« Excuse me, do you want a blowjob ? »

« Excuse me, do you want a blowjob?… »

Telle est l’offre généreuse, bien franche du collier, que me fit un soir une jeune femme à lunettes au détour d’une rue de Shibuya. Eh non mademoiselle, je ne voulais pas vraiment à cet instant me faire blowjober. Dans d’autres circonstances, je vous aurais éconduite avec un regard amusé et pas écrasant de mépris comme ce fut le cas. Je m’en excuse mais voilà, je sortais d’un séjour à Sapporo pour assister au Yuki matsuri, d’une chaleureuse première rencontre bellefamiliale, d’une cérémonie de mariage – la mienne – et de deux journées enchanteresses passées dans un onsen aux abords de Kagoshima. Je m’apprêtais le lendemain à retourner en France, la tête pleine de ces doux moments pour me faire patienter le retour de ma femme. Dans ces circonstances, vous comprendrez que je n’ai pas vraiment daigné donner suite à votre proposition. J’ai préféré poursuivre mon chemin afin de continuer à m’en mettre plein les sens, en tout bien tout honneur, bien sûr.

Ainsi sont ces quartiers : au grand déballage kaleidoscopique des néons s’ajoutent une orgie de sons, le tout recouvert d’une nappe d’odeurs de bouffe que l’on devine pas forcément sophistiquée mais apte à bien vous caler l’estomac. Et comme si cette synesthésie de tous les instants ne suffisait pas, on s’aperçoit rapidement qu’il faut compter avec un autre ingrédient : le sexe. Il est partout, plus ou moins montré, mais toujours prêt à proposer un service à celui qui viendrait pour privilégier le toucher plutôt que les autres sens.

Ici un couple regardant attentivement devant un love hotel quelle chambre bigarrée il va bien pouvoir choisir pour passer agréablement une heure apéritive (ou digestive, c’est selon) avant le dîner. Là une fille qui, malgré une température avoisinant 0°C, distribue en bikini des tracts dont on devine le contenu. Là encore une femme qui vous arrête dans votre déambulation pour vous montrer entre deux magasins une sombre ouverture descendant quelque part, obscur trou du cul dans le béton qui amène le client à se vautrer dans de la chair faite exprès.

Et donc des jeunes femmes qui vous alpaguent pour faire sans discrétion aucune des phrases avec le mot blowjob dedans. « Job », effectivement. Quand vous allez sur les bords de mer, vous avez toujours dans les parages les vendeurs de chichis et de glaces. Eh bien là, c’est pareil. Conins pour fins gourmets ou cornets de churos, même combat. Et s’il doit bien y avoir des marchandises un peu rassies, on ne peut nier à l’emballage, toutes ces illustrations, ces enseignes qui bombardent les rues jusqu’aux cabines téléphoniques, de donner une image sucrée qui ne peut que mettre l’eau à la bouche.

Curieuse sensation que d’être observé par ces augustes donzelles en bikini alors que vous êtes dans une cabine en train de parler à votre douce.

Ce ne sont certes pas des quartiers pour les tartuffes, les bazins et autres vierges en herbe facilement effarouchées.  Mais pour les autres, sans doute rien de bien choquant là-dedans :

Je pense que les hommes sont universellement  des pervers ; seulement, au Japon, nous faisons quelque chose pour ça.

dixit M. Taniguchi, 65 ans (citation extraite  de Pink Box de Joan Sinclair)

Cette bonne bouille au vice épanoui et pleinement assumé résume assez bien les choses. Les « en manque de la chose » et autres « furtifs » et « affectueux du dimanche »…

dixit cette fois-ci madame Mado, que Dieu l’ait en Sa sainte protection.

… pourront, en se baladant dans ces matrices et sans chercher bien longtemps, purger facilement la soupape et repartir tout guilleret afin d’affronter une fin de semaine difficile.

Au-delà de la maladresse de ma fellatrice à lunettes, l’ambiance de ces quartiers où il faut soit ingurgiter quelque chose dans son corps, soit faire pénétrer ce dernier dans un orifice, me fascine. J’aime à voir et essayer de saisir le vif, la nuit tombée, cette sexualité bourgeonnante à chaque coin de rue. Pas besoin de tester, je capte, ça suffit à mon imaginaire de nikoniste :

Stairway to AV (boutique d’Akihabara)

Shibuya (qui est loin d’être le quartier le plus gratiné en la matière) m’a souvent donné l’impression d’être un peu l’île aux grands enfants, une couille de Tokyo aussi indispensable à son fonctionnement que l’est Shinjuku et son quartier cérébro-administratif. Elle se soulage frénétiquement chaque nuit en un maelström barnumesque de perversions en tous genres. Au petit matin, vidée, elle semble bien morose, peu capable de disputer aux autres artères de la ville l’énergie des habitants. Post coitum, quartier triste. Mais ça ne dure pas, elle reprend assez vite des couleurs, remet ses néons à clignoter plein pot, se gonfle petit à petit de passants et se lâche une nouvelle fois la nuit tombée.

Pros and cons of being an AV star

Ce défilé carnavelesque de pulsions me plaît… jusqu’à un certain point. Infailliblement je finis par ressentir de la lassitude, une mélancolie devant cette vie sexuelle qui, par son caractère effréné, systématique, à force de se déverser partout,  finit par avoir autant d’importance qu’un bol de miso soupe lors d’un repas. Ça occupe. Mais est-ce suffisant ? Pour des clients, ça doit bien l’être. Mais ce sexe bariolé qui s’affiche me donne souvent l’impression d’être un acte jetable désespéré pour fuir un quotidien terne et dépressif. On y trouve son compte ? Ou feint-on d’y trouver son compte ? Rigole-t-on ou chiale-t-on en y faisant l’amour ? Avec de telles couleurs ce serait dommage :

J’aperçois une bombasse en robe rose bonbon moulante en diable. Elle est fraîche, le visage souriant. Elle n’a l’air d’être ni terne ni dépressive. N’étant pas un habitué du quartier, je la remarque aussitôt. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Elle est belle pourtant. Vraiment… ou peut-être juste un peu plus sexy que les fils électriques ou la bagnole qui passe devant elle. Ce doit être ça.

Ce que c’est de divaguer. Je devais juste faire un paragraphe d’introduction pour présenter un livre, et voilà que ce paragraphe s’est transformé en ce truc. Bon, en cette période où écrire est un chouïa douloureux, je ne vais pas trop me plaindre (mais vivement le WE bordel ! ). Et la critique n’est que partie remise.

Coming soon : Tokyo Blue, de Romain Slocombe.

Et le récit d’une étonnante rencontre…

Lien pour marque-pages : Permaliens.

12 Commentaires

  1. j’aime bien aussi l’ambiance de ces quartiers la nuit. Par contre je n’aime pas m’y ballader seul car ça fait un peu touriste en quete de chair fraiche (pour rester poli). Et je n’aime pas pas trop ça, quelque soit le pays où je suis d’ailleurs. Mais je dois avouer qu’à Tokyo il y un petit truc qui fait que le(s) lieu(x) est visitable sans arriere pensée, comme le RLD d’Amsterdam, contrairement à certains cloaques d’autres villes / pays. Une sorte de Disneyland du plaisir, où tu choisis de faire la queue pour monter dans le manege. Et les vendeuses, aguicheuses certes, ne sont pas des poissonnieres. Et puis un détour chez les vendeurs de video ou jeux videos pour adulte permet en coup d’oeil de confirmer que pfiou! y’a des fantasmes à la pelle chez nos amis japonais. Un peu trop d’ailleurs (ah le regard attendrissant du mec sur la jaquette d’un jeu moe !)
    la seule vraie question importante : peux t’on marchander à Tokyo ? non parce qu’en Chine j’aurai pu avoir 2 filles pour 6 Euros.. c’est important le marchandage.

  2. Sympa l’intro’ ! 😉 Et donc ce « reportage-guérilla » en mode Yûya Uchida dans No More Comics, un appareil photo en guise de micro. D’ailleurs, j’aime bien la photo des marches qui t’emmènent vers ce palais… des plaisirs.

    Un peu de people : et la cérémonie ? En mode traditionnelle ou bien ? ^^

    @ Guillaume (et tout le monde par la même ocassion) :

    > « non parce qu’en Chine j’aurai pu avoir 2 filles pour 6 Euros.. c’est important le marchandage. »

    6 euros ?! Je suis sur le cul. Y a pas à dire, ils sont vraiment plus compétitif ces chinois même en prostitution.

    Effectivement, c’est important le marchandage.

  3. Do you want a blowjob ?. La dernière fois qu’on m’a faite cette proposition indécente, c’était à Ho Chi Minh, mais avec une voix grave de travelo.

    Avis aux touristes sexuels, marchandez tant que vous voulez, mais tâtez la marchandise avant.
    Le Guide du Vicelard

  4. @ Guillaume :
    « Par contre je n’aime pas m’y balader seul car ça fait un peu touriste en quête de chair fraiche (pour rester poli) »

    C’est un peu ça, d’autant qu’à Shibuya on a vite fait de quitter les rues « normales », celles avec des restos ou des magasins de fringues, pour tomber sur ces rues où l’on va normalement avec une idée bien précise en tête.
    Je ne sais pas si ça te le fait, mais je me paume très facilement dans Shibuya (alors que j’ai un bon sens de l’orientation). Je me promène et bing! sans le vouloir j’atterris dans le love hotels hills. Je me demande parfois si je n’ai pas la déambulation qui frôle l’acte manqué…

    @ I.D. :
    Un « reportage-guerilla » qui s’est sagement contenté des devantures et des trottoirs. Pour ce qu’il s’y passe à l’intérieur, je ne peux pas dire, ma maman me l’ayant interdit.
    Par contre, pour le bouquin de Slocombe, c’est autre chose.

    La mariage ? Traditionnel juste pour les habits. Pour le reste, c’était le style hôtel de luxe prévu pour ce genre de cérémonies. Y aurait de quoi faire un sacré article mais on verra plus tard…

    @ Bouffe-tout :

    Avis aux touristes sexuels, marchandez tant que vous voulez, mais tâtez la marchandise avant.
    Le Guide du Vicelard

    Tais-toi malheureux! Tu vas donner des idées d’articles aux collègues de Drink Cold ! J’ai pas envie de voir une épidémie de chtouille à la rédac’.

    PS :
    La dernière fois qu’on m’a faite cette proposition indécente, c’était à Ho Chi Minh
    Pardi! Je sais bien, j’ai assisté à la scène !
    null
    LE TRAVELO (camouflant sa voix) : Moi aimer toi beaucoup. Moi bang bang beaucoup !
    BOUFFE-TOUT : Ça marche ma jolie, c’est combien ?
    OLRIK : Hmm, attends Bouffe-tout, je sais pas pourquoi mais je sens qu’il y a une couille dans le potage là.

  5. Hey pilgrim, heureusement que tu lui as mis la main au paquet ce jour là, sans ça !

    Private Bouffe-tout, 69e compagnie d’infanterie

  6. @Olrik [« Je ne sais pas si ça te le fait, mais je me paume très facilement dans Shibuya (alors que j’ai un bon sens de l’orientation) »]
    pareil je ne me paume que très rarement, mais Tokyo résiste à mes dons de cartographe mental. J’y retombe toujours sur mes pieds mais en empruntant des chemins de traverse non prévus qui me désorientent souvent sur le coup. C’est pour ça, en fait, que j’adore marcher sans but dans Tokyo (et puis comme c’est pas non plus tous les jours, j’amplifie le plaisir en faisant quelque fois expres de prendre une ruelle inconnue, pour voir ce qu’il y a au bout, mais il n’y a jamais de bout)

    @Bouffe-tout [« marchandez tant que vous voulez, mais tâtez la marchandise avant. »]
    c’est exact. sage conseil. Evitons le vice caché lors de l’accord commercial.
    (et dites non à la prostitution. Meme si c’est marrant d’en connaitre les prix pays par pays)

  7. Probablement (d’un point de vue stylistique) ton meilleur billet.

    Pour le reste, ayant déjà pratiqué les officines sexuelles nippones, je crains avoir suffisamment d’expériences pour me passer de livres sur le sujet. Alors Slocombe…

    Au demeurant, j’ai souri à cette photo de Full Metal Jacket. Elle me servait déjà d’illustration chez moi.

    http://clarenceboddicker.com/2008/01/20/call-girl-love/

    Juste une chose: « peux t’on marchander à Tokyo ? non parce qu’en Chine j’aurai pu avoir 2 filles pour 6 Euros.. c’est important le marchandage. »

    On ne marchande pas à Tokyo, à moins de vouloir passer pour un crevard. Les prix sont affichés clairement, et s’entendent fixes. Si marchandage il y a, c’est uniquement avec ces mêmes chinoises, souvent rencontrées dans la rue et agissant pour un établissement (rabatteur), ou le faisant en solo (le pire du pire).

    Clarence, Escort Boy

  8. @ Bouffe-tout : la 69è la bien nommée! Que de souvenirs! Pour un peu j’aurais presque envie de rempiler!

    @ Guillaume : « amplifier le plaisir ». Oui, je crois que lorsque l’on se trouve à Tokyo pour quelques jours, on a tendance à vouloir à en bouffer coûte que coûte et que, pour peu que l’on ne soit pas une feignasse, cela se manifeste par des marches enragées tous azimuts dans lesquelles se perdre est un petit plaisir supplémentaire plus ou moins inconscient (merde, un peu longue cette phrase).

    @ Clarence : Coup de bol alors parce qu’avec toutes les conneries que j’ai vues et entendues cette semaine au boulot, je te prie de croire qu’enchaîner deux phrases était un vrai supplice. Mais il est très probable que j’espace dorénavant un peu plus les publications pour chiader.

    Ah! Si j’avais découvert le Japon à l’âge auquel tu y as fait ton premier séjour, je ne dis pas que j’aurais essayé un de ces image clubs avec plein de pulpeuses O.L. à gros derrière. D’une certaine manière, je t’envie d’avoir connu toutes ces belles expériences. Article bien sympa d’ailleurs que celui que tu indiques et dont – inexplicablement – je ne connaissais pas l’existence.

    « Me love you long time » ! Je cherchais la phrase sans m’en souvenir, ton lien tombe à pic, j’avais la flemme d’aller vérifier sur le DVD. Par contre, le « trop beaucoup » je ne l’oublie pas, lui.

    Concernant le Slocombe, tu fais un peu fausse route car le livre n’a pas l’impression d’être un Pink Box bis mais plutôt une sorte de rêverie intime sur Tokyo, notamment à travers le prisme du sexe. Tu verras cela…

    Pour le marchandage, c’est exactement ça : miss quatre z’yeux m’avait donné l’impression d’être une étudiante (japonaise ou chinoise) prête à tout pour arrondir ses fins de mois, y compris (horreur!) faire des ristournes à un frenchy dégoulinant de sueur et le Nikon collé à son œil lubrique. Ces Chinoises, tsss… de vraies bougresses. Justine et Juliette, à côté, c’est les demoiselles de Rochefort.

  9. @Olrik : et il y a visiblement matiere à se perdre
    http://www.flickr.com/photos/hidesax/3732956891/sizes/o/in/set-72157612083905806/
    (j’aime cette photo qui fait peur autant qu’elle fascine par démesure)

  10. J’avais quelque peu déserté le net et j’avais donc raté ce nouvel article. Une lecture bien agréable, je rejoins Clarence sur ce point.

    Et oui, tu as raison : Shibuya au petit matin quand tu rentres du love-hotel, tu ne sais plus si tu as rempli tes objectifs et passé une bonne soirée ou si tu es tellement misérable que tu pourrais en mourir. Ce qui était brillant la veille devient tellement gris et sale à l’aube que tu as l’impression d’être le personnage d’un hard-boiled de seconde zone.

    Ce serait d’ailleurs marrant de prendre en photo les mêmes endroits, une fois vers minuit et une fois à 7h du mat’. Ca devrait même transparaitre de la pellicule.

    Par contre, ne comptez pas sur moi pour vous parler des prostituées chinoises de 45 ans qui t’obligent à prendre une douche pour te faire les poches. Non mais oh! Un peu de respect de la vie privée!

    Meganekun, chez Mireille Dumas.

  11. « J’avais quelque peu déserté le net »

    J’avais remarqué. Mais que cela ne dure pas trop longtemps, le Japanisthan a besoin de toi ! Remarque je dis ça, mais mon dernier article pour DC commence un peu à dater.

    « Shibuya au petit matin ».

    Il peut y avoir un charme particulier à assister à l’éveil de tel ou tel quartier d’une grande ville, je l’ai encore vérifié récemment à Stockholm. Rien de tel avec Shibuya. On a l’impression d’avoir affaire à un quartier aux yeux vitreux et à la langue pâteuse ; on n’a qu’une envie : aller voir ailleurs.

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