Le Japon m’a fait attraper le virus de la photographie. Et inversement, la photographie a alimenté mon virus pour ce pays. A mes yeux, il est le terrain de jeu idéal pour le photographe. Bien sûr, je ne doute pas que d’autres pays n’aient un intérêt particulier de ce point de vue. Après tout, je suis un bien modeste globe-trotter. Mes voyages au Japon sont mes seuls coups d’éclat. A part eux, peu de titres. Des voyages en France, un voyage en Allemagne durant ma scolarité, et c’est tout. Du coup, prétendre que le Japon est le pays idéal pour exercer la photographie alors que l’on a peu voyagé à de quoi faire sourire. Par ailleurs, intervient sans doute aussi l’exotisme. D’ù vient que je n’ai finalement qu’assez peu de plaisir à faire de la photographie en France ? La force de l’habitude sans doute. Mes yeux perçoivent moins bien les petits détails dignes d’intérêt que lorsque je me trouve au Japon. Je me sens moins sollicité, moins stimulé, tout me semble fade. Mon Nikon attend sagement dans sa sacoche mais n’est que bien peu mis à contribution.
Il en va tout autrement lorsque je suis au Japon. Je me souviens de mon premier voyage. J’avais pour l’occasion investi dans un appareil dit « bridge », un Panasonic FZ2. Un bridge est un appareil photo intermédiaire, entre le compacte et le réflex. Doté d’une otique Leica de qualité, l’engin possédait aussi un puissant zoom stabilisé qui devait me permettre de cueillir des détails assez éloignés. Ayant pris soin de m’être procuré deux cartes mémoires SD de 256 MB (pas si ridicule à l’époque), j’avais cru naïvement que cela aurait largement suffi. C’était sans compter avec le brutal exotisme qui allait me sauter à la figure. Combien de fois, en une journée, ai-je enclanché le petit bouton « ON » pour prendre une photo. Le mécanisme de mise en marche était un peu long (cinq secondes) et en soi consommateur d’énergie. Plus d’une fois je me suis retrouvé en fin d’après-midi avec une batterie vide. Il fallait alors trouver d’urgence une prise de courant quelconque si je voulais continuer mon petit safari photo.
« Safari photo ». L’expression est plate mais a le mérite d’attirer l’attention sur un point qui, lorsque je débutais en photographie, m’était étranger : le mouvement. Durant mes premières ballades dans les rues de Tokyo, j’étais avant tout attiré par un exotisme statique. Par exemple les buildings illuminés de Shibuya, le temple du Senso Ji, l’intérieur du Tokyo International forum, etc. Mais peu à peu, je me suis rendu compte que l’intérêt, en tout cas à mes yeux, résidait dans le dynamisme et la variété des scènes de rue. Quel que soit le sexe, quel que soit l’âge, les Japonais ont un je ne sais quoi qui les rend fascinants et terriblement photogéniques. On dit souvent ques les visages asiatiques offrent moins de variétés que les visages occidentaux. C’est sans doute vrai. Mais les associer à cette idée d’impassibilité qui aurait à voir avec un zen clichéesque est faire fausse route. Les visages japonais, pour peu que l’on soit attentif, offrent une grande variété d’expression. Cette variété, conjuguée à un improbable environnement mêlé de tradition et de modernisme (cliché mais tellement vrai) fait que j’attache maintenant beaucoup plus d’importance à une photo représentant, disons un SDF englué dans son quotidien, qu’une photo du Pavillon d’or, quand bien même cette photo serait parfaite.
En fait, je suis devenu un accro du « street shooting » et cela s’est aggravé à partir du moment où je me suis procuré mon Nikon D70. Naviguer dans les rues, slalomer entre les gens pour essayer de saisir une attitude, une scène est quelque chose de très stimulant, procurant son petit lot d’émotions. Car parfois, on est pris la main dans le sac, ou plutôt l’index sur le bouton, et l’on ne sait pas comment la « cible » va réagir. Sur ce point, j’avoue avoir toujours eu de la chance. Souvent mes modèles involontaires m’ont gratifié d’un sourire, parfois indulgent, parfois franchement amusé. Jusqu’au jour où, peut-être, ça se passera différemment. N’importe, ce jeu qui consiste à essayer de saisir la vie urbaine dans tout ce qu’elle a d’étonnant, de contradictoire et parfois de beau, en vaut la chandelle. Il m’est en tout cas indispensable pour décupler l’émerveillement et le plaisir continuels que me procurent des promenades au Japon.