Maîtres de demain ? #5 Midorigawa no soko (Yoshii Kazuyuki – 2007)

Cela faisait pas mal de temps que je n’avais pas pondu une critique sur ces films de fin d’études de l’université des Beaux-Arts de Tokyo. C’était pourtant pas faute d’avoir essayé mais voilà, les films vus n’étaient guère enthousiasmants, du genre un peu bouffis de prétention et soporifiques en diable. Les mauvaises langues diront sûrement que de toute façon, les autres films chroniqués le sont tout autant, peu importe, certaines de ces œuvres de jeunesse méritent assurément un peu plus qu’une simple référence sur IMDB avec le minimum minimorum. C’est parti donc pour une nouvelle critique de film lent et arty. Au programme aujourd’hui : les problèmes d’érection.

Vous avez aimé Armance de Stendhal ? Alors peut-être aimerez-vous Midorigawa no soko de Yoshii Kazuyuki puisque le personnage principal, Mikio, est à l’image du personnage d’Octave dans Armance. Une malédiction pèse sur lui, malédiction que découvre le lecteur assez rapidement : il ne peut pas bander. Dès plus son jeune âge en fait, caractéristque qui lui valut les quolibets faciles de mauvais drôles de sa classe, voire même des ijime en règle, lorsque ses persécuteurs le désappe dans les toilettes pour l’affubler d’une jupe :

 

Jeunesse difficile que celle de Mikio donc. Heureusement, il peut compter sur l’amitié de Tokiko :

Problème : Tokiko, comme le suffixe en -ko de son prénom l’indique, et comme son apparence de garçon efféminé le contredit, est une fille mais elle a aussi un truc qui pendouille entre les jambes. C’est trop de bonheur pour les persécuteurs de Mikio qui ont beau jeu de la surnommer « Transman » et de se moquer du curieux tandem que forment Mikio et Tokiko.

Midorigawa no soko n’est pas un film sur l’ijime même s’il montre au passage la passivité, la peur de certains enseignants de combattre ce fléau. On sent la douleur de Mikio, mais Kazuyuki se garde bien de jouer les grandes eaux, c’est une douleur toute en retenue que donne à voir le petit garçon, englué entre les persécutions dont il fait l’objet et les gémissements de plaisir dont l’accable à la maison sa maman lorsqu’elle se trouve en compagnie de ses amants. Enfin, « accable » n’est pas forcément le mot puisque ces séances sont l’occasion pour lui de se tester, de voir si son engin répond. Sordide un peu crapoteux puisqu’une scène suggère que sa mère le fait pour de l’argent, avec l’accord tacite de son mari.

Que ce gamin en soit rendu à écouter à travers les cloisons les halètements humides de sa mère montre en tout cas à quel point sa tare est obsessionnelle. A l’opposé, Tokiko se prend beaucoup moins la tête. Si douleur il y a, celle-ci est contrebalancée par le regard que la petite fille porte sur son avenir : plus tard, elle sera institutrice, et de pas n’importe quel genre : le type « très féminin avec une jupe », pour reprendre ses termes. De fait, après une jolie scène elliptique à bord d’un train on la retrouve bien des années plus tard prendre poste à l’école qu’elle fréquentait autrefois :

La métamorphose est accomplie, « Transman » est devenue une jolie jeune femme qui a clairement choisi son identité sexuelle en dépit d’un défaut technique. En revanche, pour Mikio c’est plus compliqué :

Il n’a pas changé : toujours faible, toujours en proie aux vexations (ici venant de son employeur), et toujours pas d’érection. Son médecin a beau lui signifier qu’il serait peut-être temps d’abandonner les traitements, Mikio n’en démord pas : il veut bander. Tous les moyens sont bons, y compris de suivre les conseils de Tsukamoto san, marginal un peu illuminé qui collectionne les cailloux et qui lui conseilla justement un jour, alors que Mikio était encore gamin, de serrer fortement un caillou dans sa main :

Dix ans plus tard, ce sera le même cirque, et pire encore :

A défaut d’une fille sur laquelle il pourra se frotter, Mikio se frotte sur une grosse pierre prise dans le jardin de Tsukamoto. Et le pire, c’est que ça marche ! Après la métamorphose de Tokiko, celle du jeune homme est en marche, au grand dam de son amie.

Car dans ce film la virilité n’a rien d’une qualité. On aura beau chercher, on trouvera difficilement une figure masculine positive. Entre le médiocre trio de persécuteurs, l’instituteur impuissant (en actes) et l’employeur de Mikio qui s’empresse de dévoiler le secret de Mikio devant la jeune femme pour essayer de la séduire grossièrement, « avoir une bite » semble malheureusement trop souvent signifier « en être une ». Avec ses corps caverneux qui sortent enfin de leur hibernation, Mikio s’empressera de passer en phase de test avec Tokiko et à couver un léger machisme d’homo japonicus devenu tout à coup sûr de lui. Il en profitera d’ailleurs pour aller balancer son poing dans la gueule de son malotru d’employeur. Restera à savoir si cette virilité est au fond de lui-même ou seulement d’apparence. Pour cela le « fond de la rivière Midorigawa » (traduction du titre) jouera le rôle d’un révélateur à la fois tragique et salvateur…

Durant 80 petites minutes le film suit un cours tranquille comme cette Midorigawa. Yoshii Kazuyuki utilise avec simplicité de courts flashbacks à travers des signes mémoratifs dont est témoin l’âme confuse de Mikio. Perdu dans un présent qui lui renvoie à la face le gâchis de sa vie, sa perte de temps, le jeune homme voit sa douleur redoubler par des détails de sa vie quotidienne qui le replongent dans l’échec -parfois glauque – de son enfance.

Assurément pas le film de l’année 2007, mais une fable sur l’asexualité plutôt réussie et finalement en phase avec un contexte sociologique  qui voit depuis quelques années l’émergence de plus en plus sensible des couples « sexless ». Thème à mon sens encore peu abordé dans le cinéma japonais.

The Album Leaf, Over the Pond (chanson du générique de fin)

 

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4 Commentaires

  1. Il t’a pas fait bander le film, je me trompe ?

    • « Il t’a pas fait bander le film, je me trompe ? »

      Bien joué 🙂
      Disons juste que j’eusse aimé voir la petite Mieko Konya un peu plus dévêtue (et faut pas compter sur son blog pour être satisfait de ce côté-là) mais enfin, les 80 minutes ont défilé assez plaisamment, ce qui n’est déjà pas si mal pour ce type de film.

  2. la dernière photo avant la vidéo : la tête bouge putain ! ça m’a fait psychoter !!

  3. Excellent ! T’as cru faire un remake en live de Ringu hein ? Ta réaction était le but recherché, bien content de voir que la peine que j’ai pu m’infliger pour réussir ce bidule n’ait pas été vaine.
    Qu’on se le dise : Olrik est en ce moment à fond pour essayer de maîtriser l’art du « cinémagraph », version upgradée du GIF animé. Pas essentiel pour faire une critique de film mais ça agrémentera un peu plus l’aspect visuel du site. Inutile de dire que je vais m’en donner à coeur joie lorsque je ferai la critique d’un roman porno. Imaginez, sentir le regard brûlant et humide d’une Naomi Tani en train de se faire fouetter la croupe… glup !

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