La Maison de Bambou (Samuel Fuller – 1955)


À Tokyo, un policier, Eddie Kenner, joue au malfrat afin d’infiltrer un gang d’ex-GI emmenés par Sandy Dawson, soupçonné d’être à l’origine de l’attaque d’un train ayant conduit à la mort d’un militaire américain. eddie gagne la confiance se Sandy mais aussi celle de mariko, l’ancienne petite amie du militaire assassiné…

Bien avant Shock Corridor ou White Dog, il y avait la Maison de Bambou. On aurait tort de prendre à la légère ce film appartenant à la jeunesse de Fuller, tant ce polar ayant en toile de fond le Japon de l’ère Showa, tiraillé entre tradition et modernité, est à la fois attrayant dans son intrigue et sa plasticité.
L’originalité est d’être plongé dans un gang non pas de yakuzas mais de yankees parfaitement au fait des possibilités de s’en mettre plein les fouilles dans ce pays. Plongé dans cet univers souterrain, on économise ainsi les scènes habituelles de dépaysement contemplatif propre aux films américains de cette époque se passant au Japon (à noter que House of bamboo est le premier film américain à avoir été tourné au Japon).. Non que le film en soit dénué, mais c’est à chaque fois le temps d’une courte scène et sans que l’on insiste sur un éventuel choc culturel qui pourrait se lire sur le visage d’Eddy. Le personnage reste d’ailleurs relativement imperturbable, tout à son opération d’infiltration, seul le début d’idylle avec Mariko parvient à déserrer un peu ses mâchoire et à le rendre plus humain. Pour le reste, voir une statue de Bouddha, tomber sur un spectacle de kabuki ou des geishas, tout cela n’émeut guère le flic infiltré.


Pas vraiment de scènes dans de beaux jardins japonais ou dans des temples donc, mais des scènes dans des quartiers populaires, un sento, des salles de pachinko ou encore une fête foraine. A l’opposé de ces cadres réalistes, il faut évoquer des scènes d’intérieur sentant fort la reconstitution hollywoodienne clicheton. Mais ce défaut mis à part, il faut reconnaître que l’immersion dans ce Japon de l’ère Showa a de la gueule, portée par une excellente photographie de Joseph McDonald et une musique de Leigh Harline avec juste ce qu’il faut d’exotisme évocateur pour ne pas être insupportable.


Enfin, pour l’aspect polar de la chose, difficile là aussi de faire la fine bouche. Le film est un remake d’un film de 1948, la Dernière Rafale, avec un agent du FBI s’infiltrant dans un gang. Dans La Maison de Bambou, l’intérêt est bien sûr lié à cette présence américaine qui dérange, surtout lorsqu’une bijin décide de fréquenter un de ces visages pâles. Devenant du jour au lendemain une personne infréquentable, la pauvre Mariko (cinq ans après son rôle dans le Scandale de Kurosawa, bonne interprétation de Shirley Yamaguchi) doit à la fois composer avec le mépris des habitants de son quartier mais aussi celui des « collègues » d’Eddy qui la traitent de « kimono » (c’est-à-dire de jouet, de femme dévergondée que l’on peut avoir à peu de frais. L’expression actuelle serait plus « yellow cab »). Vision assez brutale pour kl’époque à laquelle le Tokyo Shinbun y trouva d’ailleurs à redire, protestant contre la vision très péjorative de la femme japonaise. Une des répliques de Mariko alors qu’elle est occupée à masser le dos de son amant (quelque chose comme : « au Japon, les femmes apprennent dès leur enfance à satisfaire les hommes »), n’étant pas particulièrement féministe.


Reste que cet aspect participe d’une absence d’édulcoration intéressante. Il en va de même de la relation entre Eddy et Sandy Dawson. Si ce dernier est un chef de gang impitoyable (il donne comme consigne à ses hommes d’achever les complices qui seraient blessés afin qu’ils n’aient pas plus tard à se mettre à table face à la police), il apparaît aussi très ambigu dans sa relation avec sa nouvelle recrue. Tout est évidemment très implicite, mais on sent bien que derrière cette sur-virilité meurtrière se cachent comme qui dirait des pulsions homosexuelles, transformant la liaison Mariko-Eddy en trio amoureux sortant de l’ordinaire dans un film noir de cette époque.

En bref un excellent polar en Cinemascope des années 50, doté d’une ambiance et d’une plasticité qui peuvent expliquer pourquoi Barbet Schroeder avoue avoir été fasciné à sa sortie : « (…) c’est la seule fois de ma vie où j’ai vu un film 3 fois de suite, de six heures de l’après-midi à minuit ! Ce qui m’a véritablement fasciné, c’est la splendeur plastique et dynamique de chaque plan, la beauté des couleurs pastel, la constante invention filmique. Chaque scène, chaque fondu, a un timing parfait ».

7,5/10

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