La Langue Tordue (Yoshitaro Nomura – 1980)

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La petite Masako, 8 ans, s’écorche un jour le doigt alors qu’elle est en train de jouer en face de son immeuble. Quelques jours plus tard elle se met à marcher bizarrement, les gestes sont plus incertains. Un soir, elle hurle après s’être violemment mordue la langue. Le diagnostique des médecins est formel : Masako a le tétanos. Commencent alors pour les parents d’éprouvantes journées à veiller la petite dans sa chambre d’hôpital…

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震える舌 (Furueru Shita, la Langue Tordue)

Nomura a un truc pour captiver à partir d’une histoire où il sera question d’enfants et de parents dans la difficulté. Je pensais que le point culminant avait été atteint avec the Demon et le Vase de Sable, mais c’est que je n’avais pas encore vu cette Bouche Tordue. Beaucoup plus simple dans sa structure (des parents assistent juste à l’évolution de la maladie de leur fille à l’hôpital) mais tout aussi captivant de par les enjeux que suscitent la situation. Il y a bien sûr le sort de Masako dont on espère qu’elle sortira indemne de cette épreuve. Mais quand bien même elle en sortirait, le spectateur n’a pas forcément l’assurance que le film pourrait être couronné d’un happy end tant la situation met aussi à l’épreuve la solidité du couple Miyoshi.

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Les Miyoshi, du paradis à l’enfer.

Dès le début les parents sont montrés comme exemplaires, soucieux de la guérison de leur fille. Mais assez vite, un glissement opère. La fatigue et la nervosité aidant, certaines paroles, dures, injustes, sont prononcées, on se met à regretter ce mariage, on accuse l’autre et on se met à somatiser, à s’imaginer que l’on a soi-même le tétanos. Si le corps de la petite Masako connaît une métamorphose progressive (sans doute une légère influence de l’Exorciste. Ce n’est bien sûr pas aussi barré mais la représentation de Masako est parfois choquante), les parents connaissent en parallèle la leur avec cette situation qui part à vau l’eau. Formidable performance au passage de Yukiyo Toake et de Tsunehiko Watase qui, dans ce qui constitue un quasi huis clos de deux heures, font pleinement partager au spectateur la palette de sentiments qui les traversent.

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Lorsque le ciment conjugal part en sucette.

Evidemment, deux heures passées au chevet d’une malade peut paraître excessif et voué à une certaine répétition. On se dit que trente minutes en moins n’auraient pas forcément défiguré le film. Et pourtant, cela aurait été dommage car on aurait perdu le sentiment d’attente, de durée et d’incertitude qui concourt à donner de la force au récit. Le spectateur a souvent la sensation d’être le témoin gênant de ce qu’il aimerait ne pas voir. Il partage l’intimité de cette famille dans cette chambre où l’on ne voit pas grand-chose (les rideaux sont toujours tirés pour garder Masako dans des phases de repos les plus longues possibles) si ce n’est des visages écrasés par la fatigue et où l’on n’entend rien que la respiration compliquée de la petite fille, parfois ses hurlements, souvent les paroles de doutes et de désespoir des parents. Comme eux, on est prisonnier de la situation, condamné à attendre un miracle ou à surmonter une énorme douleur, à assister à l’explosion ou au resserrement des liens de ce couple.

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Bienvenue au purgatoire : il y fait sombre, chaud, et on désespère sec.

Bien plus recommandable que le dépressif (et je dirais même navrant) le Petit Prince a dit de Christine Pascal, Furuera Shita est un grand film sur la maladie chez un enfant et sur la solidité d’un couple, et illustre s’il fallait encore s’en convaincre la capacité de Nomura à tenir en haleine le spectateur grâce à maîtrise d’un genre particulier, celui des « contes cruels de la famille ».

8/10

+

– Yukiyo Toake et Tsunehiko Watase, magistraux.

– Si la petite Masako a du mal à desserrer la mâchoire, le spectateur grince des dents lui, devant le spectacle navrant de la souffrance de la fillette. Le film présente une certaine dureté visuelle, sans non plus avoir le mauvais goût d’en faire des tonnes.

– Une immersion totale dans le calvaire des parents.

– Intégration réussie de la 1ère suite pour violoncelle de Bach.

 

– Inévitablement, le film pourra déplaire avec des scènes forcément un peu répétitives.

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