Salle à la fois obscure et lumineuse

Ginpeicho Cinema Blues
Hideo Jôjô – 2023

Un homme criblé de dettes, Kondo, revient dans sa ville natale. N’ayant même pas de quoi se payer un lieu à loger, il fait la rencontre de Sato, un SDF amoureux de cinéma, et de Kawajira, propriétaire d’un cinéma de quartier qui, bienveillant, lui propose d’y loger en échange d’y travailler gentiment quand il a le temps. Kawajira ne peut guère faire plus puisqu’il a lui aussi du mal à joindre les deux bouts avec un cinéma qui propose surtout de vieux classiques. Cela dit, en découvrant que Kondo a été un réalisateur de film d’horreur assez populaire, il se dit qu’il y aurait une journée amusante et fructueuse à faire, pour commémorer les soixante ans d’existence de sa salle, en proposant des films inédits, notamment celui que Kondo a en réserve, pas encore monté, sur le disque dur de son portable…

 

Découverte assez inattendue. Un coup d’œil à la filmo de Hideo Jôjô (plus de cinquante films au compteur) ne la laissait pas présager, le réal’ ayant surtout officié dans les films érotiques bon marché (il a notamment récemment adapté Believers, le manga de Naoki Yamamoto). Or, avec Ginpeicho Cinema Blues, il réalise un film hommage aux petits cinémas de quartiers, perpétuateurs discrets du cinéma classique et voués à péricliter. On songe ici à Empire of Light, de Sam Mendès, mais plus encore (puisque l’on cause de cinéma classique) de The Smallest Show on Earth, film de 1957 de Basil Dearden dans lequel un homme essaye de remettre sur les rails une petite salle de cinéma. Ajoutez à cela un soupçon de One Cut of the Dead, pour le côté série B fauché représenté par le film de zombie que Kondo a sur son disque dur et vous comprendrez que l’on se trouve face à un de ces films sans prétention mais capables d’avoir de se constituer un gros capital sympathie, notamment grâce à la galerie de personnages attachants qui peuplent l’histoire.

Ainsi Kawajira, homme assez insouciant (est-ce bien raisonnable de jouer – et perdre – au mahjong alors qu’il a du mal à payer ses employés ?) mais généreux et ultra-sensible (un rien le fait pleurer, qu’il soit ou non alcoolisé), ou encore ce régulier du cinéma qui est un acteur sans succès amoureux d’une des deux ouvreuses de la salle, ou bien Sato, ce SDF qui semble connaître son Casablanca sur le bout des doigts. C’est tout un défilé de personnages un brin éclopés, finalement à l’image de cette salle de cinéma à l’écran modeste, qui se fout pas mal d’avoir à disposition le dernier cri des technologies de diffusion. Image/son Dolby Vision HDR THX Atmos DTS ? Mes couilles, oui ! Le fan de cinéma, le vrai, sait bien que du moment que l’on a un grand écran correct et que l’on a de quoi s’asseoir, c’est l’essentiel. Chose amusante, j’ai trouvé le mixage sonore du film absolument atroce. En gros, on a un bruit de fond qui augmente ou diminue en fonction de la présence ou non de dialogues. Ou alors, quand un des employés tient un sac plastique pour ramasser après une séance les déchets laissés par les spectateurs, les crissements du sac semble résonner dans tote la salle. Est-ce voulu ? Est-ce le fruit d’une bévue, de l’incompétence notoire d’une personne du staff ? J’y vois pour ma part autant un doigt d’honneur envers une industrie qui agite en étendard ce dernier cri technologique (comme si cela suffisait à rendre bon de médiocres films) qu’une sorte d’hommage à de ces films d’auteurs que la salle de Kawajira projette et dont le propre mixage sonore est parfois atroce (souvenir du visionnage de films de la Nouvelle Vague où ce n’était pas toujours une extase auditive).

Un film sans prétention donc, mais qui, le temps d’une heure et demie, touche assez juste et fait passer un bon moment dans cet hommage au cinéma à des années lumière de l’hystérique et pesant Babylon.

7/10

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