Maître de demain ? #6 Sheep in the Night (Paul Young – 2010)

Je reprends cette série sur les films universitaires de fin d’études avec aujourd’hui un petit film fantastique de Paul Young. Non, aucun rapport avec le comparse de Zucchero, ce Paul Young-là est un jeune cinéaste tout frais émoulu de la Graduate School of Film and New Media de Yokohama. A côté de ce film de 70 minutes, citons un autre court que l’on trouve dans le film à sketchs Hito no Sabaku, lui aussi produit par la Tokyo University. A part ça, silence radio, je n’ai même pas pu trouver une photo de gus – chose rare – pour voir à quoi il ressemblait.

N’importe, espérons qu’il saura faire son trou et à nouveau faire parler de lui car ce Sheep in the Night  (Mayonaka no Hitsuji), sans être non plus d’une grande originalité, sait habilement capter l’attention du spectateur avec son histoire qui m’a à la fois fait penser aux films fantastiques de Polanski et  à l’Invasion des Profanateurs de Sépultures (plutôt la deuxième version). Le film nous raconte comment la vie tranquille d’un jeune couple (Shinji et Maki) :

Petit couple heureux avec l’avenir devant lui. Pour l’instant, ils doivent se contenter de ce qu’ils ont, c’est-à-dire pas grand chose : lui est un modeste agent immobilier, elle, on ne sait pas, et leur lieu de vie est un petit appartement. Ah ! n’oublions pas, à défaut d’enfants ils ont au moins un chien, Cookie. Problème :

… le petit cabot disparaît dès les premières minutes du film, alors que le couple était gentiment en train de jouer au baseball dans un parc. Fait banal mais qui constitue le point de départ d’un basculement dans le fantastique duquel Shinji va avoir bien du mal à se sortir. 

Ce basculement va d’abord se faire par un changement dans l’attitude de Maki dont le seul moment où on la voit enjouée est au début du film, lors de cette partie de baseball insouciante, heureuse, et qui oriente en cela sur une fausse piste les attentes du spectateurs. Dans l’appartement, on découvre une Maki un peu sur les nerfs, rendue hargneuse par la perte de son clébard et ordonnant à son copain d’aller nuitamment parcourir la ville pour afficher des avis de recherche. « Cookie aussi est de la famille ! » Après tout, pourquoi pas ? cela peut se comprendre si elle l’aimait, son cher trésor. Mais d’un autre côté, on ne peut s’ôter de l’esprit qu’il y a quelque chose de cassé dans la petite vie de Shinji. Veut-il se faire chauffer un plat au micro-onndes que celui-ci explose. Le lendemain, à son retour du travail, un éclair frappant un terrain vague lui fait découvrir une météorite encore brûlante de sa traversée de l’atmosphère. Le jour suivant, il emmène des clients visiter une maison qui n’est autre que son ancienne maison et il y trouve dans un coin :

… sa soeur aînée, Shiori, disparue du jour au lendemain il y a dix ans et déboulant brusquement dans la vie de Shinji après un moment de son existence passé à faire des voyages de par le monde.

Enfin, emmenant son micro-onde chez un petit réparateur de quartier, celui-ci lui tient la jambe en expliquant un tableau qui décore son magasin :

Il illustre une vieille légende mexicaine selon laquelle une météorite, tombée non loin d’un village, l’aurait comme frappé par une influence maléfique. Le marchand ne fait aucun commentaire sur la silhouette féminine mais le spectateur ne tarde pas à faire le rapprochement avec shiori (et au cas où il serait un peu lent d’esprit, le montage en parallèle avec la silhouette de la jeune femme est là pour insister lourdement). Dès lors, les bases du récit fantastique sont posées : les petits soucis que connaît Shinji sont-ils liés au hasard où à l’influence néfaste de sa soeur ? Incertitude propre au fantastique que Young arrive à faire fonctionner sans problème dans un récit tout à l’économie de moyen. J’évoquais Polanski dans le sens où comme dans Rosemary’s Baby ou le Locataire, le personnage principal, en proie à des doutes et à de mauvais rêves, voit son réel contaminé (à moins qu’il ne le contamine lui-même par ses fantasmes) par des événements insolites. Lors d’une scène où il remonte une rue avec Maki et Shiori, il est tout à coup dépassé par un groupe de personnes silencieux et marchant presque au pas :

On pense alors au conte du Joueur de flûte de Hamelin puisque l’on a accès à cet instant à une ritournelle que fredonne mentalement Shiori. On jurerait que ce troupeau d’automates (ou de moutons, pour reprendre le titre du film) suit docilement Shiori avant que celle-ci ne s’arrête et ne soit dépassée par les quidams. Etrange, d’auant que quelques secondes plus tard :

… Shinji croise les mêmes quidams, cette fois-ci occupés à contempler le ciel (passe-temps auquel s’adonne souvent Shiori). Le plan est important car ils sont absorbés dans cette occupation avant même que Shinji ne les regarde, évacuant par là toute possibilité de perception subjective faussée par les fantasmes ou un début de folie du personnage.

Comme chez Polanski, tout se passe comme si les règles régissant notre société étaient maintenant occupées à régir un autre objectif : protéger Shiori et la météorite. La copine de Shinji sera la première à être subjuguée par sa soeur et à être son alliée. Il faut préciser ici que les deux tourtereaux étaient sur le point de se marier. Pas gênée pour deux yens, Maki fera ses valises pour aller vivre avec Shiori dans l’unique maison familiale. « Shiori est de la famille! » proclame-t-elle sur le même ton qu’elle utilisait à la disparition de son chien. Elle sera le premier mouton de Shiori, Shinji la découvrira dans l’appartement, comme vidée de toute pensée, avec à côté d’elle ceci :

La météorite que Shiori a récupéré et installé « chez elle ». Quand il contera cette histoire à l’artisan-antiquaire, celui-ci décidera aussitôt de récupérer cette saleté pour la détruire. Mauvaise idée car le spectateur découvrira alors que le ataillon de fidèles que Shiori a su se constituer ne badine pas. Pour l’instant, Shinji, en sa qualité de frère, est épargné, mais le film ne tardera pas à nous montrer que lui aussi aura a subir l’agressivité des sectateurs.

Avec ces scènes d’action (un bien grand mot), le film m’a alors évoqué le deuxième Body Snatchers, celui de Kaufman se déroulant à San Francisco et illustrant avec une puissante noirceur le pouvoir aliénant des grandes villes. La métaphore peut se retrouver dans Sheep in the Night mais à un moindre degré. Le premier plan du film nous montre de dos Shinji, contemplant la ville :

… lieu plein de promesses inaccessible au jeune couple encore peu argenté. Maki elle-même le dira : « je suppose que c’est mieux à la ville ». Justement non, ce n’est pas mieux puisque Shinji sera peu à peu entouré d’aliénés en puissance tout occupés à protéger une idée fixe, et ce par n’importe quels moyens (un inspecteur de police, suspectant que quelque chose de louche se trame dans la ville, en fera méchamment les frais).

La thématique, conjuguée à celle du fantastique, est intéressante mais finalement rendue de manière un peu maladroite. C’est peut-être la limite de ce petit film. Aucun problème pour le suivre durant ses 70 minutes mais justement, on se dit à la fin qu’une demi-heure en plus aurait pu l’aider à distiller un climat plus vénéneux et, surtout, à rendre plus crédible la fin et sa révélation finale. Sans la dévoiler, disons qu’elle est en rapport avec un souvenir enfoui de Shinji (lié à la cause de la disparition de sa soeur) et le but recherché par Shiori. Et là aussi, dans sa motivation, difficile de ne pas avoir en tête Body Snatchers

Le film se termine sur un plan énigmatique (en jus de boudin diront certains), peut-être un peu facile mais n’entachant en rien le travail très propre de ce film de fin d’étude qui donne malgré tout envie de suivre les prochaines réalisations de ce Paul Young.

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Un Commentaire

  1. OK, je le note dans « à découvrir ».

    I.D. spameur qui n’aura pas d’une vie suffisante pour voir le 7ème art sous tout les traits tirés.

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