Chanami

Alors voilà je sais, c’est l’époque de la floraison des cerisiers et, avec elle, de celle des articles d’expats traitant du sujet. Notez bien que je pourrais moi aussi me la raconter en balançant une photo de mon azalée japonais ou des bourgeons de mes bégonias mais voilà, les photos de fleurs, il faut avouer que ce n’est pas trop le style de la maison, et qu’en terme de bourgeons, j’ai toujours préférés ceux d’une opulente bijin à ceux du prunus serrulata. Du coup, même si j’avais l’heureuse possibilité (ouais « heureuse », car moi qui n’ai jamais pratiqué le hanami je veux bien admettre que ça doit être quelque chose) de me trouver au Japon au printemps, je ne pense pas que j’irais grossir les rangs de tous ces Japonais qui, au même moment de l’année, se mettent à déverser à pleins tombereaux sur leur disque dur des centaines de clichés (à tous les sens du terme) de zolies fleurs roses mitraillées frénétiquement et sous toutes les coutures. Tout cela explique que vous trouverez aujourd’hui sur ce blog non pas de bêêlles fleurs d’un délicat rose pâle mais plutôt la trogne d’un chat tout pourri. Pas d’hanami en vue mais plutôt un « chanami », c’est-à-dire la contemplation des chats japonais qui se dorent la pilule dans des rues crasseuses. Et pas vraiment en fleurs les félins, plutôt passablement déglingués.

Dans cette perspective oubliez donc les reportages concons des mémères qui cosplayisent leur minou et qui leur payent des séances chez le dentiste.

 

« Bon, ouais, je sais, vos gueules hein ! Si vous croyez que ça m’amuse. »

Oubliez aussi les oies blanches d’Akihabara ou d’Harajuku, minaudant avec de fausses pattes de chats et prenant la pose et lâchant des « nyan nyan » nasillards devant un parterre d’otakus en quête de moe bon marché.

 

Chantal Goya approved

Oubliez surtout l’horrible nyan cat, un de ces phénomènes décérébrant d’internet que j’abhorre. Psy, à côté, c’est Scarlatti :

Si par hasard vous avez un 22 long rifle sur vous, c’est le moment de s’entraîner, dégommez-moi donc cette merde.

Indéniablement, il y a un truc au Japon avec les chats mais oui, oubliez donc tous ces sinistres aspects. Et le jour où vous poserez pour la première fois vos pinceaux sur le sol nippon, n’hésitez pas à vous engouffrer dans ces réseaux de petites rues pas vraiment sexy au premier abord (d’ailleurs, une rue sexy, est-ce que ça existe vraiment au Japon ?) mais truffées de petits détails qui donnent illico de pénétrer dans un micro univers, une monade photographique détachée de tout, se suffisant à elle-même. Et c’est là qu’entrent en jeu les chats. Même quand ils ne sont pas là, les rues ne cessent de ponctuer leur présence par un bric à brac d’objets donnant parfois une touche un brin surréaliste. Ici un parapluie suspendu au-dessus d’une gamelle, là un yoshinoya en plein air. On regarde d’abord surpris, puis amusé, et enfin respectueux envers ces dérisoires bribes de « chez soi » qui ne nous appartiennent pas. Et puis leurs destinataires se mettent à apparaître. Je ne vais pas dire que c’est à chaque fois la stupeur. Mais dans le cadre d’une déambulation  sans autre but que de prendre des photos, leur rencontre n’est jamais sans charme, et c’est quelqu’un qui habituellement n’en a pas grand chose à foutre des bêtes à poils qui écrit cela. Déjà, à la base, il faut reconnaître que les matous sont des bestioles qui ont une certaine classe naturelle, bien plus que leurs homologues canidés.

 

Hein ? On n’a pas la classe, nous ?! Attends ! si on peut même plus se torcher tranquille !

Tomber sur ces démarches de divas dans un environnement de bitume, de câbles et de rouille fait donc déjà sourire et attire le regard, bien plus que les chats dans nos contrées. Et l’on comprend alors pourquoi nombre de photographes amateurs succombent à l’envie de commettre un photobbok consacré aux chats. Allez dans le rayon photo d’une librairie, il y a peu de chances que vous échappiez à l’un de ces specimens parfois amusant, souvent dans le style très kawai et très chiant.

On comprend aussi pourquoi il existe ce genre de livre :

 

(merci au passage à Olivier2046 de m’avoir signalé l’existence de ce livre lors d’un précédent article).

Non, vous avez bien vu, il s’agit d’une carte des plus beaux matous à voir. Débile en apparence et pourtant, lorsque vous avez pris l’habitude de traîner vos basques dans un quartier en dehors des principales artères urbains, difficile de ne pas se sentir aimanté vers un coin où un vieux briscard vous a tapé dans l’œil. C’est ce qui m’est arrivé avec ce chat :

 

Laissez-moi vous présenter Harlock, vieux pirate non pas de l’espace mais des rues du centre-ville de Miyazaki. J’ai parlé du côté diva des chats, mais il faut ici préciser que ces rues donnent souvent l’impression d’être un hospice pour vieux de la vieille. Des chats bien clean comme il faut, on en trouve, mais bien plus intéressants sont ces hordes de vieux salopards qui semblent avoir consacré leur vie à marquer leur territoire avec en contrepartie un nombre non négligeable d’avaries. Dans le cas d’Harlock, une oreille arrachée et un œil gauche tout ce qu’il y a de plus mort. Et m’est avis que la liste n’est pas finie. Brave Harlock ! Je le rencontrais fréquemment et à chaque fois je m’approchais pour essayer de lui tirer le portrait (non sans crainte). Sale, la crotte au nez, complètement dépouillé et manifestement vieux, pas sûr qu’à l’heure où je tape ces lignes que le vieux forban soit encore de ce monde. Dans sa vieillesse scrofuleuse, je me souviens qu’une vénérable obasan qui travaillait dans un bar s’occupait de lui. Pas de vêtements ridicules ni de séances chez le dentiste. Juste une petite gamelle de lait et parfois une porte ouverte pour que la bête se protège des intempéries. Harlock, si tu n’es pas encore mort et que tu tombes sur cet article, prends bien soin de toi vieux grognard ! Si jamais l’on se revoit l’année prochaine, je t’offrirai une pinte de lait au cognac et des photos de chattes sexy pour ta libido sans doute défaillante. J’ai toujours préféré la vieille garde à la jeune.

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2 Commentaires

  1. Elle fait délirer la photo du clebs se torchant le derche sur la bobine du greffier. Je suis carrément client. Pas trop fan de ces derniers. Ces raclures sont trop hautaines à mon goût. N’empêche, la photo du vieux briscard Harlock me réconcilie presque avec eux. Il aurait eu quelques années en arrière, y moyen qu’il aurait laissé les empreintes de ses griffes sur ta tronche ou celle de ton objectif.

    R.I.P. Harlock (parce qu’à l’heure qu’il est, il doit le lire de là-haut ton big up virtuel).

  2. Idem, je suis pas tellement client des chats. A tout prendre, j’aimerais mieux avoir un chien, ne serait-ce que parce que cette bête a inspiré d’immortels chefs-d’oeuvre :
    http://youtu.be/Wx7vKvQ4axQ

    Pour les coups de griffes, il faudrait quand même le faire exprès parce que les matous japonais ne m’ont pas vraiment donné l’impression d’être bien vaillants. Sans doute la lassitude de se faire marcher sur la queue :
    http://youtu.be/-YKuxZgDamM

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