rapports Taki/Mitsuha.
    Non, autant je passerai systématiquement mon tour pour de futures productions Ghibli de type « Marnie » (là c’en est une belle, de soupe), autant je reste intéressé à l’idée de voir les prochains films de Shinkai.

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