Psychiatre déviant et infirmière sexy

On doit aux éditions Wombat d’avoir déniché et publié les aventures du bon docteur Irabu dans leur collection décalée Iwazaru. Après m’être enquillé plusieurs Murakami (Haruki) à la suite, j’éprouvais le besoin de lire quelque chose d’un peu plus léger, avec de l’humour dedans, ingrédient à peu près inconnu  à l’auteur de 19Q4. Bonne pioche avec ces deux recueils de nouvelles publiés dans leur collection, Les Remèdes du docteur Irabu et Un Yakuza chez le psy, de Hideo Okuda :

A noter que ces deux titres ont par la suite été réédités en poche chez Points.

Je n’avais rien lu d’Okuda. Tout au plus je savais que son roman Lala Pipo avait été adapté au cinéma et un œil à sa bibliographie me rappelle que j’ai vu l’adaptation drama de son Naomi to Kanako, sur deux jeunes femmes s’alliant pour zigouiller le mari violent de l’une d’entre elles. Vraie découverte sur papier donc, avec ces recueils qui datent déjà de 2002 et de 2004 et qui ont été suivis d’un troisième recueil en 2006, L’Élection du maire (en espérant qu’on le voie un jour débarquer chez Wombat).

Quel est le sujet des nouvelles qui composent ces recueils ? Eh bien on y suit les aventures thérapeutiques de patients en proie à des affres psychologiques et qui ont décidé de se rendre à la clinique Irabu afin de suivre un traitement pour les délivrer d’une situation souvent très handicapantes pour eux. Ainsi ce jeune cadre divorcé qui, dans Au garde-à-vous, est saisi d’un priapisme aigu. 24H/24H il doit composer avec une érection douloureuse jusqu’au nombril sans qu’il en connaisse la cause. Dans Sur le gril, un journaliste est en proie à un TOC : la crainte de créer un incendie à cause d’un de ses mégots mal éteints. Il n’a donc de cesse de vérifier encore et encore ses cendriers, jusqu’au jour où il s’aperçoit que cette manie s’élargie à d’autres, transformant sa vie en un véritable enfer. Dans Trapeze, c’est un trapéziste aguerri qui, du jour au lendemain, inexplicablement, se voit incapable de réussir un mouvement basique avec son coéquipier qu’il soupçonne de le faire tomber dans le filet de protection volontairement. Dans La Moumoute du beau-père (peut-être ma nouvelle préférée) un jeune médecin est obsédé par l’idée de créer un scandale public dont le summum serait d’arracher la perruque de son beau-père, doyen d’une université de médecine. Dans Hot Corner c’est un joueur de base-ball touché par un yips, enfin dans La Romancière, Aiko Hoshiyama est une auteure de best sellers romantiques qui ne se souvient plus de ce qu’elle a écrit, pensant que ses nouvelles idées ont en fait déjà été écrites lors d’un de ses romans ultérieurs.

Toutes ces âmes en souffrance finissent par tomber sur la clinique Irabu et son service psychiatrique situé au sous-sol. L’endroit est lugubre, miteux et le personnel qui la compose n’est pas moins étonnant. Imaginez une sorte d’antithèse au duo Black Jack / Pinoko. Chez Tezuka, on avait le docteur lugubre et sa gamine d’assistante. Chez Okuda, c’est l’inverse, le docteur Irabu ne ressemble à rien. Il est obèse, flasque, a les cheveux couverts de pellicules, a un sourire qui lui découvre les gencives (détail qui fait penser à Warau Salesman) et apparaît surtout, malgré sa quarantaine, comme un effarant gamin. Tout est puéril dans sa conduite, ce qui irrite autant que cela fascine ses clients. A l’opposé, il dispose d’une infirmière sexy, Mayumi (« ma petite Mayumi » comme il l’appelle), qui est toujours là pour faire une piqûre de vitamines aux nouveaux patients, opération qui permet à chaque fois de laisser entrevoir ses cuisses ou la profondeur de sa poitrine, moments hypnotiques qui compensent l’aspect revêche et lugubre de la jeune femme.

Normalement, avec une telle équipe, on prendrait ses jambes à son cou pour fuir la clinique Irabu. Mais à chaque fois se passe quelque chose d’irrationnel. Les clients finissent toujours par accepter le prochain rendez-vous et ce n’est pas pour mater les gambettes et les nibards de la petite Mayumi. C’est que, derrière l’aspect imbécile d’Irabu, se cache peut-être un expert dans son domaine. Je dis bien « peut-être » car on ne sait jamais si les bons conseils donnés à ses patients sont dus à la chance, au hasard, ou s’ils sont le fruit d’une réelle intelligence thérapeutique qui se cache derrière une attitude de bouffon (réellement, il est le genre à faire un bon gros kancho pour décrisper son patient).

Structurées en quatre chapitres, les histoires font donc avancer les patients dans la résolution de leur mal grâce à des indices que sait toujours pointer à propos le docteur Irabu. Et là où ces intrigues finissent par devenir vraiment comiques, c’est qu’Irabu se prend souvent de passion pour le métier, le mal de ses patients ou les remèdes conseillés. Cela l’amène à quitter sa clinique pour s’amuser, mais cet amusement permet à chaque fois de comprendre un peu plus l’origine des différents maux. Ainsi se prend-il de passion dans Trapèze pour les arts du cirque et décide-t-il d’accompagner son patient au cirque pour s’entraîner lui-même… au trapèze. Les descriptions des tentatives hallucinantes du gros lard pour y parvenir sont particulièrement cocasses. Dans La Moumoute du beau-père, il encourage carrément son patient d’arracher la perruque, et va même jusqu’à l’accompagner à son université pour une hallucinante opération commando afin de réussir cette basse œuvre.

Bref Irabu, c’est un cauchemar sur pattes, mais un cauchemar qui parvient à chaque fois de délivrer les patients de leur mal qui aura été pour eux l’occasion d’acquérir un peu plus de sagesse. Sur le plan social, Okuda ratisse large, permettant de compenser l’aspect répétitif de ses histoires. Pour ma part je n’ai pas ressenti de lassitude et j’ai goûté chacune des situations des dix nouvelles qui m’ont fait penser aux histoires d’un drama tel que Rivers Edge Okawabata Detective Agency. Je me suis d’ailleurs dit en lisant que ces histoires seraient parfaites pour une adaptation en drama ou en anime. Or, vérification faite, cela a déjà été fait. On s’abstiendra de voir la version anime qui a voulu faire dans le graphiquement original mais que j’ai trouvé irregardable (pas eu le courage d’aller jusqu’au bout) :

Irabu n’est pas un quadra laid, obèse et immature mais un gosse dans un costume de lapin. OK, super.

Il existe sinon une adaptation manga en trois volumes que je soupçonne être d’une qualité médiocre :

Peut-être plus intéressant, ce drama réalisé il y a quelques années pour Asahi :

Aucune idée de la qualité du drama. Je regrette cependant que l’acteur choisi pour Irabu soit bien moins adipeux que le modèle. Pour l’actrice jouant Mayumi, à voir si cela donne lieu à des plans intéressants, mais l’attitude y est, tout comme le volume mammaire.

Enfin, sans doute plus prometteur, un film a été réalisé en 2005 par Satoshi Miki (l’auteur de l’excellent Adrift in Tokyo). Pas encore eu le temps de le voir mais ça ne saurait tarder, ne serait-ce pour voir comment Miki s’est débrouillé pour entremêler différentes nouvelles. En tout cas Suzuki Matsuo dans le rôle d’Irabu semble avoir un côté WTF intéressant et Maiko dans celui de Mayumi chan restitue assez bien l’aspect austère et sexy de l’originale :

En attendant de voir peut-être un jour ces raretés, n’hésitez pas à vous plonger dans les nouvelles d’Okuda. Pas de crainte à avoir, avec Irabu sensei vous êtes entre de bonnes mains et Mayumi chan n’a pas son pareil pour vous faire apprécier les piqûres.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

5 Commentaires

  1. Les adaptations ont l’air à côté de la plaque… En lisant le premier tome, le mois dernier, je me suis dit que Makita Sports serait parfait dans le rôle d’Irabu.

    On l’associe à une actrice AV pour le rôle de l’infirmière, on l’adapte en drama sur WOWOW à raison d’une 1 nouvelle = 1 épisode, et on tient la version ultime.

    • « On l’associe à une actrice AV pour le rôle de l’infirmière »
      Je vote tout de suite pour Saori Hara, elle a les formes requises et son air souvent austère ferait merveille.

  2. Je viens de terminer « Lala pipo », troisième roman d’Okuda traduit en français… Un roman polyphonique (ou un recueil de nouvelles à la « Winesburg, Ohio », selon les points de vue) qui met en scène des personnages qui souffrent de solitude, liés de près ou de loin au commerce du sexe sous toutes ses formes…

    C’est parfois très drôle (ce qui fait d’Okuda un cas franchement à part, je trouve, parmi les auteurs japonais traduits en français), parfois fort déprimant (pour ne pas dire glauque)….

    Mais on sent toujours une réelle tendresse / compassion de l’auteur pour ses personnages.

    Je recommande.

    • Est-ce que c’est aussi bon que la saison 8 de GOT ? Faudra demander l’avis à certaines personnes sur un certain forum. ^^
      Je le lirai sûrement un jour, probablement pour me remettre de la lecture d’un roman d’Ito Ogawa.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.