Madame Olrik en mode Boulitte

La chronique de mes dernières aventures automnales avait tourné court. Deux articles et c’était fini. C’est que jusqu’à présent, ces mini-récits de voyage avaient à chaque fois été écrits à deux moments bien distincts. Soit en plein voyage, le nez dans le guidon et en plein milieu des délices proposés par le séjour japonais. Il y a deux ans, j’avais écrit une série d’articles (le premier date du 16 juillet) durant mon huitième séjour. Le rythme de mes matinées avait été assez miraculeux quand j’y songe. Chaque jour, je me réveillais à six heures. Oui, en pleines vacances, et sans même avoir besoin d’un réveil. Mon corps se réveillait comme un automate à cette heure précise, parfois avec une minute en avance ou en retard, mais toujours sans ressentir la moindre fatigue. Je quittais la douce climatisation de la chambre où continuaient de dormir profondément Mme Olrik et Olrik jr (Olrik the 3rd préférant dormir dans le séjour en bas avec son grand-père), j’enfilais ma paire de baskets puis me rendais en voiture à un de mes parcs préférés pour un footing de décrassage d’environ quarante minutes, dans une chaleur estivale déjà sensiblement présente à cette période de l’année. Puis retour à la maison, douche, petit déjeuner : l’horloge du salon indiquait alors 7H30, je disposais de trois bonnes heures avant la traditionnelle sortie matinale en famille à l’Aeon afin d’acheter notre déjeuner, heures souvent utilisées pour écrire les articles en question. Frais, dispos, sentant le bon sable chaud, enivré par les grillons commençant déjà leur doux vacarme, je n’avais alors aucun mal à reconstituer avec plaisir les événements de la veille.

Même chose lorsque j’entreprends d’écrire un été lorsqu’il n’y a malheureusement pas de voyage au Japon. J’en suis alors quitte à rêver sur mes photos prises un an auparavant, rêverie qui asticote alors l’imagination et l’envie de reprendre le récit du voyage dans une sorte de mélange de carnet de voyage et de récit rétrospectif. Entre les deux étés, le temps a passé, a infusé les choses vécues, leur a donné une certaine saveur et c’est tout naturellement qu’on les fait resurgir avec un certain plaisir.

L’automne dernier, c’était un peu différent. Là, mon corps a été moins vaillant. Dans la légère froidure automnale, il a apprécié de rester un peu plus longtemps dans le futon. Pas trop non plus de footings matinaux pour fouetter l’organisme et l’esprit. Une douleur persistante au tendon d’Achille m’avait incité à pratiquer plutôt la marche. Et puis tout bonnement il y avait moins le temps. Quatorze journées seulement (contre quarante quand nous allons au Japon l’été), je n’avais pas forcément envie de perdre du temps devant un écran à taper des textes, cela attendrait le retour en France. Sauf que, comme évoqué plus haut, les tentatives d’écriture par la suite ont tourné court. Post Japanum, Olrk animal triste. Les souvenirs étaient pourtant très frais. Mais il faut croire que cette fraîcheur, juste au moment du retour en France, formait un contraste inconsciemment un peu agaçant. Le plaisir de se souvenir entrait en confrontation avec le plaisir d’avoir regagné ses pénates et ses habitudes. Quoique toujours vaillant lorsqu’il s’agit d’aller se tuer la gueule à bicyclette au Japon en plein après-midi l’été, j’ai aussi un côté pantouflard qui fait que lorsque je reviens en France, je suis repu de Japon et passe naturellement à autre chose. Bref, poursuivre le voyage par l’écriture n’était alors pas évident.

Mais maintenant, huit mois après, et quelques semaines avant (roulements de tambour), mon neuvième séjour au Japon (à vingt j’arrêterai, promis !), le fièvre se met subitement à monter. Je mange, je dors, je pisse et je chie Japon. L’appel du Japanisthan quoi ! Je me détache progressivement de ces habitudes françaises, l’esprit étant rivé à ce qui m’attend dans quelques semaines. Je me suis remis à bosser la langue et avant de prendre une nouvelle flopée de photos, j’ai remis le nez dans celles du précédent voyage afin de les trier et de virer les plus vilaines. Activité qui me prend du temps mais que j’effectue tout en écoutant quelques vieux folkeux japonais. Dépaysement assuré qui, associé à l’excitation du voyage à venir, me donne envie de reconstituer quelques souvenirs de l’automne dernier. Parmi eux, cette journée du 31 octobre durant laquelle Madame Olrik avait proposé de se rendre non loin de la petite ville de Kobayashi pour admirer le plateau d’Ikoma et ses cosmos en fleur. Il faut rappeler ici que moi qui m’étais fait une joie d’admirer un Japon de carte postale sous les couleurs de l’automne, j’en avais été pour mes frais. La végétation y est surtout composé d’arbres gardant leur parure verte tout le long de l’année et l’atmosphère plus douce mise à part (et les bijins moins court-vêtues), je n’ai rien trouvé de bien différent par rapport à l’été. Aussi était-ce là l’occasion d’offrir aux mirettes une touche d’automne particulière, le type de cosmos que l’on trouve à ce plateau ayant sa floraison pile au moment où nous nous trouvions au Japon, d’autant que Madame avait repéré à quarante minutes de voiture plus loin un autre petit coin de nature (dont j’ai oublié le nom) qui promettait d’être plaisant lui aussi. Le soleil était au beau fixe, le ciel était bleu et promettait de le rester, la température douce :

… il n’y avait plus qu’à faire un peu de route (environ une heure et demie) pour voir les cosmos. Comme d’habitude avec ce genre de trajet, il y a toujours à un moment la pause konbini. C’est un des côtés plaisants au Japon lorsqu’il s’agit de faire un peu de bornes. Certes, les innombrables feux rouges donnent l’impression de se traîner, mais les konbinis, eux aussi innombrables, invitent à faire des pauses pour déguster un bon café chaud accompagné de machins sucrés que les kids ne manquent jamais d’ajouter au café au moment de passer à la caisse.

Bref, le voyage fut sans histoire et c’est les ventres remplis de diverses cochonneries (limite la gerbe en fait) et en avance sur l’horaire indiquée par le GPS que nous arrivâmes ici :

Sauf que, voilà : au lieu de ceci :

HOOOOOOO !

Nous eûmes droit à ça :

Gni ?

L’explication était toute simple : en fait les fleurs s’étaient fait la malle juste trois jours avant. C’est ce que nous expliqua la dame à la boutique du plateau. Madame Olrik me traduisit ses paroles, un peu dans ses petits souliers car sachant bien combien son mari est comme Hannibal dans l’Agence tout risques, à savoir quelqu’un qui aime à ce que les plans se déroulent sans accro. En particulier quand il s’agit de faire une heure et demie de route. J’hésitai à lui dire qu’elle aurait au moins pu filer un coup de bigophone la veille pour savoir si ces putains de fleurs étaient toujours là ou non, mais je m’abstins, grand seigneur. Après tout la vue n’était pas si mal et nous baignions dans un calme reposant et une fraîcheur matinale qui aurait presque donné envie de pique-niquer, n’eussent été toutes les saloperies ingurgitées durant le trajet.

Mais bon, on n’allait pas non plus y passer la journée, il fallait reprendre la route pour joindre le deuxième site avant le retour à Miyazaki. Là, problème. Un typhon ayant passé dans les parages quelques jours auparavant, la route permettant de se rendre au site avait été bloquée, comme une jolie pancarte jaune nous en avertit. Qu’à cela ne tienne, le GPS nous indiqua recta une autre voie à emprunter. Re-problème : cinq minutes plus tard, derechef une pancarte jaune, avec le même type de passage. A cet instant, crispation de Mme Olrik qui voit son beau plan tourner au fiasco et qui certainement se met à redouter l’ire de son ogre de mari. Je vous rassure, elle n’a jamais eu avec moi à appeler  S.O.S. mari gaijin violent. Mais j’avoue, je peux parfois être une sorte d’ours mal-aimable capable dans certaines circonstances de dégainer des paroles doucereuses peu obligeantes. D’ailleurs, même lorsque je ne dis rien, mon visage, l’aura négative qui émane alors de ma personne suffit pour distiller une certaine tension. Ma mine s’allonge, les mâchoires se crispent, la prunelle des yeux devient dure, aiguë : je suis alors parfaitement imbuvable. Cela dit, je résistai au côté obscur de la dissension conjugale et me contentai de regarder le paysage défiler à ma droite tandis que Madame, au volant, conduisait en cherchant désespérément un pancarte indiquant une troisième voie à suivre.  Chose qu’elle n’allait sans doute pas tarder à trouver (cela dit dix minutes s’étaient déjà écoulées depuis la deuxième pancarte, je dis ça, je dis rien…) lorsque nous arrivâmes sur les lieux du drame :

Aller à droite ? À gauche ? Je ne sais pas ce qui s’est joué alors dans l’esprit de ma douce angoissée mais repérant sans doute un indice lui faisant comprendre qu’elle s’était gouréee one more time de direction, elle décida de faire soudainement demi-tour en passant d’abord par le parking à gauche. Ce fut comme Steve McQueen dans Bullit, au tout début de la fameuse course poursuite dans San Francisco. Elle donna un violent coup de volant à babord tout en jouant de l’accélérateur. Quand même pas pied au plancher mais suffisamment pour se manger violemment la bordure du trottoir :

La bordure, en bas à gauche. Oui, je sais, c’est un peu ridicule comme obstacle mais n’oubliez pas que notre bolide n’était pas une Ford Mustang mais ceci.

Un gros BOUM !

Suivi d’un pschiiiiiiiiiiiiiiit.

Suivi des exclamations véhémentes de votre serviteur.

Je ne me souviens plus trop des conneries que j’ai débitées alors. Sans doute un mélange de « et voilà ! », de « bravo ! », et autre « O.K. la ballade est finie ! ». Je n’y réfléchis pas trop, sur le coup je ne voyais qu’une chose, que cet exploit était moins du Bullit pur jus que du « Boulitte », boulette qui ruinait la suite de la ballade.

En rage je sortis de la caisse pour contempler l’étendu des dégâts : une roue avant gauche évidemment à plat qu’il allait falloir changer. En soi pas grand-chose, je suis Dieu merci capable de changer une roue, mais ça plus les pancartes jaunes et les cosmos invisibles, c’était assez pour rager tout mon soûl. Ce qui me fit d’ailleurs perdre du temps juste pour trouver le cric. N’ayant plus une goutte de sang froid dans le corps, je regardai confusément dans le coffre puis m’allongai carrément sur le sol pour regarder s’il n’était pas quelque part sous la voiture. Cinq minutes plus tard je découvris en fait l’existence d’une cache sous les pieds du passager arrière gauche où se trouvait le matos. Enervé, je me saisis du cric et commençai l’opération. Les écrous enlevés, il fallut retirer la roue pour mettre la roue de secours à la place. Mais avec les mauvaises vibrations que dégageait la scène, l’opération ne se passa évidemment pas comme prévu. Coincée à mort, la roue refusait de sortir ! Trempé de sueur, je m’acharnai, pestant contre le sort et son ironie. Moi qui rêvait de connaître des aventures comme Nicolas Bouvier, je connaissais le même type d’expérience que lui avec les ennuis mécaniques de sa Fiat Topolino. Bon, dans une moindre mesure, je reconnais, il s’agissait ici juste de changer une roue mais quand même, j’en chiais des ronds de chapeau, malgré l’ombre que Madame me procurait avec son ombrelle qu’elle tenait obligeamment au-dessus de moi pour se faire pardonner et atténuer mon courroux. A un moment je décidai de jouer le tout pour le tout. Utilisant les dernières ressources de mes muscles, je saisis à deux mains la roue et tirai vers l’arrière de toutes mes forces, limite à m’en faire péter les vertèbres. Cela fonctionna, la roue arriva mais avec elle moi aussi. Je tapai le sol du cul et me retrouvai les quatre fers à l’air. J’entendis derrière moi un hideux « Bwahahaha ! » poussé par Olrik the 3rd. Aucune pitié, rien ! Je vous jure, ayez des gosses ! Je fixai la roue de secours, remballai le cric et l’autre roue dans la coffre et nous repartîmes. Avec une roue de secours moyennement gonflée, il ne s’agissait plus d’aller à un hypothétique site que les routes japonaises allaient rendre compliqué à atteindre, mais de retourner à Miyazaki. Avant cela, il fallait s’arrêter à un endroit pour manger et surtout pour que je me lave les pognes et que je me rafraîchisse la trogne pour faire descendre la température de quelques degrés. Nous nous arrêtâmes à un petit resto à côté d’un onsen. J’aurais pu y passer une petite heure avec les enfants pour achever de me changer les idées mais le cœur n’y était pas, et ce n’est pas mon udon aux crevettes qui allait achever de me transformer en Mister Aimable.

Nous revînmes à Miyazaki sur les coups de quatorze heures. Madame Olrik aurait renversé avec sa caisse une classe de maternelles que ça n’aurait pas été pire. En état de choc, elle fila recta dans sa chambre afin d’oublier les terribles événements en faisant une longue sieste.  Pour les kids, l’activité était toute trouvée : ayant eu la Nintendo Switch pour son anniversaire de la part de ses grands-parents, Olrik jr entreprit avec son frère de faire du Mario Kart, jeu qu’il s’était acheté la veille. Moi, enfoncé dans les affres de la plus complète solitude, tel un chien, je sortis pour rejoindre mon fidèle et unique compagnon de voyage : Tornado, mon vélo de plus en plus rouillé mais ne rechignant jamais à faire de longues ballades en ville avec son maître.

La lumière automnale était alors magnifique et c’est le cœur un peu plus léger que je me dirigeai vers le centre ville pour m’y ballader, prendre une boisson quelque part et saisir quelques occasions de street shooting.

Deux petites heures passèrent ainsi. Avant de revenir à la maison, je décidai de passer par le parc à côté de la gare.

Je les avais quand même un peu, mes arbres aux couleurs chaudes. Ayant pris une canette de café chaud à un distributeur, je m’assis sur un banc et sirotai paisiblement le breuvage, songeant non sans sourire intérieurement à l’odyssée de la matinée. Je quittai ensuite le parc pour un petit quart d’heure au Book Off juste à côté puis rentrai tranquillou à la maison en essayant de prendre des chemins inédits (depuis le temps il n’y en a plus beaucoup mais j’arrive encore à en trouver). A l’approche de la maison, je retrouvai des décors bien connus. Ici le petit temple shinto :

Là cet arbre incroyable donnant l’impression d’avoir été posé à même le bitume :

Enfin la route à côté de la maison donnant souvent à voir le soir de magnifiques ciels :

C’était plutôt sage ce soir-là, mais la pureté du ciel, alliée au calme doucement parasité par les cris des gamins de l’école primaire s’adonnant à côté à leur entraînement de foot, achevait de mettre l’esprit au diapason. Ne restait plus qu’à rentrer, à prendre la bière apéritive avec le beau-père, puis à dîner. A l’intérieur Madame était dans le salon. Le fiasco du jour n’était plus qu’un lointain souvenir et c’est naturellement qu’on l’évoqua sur le ton de la plaisanterie. Ne restait plus qu’à conclure brillamment cette journée avec le nabe concoctée par belle-maman, nabe qui me donna l’occasion d’expérimenter une recette de soiffard :

Envie d’un shochu qui vous réchauffe le cœur ? c’est très simple, il n’y a qu’à déposer le verre dans le plat et attendre un peu.

Après tout cela, j’étais un peu plein. Mais impossible de rester sagement à la maison, c’était Halloween et il fallait que j’aille au centre-ville en vélo pour débusquer quelques costumes originaux. Le dessert à peine fini je m’apprêtais à repartir mais c’était sans compter sans l’intervention de Madame, farouchement opposée à l’idée de faire du vélo avec un peu trop de substances alcoolisées dans le sang. Il fallut se rendre et attendre une petite heure avant d’enfourcher Tornado et de m’y rendre. La pêche n’y fut pas miraculeuse mais néanmoins je rencontrai cette étrange créature :

Le type à l’intérieur m’expliqua qui lui avait fallu huit mois pour confectionner son costume. Je le crus sur parole. Huit mois pour une soirée de gloire : un bel exemple de volonté.

Je n’insistai cependant pas trop dans le centre ville : nous n’étions pas à Shibuya et à 22 heures, Halloween ou pas, Miyazaki commence à devenir bien calme. Il fallait rentrer à la maison. Avec la fatigue qui commençait à se faire sentir, je demandai à Tornado de se contenter d’aller au trot. Il ne s’agissait pas de conclure la journée en se prenant certaines bordures de trottoir…

 

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