Beautiful Sunday (Tetsuya Nakashima – 1998)

 

beautiful sunday poster

Un an après Happy go Lucky, Nakashima sort Beautiful Sunday. Que l’on ne s’y trompe pas : si les deux films ont pour points communs de faire la petite chronique du quotidien de plusieurs personnages et de posséder Ittoku Kishibe dans leur casting, là s’arrête la comparaison car l’on ne tarde pas à s’apercevoir pour le deuxième combien le titre est ironique.

En réalité, il s’agit bien d’un dimanche de merde auquel nous convie Nakashima. Non que les personnages du film précédent ne clapotaient pas dans leurs petits problèmes, mais au moins ce clapotage débouchait sur un sentiment optimiste de l’existence. Rien de tel ici ou alors, le temps d’une scène, courte mais symbolique puisqu’il s’agit de l’ultime scène. En dépit de celle-ci, le ton est largement à la morosité et au grincement de dents. En cela Beautiful Sunday peut-être perçu comme le deuxième volet d’un diptique commencé par Happy go Lucky. Ce dernier nous montrait des personnages cherchant, quel que soit leur âge, à gagner en maturité avec parfois de sympathiques rechutes (le personnage du père). Ici, ce serait plutôt des êtres qui cherchent à combler le vide de leur existence. On ne saurait dire qu’ils le cherchent en vain puisque d’une certaine manière, ils y arrivent. Mais c’est justement cettre manière qui fait tiquer tant elle peut être révélatrice du grand désarroi, voire de la détresse de ces personnages qui vivent dans le même immeuble et dont le destin va s’entrelacer lors de ce « merveilleux dimanche ».

Ainsi les Shibuya :

Jeune couple a priori sans histoire mais qui va connaître, le temps d’une journée, une véritable descente aux enfers. Tout d’abord réveil au petit matin : c’est Madame Nezu, la proprio accompagnée de deux ouvriers, qui viennent vérifier un mystérieux problème d’insonorisation. Dans la foulée le jeune homme, qui travail en tant que scénariste pour un captivant tokusatsu…

Le seul, l’unique, Liquidman !

… apprend qu’il ne vas pas tarder à être au chômage puisque son patron l’informe que la série va s’arrêter. A cela s’ajoute une partie de catch ball dans un jardin d’enfant qui tourne mal car des mères de famille un brin vindicatives viennent leur demander d’arrêter leur petit jeu, bien trop dangereux pour les marmots à proximité :

mais aussi une balle mal lancée qui vient percuter et abîmer la carosserie d’une grosse cylindrée, le fait que le jeune homme soit un ado atardé, dépensier et irresponsable et que son épouse va connaître un bref séjour à l’hôpital du fait d’un accident. Quand on voit ce jeune couple on se dit que, décidément, quand ça veut pas, ça veut pas. La fille a beau avoir plus la tête sur les épaules, chercher des combines pour essayer de s’en sortir, de payer le loyer, rien n’y fait : ils semblent bel et bien être aspirés par une spirale négative.

Cette spirale, ça fait bien longftemps que Madame Okubo y est tombée :

On la voit ici se faire gentiment réprimander par Madame Nezu (à droite) car la solitaire octogénaire a la fâcheuse habitude d’hurler chaque jour à la même heure dans le seul but de faire savoir aux autres locataires qu’elle est toujours vivante. 

Dans un autre style, on a aussi cette autre locataire (dont on ne connait pas le nom) :

Elle peut bien se regarder dans son miroir : elle est encore belle. Le problème est qu’elle n’a personne d’autre qu’elle à en faire profiter. Comme pour compenser ce manque, son appartement est saturé de miroirs, lui donnant par là l’impression pathétique d’être constamment sous le regard d’autres.

Justement, coup de bol, il arrive lors de ce dimanche qu’elle est sous le regard d’un autre qu’elle-même :

Mais en fait pas de bol ! il s’agit d’un stalker. Oui, décidément, quand ça veut pas, ça veut pas.

Autre personnage féminin, autre génération, la petite Ochiai :

… métisse japano-américaine qui doit faire face aux persécutions d’un groupe de filles de sa classe. Tout cela concourt évidemment à la rendre sympathique et pourtant, par un curieux effet pervers, le personnage n’est pas sans développer une forme d’arrogance un peu irritante. Très volontaire, la gamine se fait un point d’honneur à sortir victorieuse de ses confrontations avec ses ennemies. Cela peut susciter le respect mais on se demande si tout cela n’est pas le fruit d’une volonté artificielle de se donner l’impression d’exister. Que serait Ochiai sans ses persécutrices ? Une petite fille perdue dans le salon de son appartement, tout occupée à faire ses devoirs ou plutôt, à indiquer fièvreusement dans son carnet le nombre de ses victoires :

Shibuya lui demandera si tout cela n’est pas un peu « futile ». Ochiai vérifiera le sens du mot dans son dico mais cela ne l’empêchera pas de poursuivre le comptage un peu navrant de ses victoires.

Terminons enfin le tableau avec Madame Nezu dont le jardin secret est découvert par le jeune Shibuya :

Madame Nezu aime la peinture. Ou plutôt, elle aime à se peindre, que ce soit de face, de profil, nue ou habillée. Autre moyen de donner un semblabnt d’épaisseur à l’inexistence de sa vie. En cela ses habits d’un rouge vif (point commun qu’elle a avec Madame Shibuya et l’inconnue aux mille miroirs) lui donnent tout de suite un côté balise de détresse lorsqu’elle se balade dans les rues grises de son quartier :

Finalement, Beautiful Sunday peut-être perçu comme un portrait de cinq femmes dont le vide de l’existence n’a d’égal que la faillite des hommes qui traversent leur existence : on ne voit pas le père amériacain d’Ochiai, on imagine qu’il est reparti dans son pays, Shibuya doit faire face à un mari adolescent (et regardant bêtement lors d’une scène un couple s’embrassant dans la rue, comme s’il avait oublié la portée d’un tel geste), l’inconnue à un stalker qui aura plus tard le culot de l’engueuler. Quant à mesdames Nezu et Okubo, on se demande si des mains d’hommes ont jamais caressé leurs corps. Ajoutons un dernier personnage : le propriétaire de la voiture esquintée qui semble quant à lui bander uniquement pour son véhicule. On pense ici à la Vie mode d’emploi de Pérec. Les personnages du film en auraient décidement bien besoin, d’un mode d’emploi.

On l’aura compris, Beautiful Sunday est infiniment moins souriant que Happy go Lucky. La journée de la semaine symbolisant un rapprochement familial devient le signe d’une confirmation d’un vide. Face sombre de la filmographie de Nakashima qui trouvera son acmé bien plus tard à travers Confessions. Reste malgré tout à ce film une scène, un sourire qui donnera au spectateur à la fin l’impression que la déglingue de la vie peut parfois se résoudre par une chanson, quand bien même cette dernière serait bien foireuse.

 

https://www.youtube.com/watch?v=TUTfRpS9ywc

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