Love Exposure (Sion Sono – 2008)

Drôle, époustouflant, touchant, intelligent, brillant : tel est Love Exposure, dernier film de Sion Sono. Quatre heures faisant défiler devant vos yeux émerveillés un absolu divertissement non stop. Et pourtant, après avoir vu son précédent film, Hazard, j’étais un peu dans l’expectative. Trop hystérique, un peu saoulant, ce film m’avait dérouté, moi qui m’attendait à retrouver soit le glauque d’un Strange Circus, soit le regard critique un brin nihiliste d’un Suicide Club ou d’un Noriko’s Dinner Table (critique envers la société japonaise s’entend). Foutraque, Hazard ne m’avait pas paru très lisible, un peu forcé, comme ces films de ces réalisateurs qui essayent de donner un virage aussi spectaculaire qu’artificiel à leur carrière. Dès lors, mort, Shion Sono ? Attendez, vous n’avez encore rien vu.

Dès le début, Love Exposure vous fait sentir qu’il va être un film bourré d’énergie. Durant la première heure, on suit la curieuse évolution de Yu, lycéen sans histoire qui n’a pour seuls défauts d’avoir pour père un prêtre catholique et d’être d’une incommensurable gentillesse. Rien de forcément inavouable, le problème est que ledit père met une terrible pression sur son fils pour qu’il lui avoue coûte que coûte ses péchés du jour. Mais qu’avouer lorsque l’on est quelqu’un de foncièrement bon ? Du coup, Yu s’efforce de suivre la « voie du péché ». Cela commence par des fourmis qu’il écrase rageusement, des tracasseries bouffonnes vis-à-vis de ses camarades de classe. Tout cela est bien léger, mais on monte d’un cran lorsque Yu croise la route d’une sorte de pervers mystique qui est persuadé que la vérité de toute chose se trouve dans ce petit bout de tissu blanc que les filles portent à l’entrejambe et que l’on appelle « culotte ». Yu, sous influence, se spécialise alors dans un vice bien particulier : le tosatsu, comprenez l’art de pointer l’objectif de son appareil photo (et seulement cela) sous les jupes des filles. Tout à coup, il devient une sorte de malin génie dans cet art, enchaînant les mouvements de type kung fu pour parvenir à ses fins. Nous sommes dans la pure bouffonnerie, on ne voit pas où veut en venir Sono mais peu importe : c’est inventif, drôle, et porté par un Boléro quasi omniprésent durant cette première heure.

Tosatsu technique n°1

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Tosatsu technique n°2

 

Tosatsu technique n°3 (un appareil photo asticieusement monté sur une voiture téléguidée)

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La deuxième heure injecte à la narration deux nouveaux personnages, cette fois-ci féminins : l’ange Yoko et le démon Aya.

Yoko la sainte (en tout cas telle que se la représente Yu)

 

Aya et Cie en mission

La première apparaît comme l’élue de Yu. Elle est sa « Maria », sa sainte Marie. Car ici, petite parenthèse, il faut préciser que les petites séance photo de Yu, au-delà du plaisir de photographier du chef d’œuvre en dentelle, ont aussi pour but de dénicher sa moitié. Ce qu’est Yoko car, si la maman de Jésus avait l’immaculée conception, Yoko, elle, a la culotte immaculée, la culotte ultime, celle qui donne immédiatement une érection à Yu et qui lui donne à penser, comme Angelo Badalamenti dans Mulholland drive :

« This is the girl »

En fait, toute la première heure se fait en vue de cette rencontre (sous la forme d’un compte à rebours de 365 jours qui débouche sur une fabuleuse scène de bagarre de rue). D’un côté, le jeune homme vierge qui n’a jamais eu d’érection, de l’autre la jeune fille, elle aussi vierge, elle aussi (toute proportion gardée) traumatisée dans son enfance par un père (violent lui) et un poil incestueux, et elle aussi très portée sur la chose religieuse. Le hic, c’est qu’il y a deux grains de sable qui empêchent cet amour d’être partagé par Yoko. Le plus important vient évidemment de l’autre personnage féminin, Aya.

Habillée de blanc, sempiternellement accompagnée de deux autres blanches acolytes en mini jupe, elle apparaît d’abord comme une sorte d’ange gardien. Elle s’intéresse à Yu, semble le surveiller. Mais rapidement, le ton change. Sono renoue avec une brutalité de ton qui parlera à ceux qui ont vu Suicide Club. Clairement, Aya n’est pas un ange – je vous laisse la surprise de la découverte de la scène où cela est une évidence – . Ou plutôt, elle est un faux angelot, un de ceux qu’utilisent les sectes pour attirer les brebis égarés. Car Aya  appartient à une secte, « l’Église zéro » elle en est même l’un de ses plus beaux fleurons.  Et, comme Yu, elle a une quête. Yu cherche LA culotte, Sa Maria, Aya cherche quant à elle LA victime. Et pour cela, quoi de plus beau, de plus subtil, de plus pervers que de convertir une famille de catholiques à l’Église zéro ? Intelligente, elle a tôt fait de s’immiscer dans la petite famille (précisions ici que par un hasard miraculeux, le père de Yu s’est entretemps marié avec… la mère de substitution d’Aya, les deux personnages vivent donc sous le même toit), de faire tomber amoureuse Yoko d’elle et de ruiner la réputation de Yu en révélant ses petits secrets photographiques. Ouf !

Fin de la deuxième heure qui, rythmée par l’excellente musique du groupe japonais Yura Yura Teikoku, sera elle aussi passée comme une lettre à la poste. Et fin aussi d’un certain ton enjoué. La deuxième moitié sera une longue lutte de Yu pour essayer de reconquérir une Yoko définitivement manipulée par la secte. Des pointes d’humour subsistent, témoignant combien Sono est un virtuose du mélange des genres. Mais à part ces courts moments… kidnapping, terrorisme, meurtre, folie, perte de repères sociaux, désocialisation, on rigole beaucoup moins. Mais on reste toujours totalement captivé, happé par cette narration virevoltante qui ne laisse aucun répit au spectateur (même si les plans tendent à s’allonger au fur et à mesure). La structure en chapitres donne d’ailleurs au film un côté tragédie classique. Le premier notamment, longue exposition qui débouche sur le principal nœud de l’intrigue. On a l’impression d’un train inarrêtable, d’un destin puis d’une fatalité en marche. Et plus on avance dans la deuxième moitié du film, plus on se dit que le petit couple angélique ne se retrouvera jamais. Je ne dévoilerai bien sûr pas la fin. Quelle qu’elle soit, je dirai juste que c’est une « vraie » fin, pas le genre à vous faire regretter les quatre heures de votre vie passées devant un film.

Deux représentations de la famille : celle qui porte sa croix…

… et celle qui n’en porte plus.

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Final killbillesque

Love Exposure est donc, et haut la main encore ! le chef d’œuvre de Sono. Je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle avec le chef d’œuvre d’un autre cinéaste, je pense à Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa. Deux ambitions, deux styles différents, mais tous deux prennent le pouls à leur manière de leur société. À Kurosawa le réalisme (et même le surréalisme avec la dernière demi heure), à Sono la caricature. Parmi les divers maux qui apparaissent dans son film, celui de la sexualité revient avec une belle constance. Associer mal et sexualité peut sembler incongru, et pourtant c’est bien ce qui est montré. Il est un mot bien connu du féru de culture populaire japonaise qui revient tout le temps : « hentai », pervers. Mais pervers par rapport à quoi ? Par rapport à une norme ? Ici, Love Exposure semble vouloir nous dire qu’importe les petites perversions de chacun, du moment que l’on rencontre l’amour.

On a dit de l’amour Yoko !

Et ceci m’amène, pour clore cet article (j’aime ce ton doctoral), à une idée, qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui, une fois qu’elle m’a effleuré l’esprit, n’a pas arrêté de m’obséder jusqu’à la fin du film. Voici de quoi il s’agit : et si… Yu était une sorte de vicomte de Valmont, Aya une marquise de Merteuil et Yoko une Mme de Tourvel ? On se trouverait alors devant une version des Liaison Dangereuses revu et corrigé par cinéaste un peu cinglé se nommant Sion Sono. Sans être athée comme Valmont, il y a évidemment dans les rapports de Yu à la religion du blasphème. Dans Gargantua, frère Jean cherche la dive bouteille, Yu cherche lui la dive trique, celle qui lui fera reconnaître sa moitié. Par ailleurs, les deux sont d’une certaine manière des libertins. C’est évident pour Valmont. La différence avec Yu c’est qu’il y a un refus de passer à l’acte sexuel. On est face à un libertinage de passif, d’Homo Japonicus frustré. Autre chose : Yu devient tellement virtuose dans l’art du tosatsu qu’il finit par avoir une réputation. Surnommé « le roi des pervers », il finit par devenir l’employé d’une grande société de vidéos pornos (la « Bukkake Sha », ça ne s’invente pas) dans laquelle, lors d’une fête remplie de pervers de tous poils, Yu devient un faux prêtre confesseur. Le libertin tournant en dérision la religion et gagnant la confiance des faibles, autre point commun avec Valmont.

Entretien d’embauche à la Bukkake Sha. Une formalité pour le « roi des pervers ».

Enfin, il y a cette guerre avec Aya/Merteuil pour gagner ou perdre la pure Yoko/Tourvel. Aya essaiera de la lui faire oublier, notamment en l’embrigadant dans sa secte, mais rien n’y fera : il camouflera son désir et son amour pour Yoko (comprenez qu’il se retiendra de toute érection en sa présence, je vous assure que je n’invente rien), pour mieux les laisser exploser en un maelström de violence.

L’ultime épreuve pour Yu : maîtriser l’afflux sanguin dans une partie de son corps lorsque Yoko lui montre un de ses chefs d’œuvre.

Je m’arrête avec les comparaisons. Il y en a d’autres mais je ne veux pas que l’article tourne au pensum (il n’a déjà que trop duré). Cela montre en tout cas que ce film est assez riche pour susciter une pluralité d’interprétations. S’il vient un jour à être diffusé en France, n’hésitez pas. Love Exposure est la magistrale démonstration que l’on peut allier sans problème, et ce sur quatre heures, divertissement et film d’auteur.

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5 Commentaires

  1. Une fin a la killbill? Vraiment??

    • Si j’évoque Kill Bill, c’est parce que le personnage principal entre tout seul dans un lieu et affronte à un moment, armé de son katana, une horde d’hommes en noir. Le sang gicle mais ce n’est pas aussi long et violent que Kill Bill. Mais fatalement, cette courte scène y fait penser. Le rapprochement s’arrête là bien sûr.

  2. Je suis OVER MEGA FAN de ce film !

    • Coïncidence : dans mon prochain article tu retrouveras Sakura Ando. Mais bien moins perverse cette fois-ci. J’aime bien cette actrice.

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