Quand la déviance se paye le luxe du N&B

Les adaptations des œuvres de Junji Ito en anime ont souvent été un supplice pour les yeux, loin, très loin de la maestria graphique dont le maître de l’horreur a pu faire preuve après ses premières œuvres de jeunesse. Pourtant, je me souviens qu’à chaque fois je me réjouissais à l’avance de les voir, ces adaptations, curieux de voir ce que donnerait à l’écran l’horreur teintée de folie à la Ito. Mais ce qui fonctionne le temps d’un chapitre d’une trentaine de pages parfaitement maîtrisées a moins de chance d’aboutir dans une séquence d’une dizaine de minutes, pauvrement animée… et en couleur.

Habituellement, on ne se pose pas la question de savoir si une adaptation en anime doit se faire en N&B, pour respecter le matériau d’origine, ou en couleurs. On a l’habitude de ce dernier choix et je ne me souviens pas d’avoir vu, en dehors d’anime du temps où les TV couleurs n’existaient pas encore au Japon, des séries ayant fait le pari du noir et blanc. Tout au plus des séquences monochromes à l’intérieur d’une œuvre en couleurs, mais c’est tout. En tout cas, concernant Ito, la question s’est souvent posée de par son graphisme faisant son miel de thématiques telles que la folie, le fantastique ou l’horreur, avec souvent pour cadre temporel la nuit plutôt que le jour. On peut s’accommoder de la couleur lors d’une adaptation, mais dans le cas d’Ito, j’ai toujours eu le sentiment qu’elle ne pouvait que le desservir.

Aussi bien me frottai-je les mains à l’annonce de l’arrivée de quatre épisodes adaptant rien moins que Uzumaki (Spirale), un de ses chefs-d’œuvre, avec le choix du noir et blanc. Et les épisodes venant d’être visionnés, peut-on dire qu’il s’agit d’un pari relevé avec succès ? Je pense que l’on peut. Inévitablement, je me suis aperçu que des grincheux n’ont pas tardé à grincher sur la qualité des épisodes centraux, réduisant inévitablement le titre à leurs yeux à une pauvre chose pour laquelle il était inutile de perdre son temps. Alors c’est vrai que si les épisodes 1 et 4 ont de la tenue, les 2 et 3 baissent d’un cran dans la qualité. Après, dans le contenu de ces épisodes, rien ne nécessitait non plus d’avoir forcément une animation de premier ordre. Et cette pauvreté relative n’est pas si gênante puisqu’elle permet finalement de restituer au plus près le matériau d’origine (je ne suis pas allé vérifier, mais j’ai l’impression que l’anime reprend très fidèlement les cadrages d’Ito dans son manga). Tout n’est pas toujours en mouvement dans les mangas d’Ito et, dans le cas de Spirale, la vie quotidienne de cette petite ville sur laquelle va peser une malédiction n’incite pas forcément à une débauche d’animation (d’ailleurs, dans les épisodes centraux, il y est question d’un lycéen se transformant en… escargot — pas de quoi donner des sueurs froides aux animateurs).

Faux procès donc que celui de l’animation. Quant à la restitution graphique, si bien sûr elle n’atteint pas les détails et la précision d’Ito (après, beaucoup de ses planches sont aussi ordinaires, Ito réservant la profusion juste pour les planches devant créer un impact visuel), elle reste fidèle et appréciable. Quant à la restitution narrative, les scénaristes ont fait preuve d’habilité en condensant les six cents pages en quatre épisodes, entremêlant parfois différentes histoires afin d’occuper la fin dantesque et apocalyptique sur l’intégralité du dernier épisode.

À mes yeux Uzumaki est donc une réussite, mais une réussite qui ne sera perçue comme telle qu’à la condition de ne pas être trop familier du manga. Comme c’était mon cas, j’ai évidemment été moins saisi que lors de ma première lecture. Mais pour le néophyte qui tomberait par hasard sur l’anime, l’expérience promet d’être intense et je gage qu’à la fin il ne manquera pas de se poser cette question : « Mais qui donc est le grand malade qui a inventé cette histoire ? » Avec le succès international que Junji Ito connaît depuis quelques années, on peut penser que c’est le type d’adaptation qui peut élargir encore sa base de fans et amener, dans les années à venir, à d’autres projets de ce type.

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