Adapter un conte selon Takahata

Le Conte de la Princesse Kaguya
Isao Takahata – 2013

Concernant la filmographie du Studio Ghibli, il est un consensus qui veut que le meilleur film soit Le Voyage de Chihiro. O.K., très bien, ça me va, ça semble sage. Mais quid du meilleur deuxième film ?

Là, tout de suite, la réponse est moins évidente. Mais hier, ressentant l’envie de me mater un film d’animation précédant agréablement l’esprit de Noël, j’ai revu Le Conte de la Princesse Kaguya, l’ultime chef-d’œuvre de Takahata, et je crois avoir trouvé ma réponse.

Alors oui, tout de suite, on pourra reprocher au film sa longueur. 2H17 pour adapter un conte, c’est peut-être excessif. Mais j’ai envie de dire : réflex de fâcheux incapable de saisir qu’on se trouve là en présence de l’ultime film d’un prodige du cinéma d’animation. Et du coup, quitte à se mettre une dernière pépite sous la dent, autant qu’elle soit généreuse. D’autant qu’il ne s’agit pas de restituer un simple conte, mais aussi d’exalter une certaine représentation rurale du Japon, aspect évoqué dans le studio dès Mon Voisin Totoro, mais ici exacerbé par une multitude de compositions, de plans mais aussi de chansons prenant racine dans un folklore traditionnel. Takahata a résumé ainsi La Princesse Kaguya : il s’agit d’un « film avec des insectes et de l’herbe ». Donc oui, le film n’est pas pressé, il prend son temps mais pour qui goûte cet aspect, alors les 2H17 passent aussi rapidement qu’un neko bus en retard sur son trajet.

D’autant que le traitement visuel est là pour donner envie pour que le film dure longtemps (pas étonnant d’ailleurs que le film ait longtemps été le film le plus coûteux du studio). Pour cela, Takahata a naturellement pensé à Kazuo Oga pour la direction artistique, LA référence dans le studio pour la création des décors en rapport avec la nature. Il fait venir aussi dans son équipe le dessinateur Osamu Tanabe, déjà à l’œuvre pour Mes Voisins les Yamada, mais aussi pour certaines publicités réalisées par le studio :

L’aspect crayonné de son dessin donne une impression d’esquisse en mouvement, d’art artisanal flamboyant, avec ses fulgurances (admirable scène de la fuite en pleine nuit de la princesse), chaleureux, à mille lieues de la froideur du conte originel.

Et puis, il y a l’aspect psychologique de la chose. Les personnages de contes sont souvent des créatures basiques dont le rôle est d’éclairer une moralité. Là, le but de Takahata était manifestement de développer le personnage de la princesse. Coquille vide dans le conte originel, elle devient ici un personnage traversé de multiples émotions, déchirée par un destin qu’elle connaît par avance (elle doit un jour quitter la terre pour retrouver le peuple de la lune) et par les bassesses du monde des humains, bassesses contrebalancées par des éléments positifs (l’amour maternel, le bonheur simple dans la montagne, incarné par le personnage de Sutemaru, ou encore le sentiment de nature ponctué par les magnifiques compositions de Tanabe). Suzuki, le producteur de Miyazaki et de Takahata, a pu dire que La Princesse Kaguya, finalement, c’était Heidi (allusion à la fameuse série anime de 1974 réalisée par Takahata). Il y a un peu de ça. Mais alors une Heidi conçue par un maître avec quarante d’années d’expérience en plus, maître au sommet de son art et qui ne donnera plus de films par la suite.

Joyau du studio Ghibli, Le Conte de la princesse Kaguya conclut en beauté (c’est rien de le dire) la carrière de celui qui aura été l’ami et le grand rival de l’autre tête créatrice du studio. À tel point que l’on peut se demander si Miyazaki, voyant que son ultime film (à l’origine, Le Vent se lève devait être son dernier) était mis à l’amende par celui de Takahata (juste un avis personnel, mais j’ai trouvé Le Vent se lève raté et ennuyeux), n’a pas décidé de sortir de sa retraite justement pour trouver une vraie conclusion à sa glorieuse filmographie… avec le risque que l’on devine : affadir cette même filmo, se voir condamné à une sorte de ressassement. Au moins Takahata, en disparaissant quelques années après la sortie de Kaguya, a-t-il coupé court à cette forme de malédiction artistique.

9/10

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