the Kingdom of Dreams and Madness (Mami Sunada – 2013)

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Le documentaire nous était présenté comme le documentaire ultime sur le studio Ghibli et c’est sûr que l’affiche où l’on voit Suzuki flanqué de Takahata et de Miyazaki était des plus alléchantes. Depuis le temps qu’on entendait parler d’une légende d’un Miyazaki tyrannique, on espérait bien enfin avoir accès à un reportage sans concession sur le génie en puissance que rien n’arrête pour pondre des chefs d’œuvre, y compris être désagréable avec ses employés. Et quant à la rivalité Miyazaki/Takahata, là aussi, on était aux aguets pour entendre des remarques douces-acerbes glissées du bout des lèvres par ces augustes vieillards, en apparence sympathiques mais en réalité d’impitoyables salopards, pour sûr !

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Les deux affreux dans leurs jeunes années.

Bref, on espérait un voyage au cœur du studio Ghibli nous montrant une créativité de tous les instants avec tous ses affects, ses moments de joie comme ses moments de questionnements, de découragement ou de colère. Un voyage au cœur d’une vie artistique intense quoi ! Las, le documentaire de Mami Sunada est en cela bien décevant tant ces deux heures ronronnantes se contentant de suivre de manière polie et distanciée le train train quotidien de Miyazaki durant la réalisation de son dernier métrage (le Vent se lève). Pour Takahata, on repassera, son temps d’apparition à l’écran n’excédera pas une poignée de secondes. On aura beau nous dire qu’il est omniprésent, quasi obsessionnel dans l’esprit de Miyazaki, son absence est l’une des grandes frustrations du film.

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Un des rares moments où ça bouge : Miyazaki faisant sa gymnastique quotidienne !

Certes, l’expérience d’entrer au cœur du studio Ghibli reste au départ fascinante. Impression de se tenir tout sage aux côtés de la réalisatrice, de ne pas faire de bruit pour ne pas déranger l’artiste au travail. On observe, on admire les beaux story-boards que le maître des lieux remplit avec une application inusable. Et puis, au bout d’un moment, on se dit que ce n’est pas tout ça, mais qu’on irait bien se prendre un café au distributeur que l’on a aperçu sur le pallier. Ce n’est pas que tout ce que dit Miyazaki soit inintéressant, et l’on a même parfois vraiment droit à un Miyazaki qui se livre, mais il faut avouer que c’est un Miyazaki assez peu dirigé par des questions pertinentes. Pas du Drucker non plus, mais on sent qu’il faut ménager le monstre sacré. Scène révélatrice : lorsque Miyazaki se trouve sur le jardin situé au toit du studio, la caméra se trouve alors respectueusement à une vingtaine de mètres. Miyazaki sama fait alors un petit signe à la réalisatrice de venir, chose qu’elle fait aussitôt ventre à terre en courant. Du coup on se demande qui dirige qui et le documentaire ne tarde pas à se recouvrir d’un glacis respectueux un peu ennuyeux. On aurait aimé que des questions un peu provocatrices, un peu impertinentes lui soit posées. Mais il faut croire qu’au Japon, face à un trésor national, c’est tout de suite délicat.

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Ainsi les quelques scènes interviewant des employés. On aurait pu avoir des anecdotes un peu piquantes, révélatrices sur la personnalité de Miyazaki mais on sent assez vite que les langues auront du mal à se délier.

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Autre exemple : les scène entre Miyazaki et sa collaboratrice n°1, jolie jeune femme tout sourire mais aussi un peu potiche, la discussion allant dans un seul sens : Miya fait des blagues, elle rigole.

Du coup, il faut se contenter d’une caméra neutre qui va suivre Miya en espérant que celui-ci va révéler certaines facettes de sa personnalité. Et dans l’ensemble, le spectateur se sentira au contact avec un Miyazaki assez rarement vu ailleurs et ce sera pas si mal. Mais finalement, dans le registre « confession des sentiments », la scène la plus intéressante concerne celle avec Miyazaki le fils qui, lors d’une réunion avec des producteurs, confie qu’il est dans le milieu un peu par accident et que pour accepter un projet, il lui faut de réelles raisons. Confession étonnante et courageuse de la part d’un « fils de » mais qui ne laisse pas d’inquiéter sur l’avenir sur Studio.

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L’avenir du studio… peut-être est-ce là que l’on doit trouver les raisons de l’aspect un brin soporifique du documentaire. On peut évoquer la forme, le manque de nerfs du film, mais on peut aussi se dire que si la visite de deux heures au sein du studio Ghibli n’est pas aussi enthousiasmante qu’on l’aurait espéré, c’est aussi parce qu’il n’y a plus grand-chose à espérer. Miyazaki a réalisé un nouveau chef-d’œuvre. C’est bien. Takahata a terminé son nouveau chef d’œuvre. C’est bien aussi. Et après ? Quelle suite pour le studio sachant que les deux monstres sacrés ont selon toute probabilité pris leur retraite (à moins d’un revirement) ? Pour Miyazaki en tout cas c’est très clair. Il le dit, le futur est sombre, il en voit déjà des signes avant-coureurs tout autour de lui. Et le titre du film devient dès lors assez inadéquat. Plutôt qu’un royaume des rêves et de la folie donnant l’impression d’un lieu au sommet de sa gloire, on y voit plutôt un royaume nimbé d’une aura crépusculaire, éclairant de ses derniers feux avant de passer le flambeau à d’autres créateurs qui, si l’on en juge par l’entrain de Goro Miyazaki, ne devraient pas être le fait du studio Ghibli mais de studio concurrents (on songe bien sûr à un Mamoru Hosoda). Paradoxe d’un studio dont les deux figures de proue sont encore capable de sortir de leurs cartons des œuvres qui n’ont rien à envier à celles de leurs concurrents mais qui, en même temps, donnent une impression d’avoir tout dit et de ne plus susciter la même passion. A ce sujet il faut bien reconnaître que voir Miyazaki dans de nombreuses scènes penché sur sa table à dessin pour faire des story board n’est pas particulièrement grisant. Et le voir les yeux subitement pétillants à l’idée de confier le rôle de son personnage principal à Hideaki Anno n’est pas sans ironie. Que le petit coup de passion qui le saisit alors ait pour but de donner à son personnage une voix de petit vieux monotone et absolument dénuée de passion sonne comme un symbole : le royaume, derrière ses belles couleurs, commence peut-être à sentir le sapin.

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Winter is coming ? Allez, on espère qu’il ne sera pas définitif, on l’aime bien, le studio Ghibli.

6,5/10

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2 Commentaires

  1. Putain, Février 2015, la déprime à tous les étages…
    Alors, ça ferme ou pas en fait ?

Répondre à lenumerosixAnnuler la réponse.

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