A Day on the Planet (Isao Yukisada – 2003)

 

day on the planet poster

Que cette semaine fut dure les amis ! Bloqué à la maison du fait de l’ire de l’Hiver qui a recouvert d’importance ma campagne de son blanc manteau (très Charles d’Orléans tout cela), votre serviteur a dû ronger son frein et résister de toutes ses forces à l’envie effrénée de prendre la voiture et risquer sa peau à jouer les Surya Bonaly sur les routes pour aller travailler.  Oui, ce fut bien dur de rester à la maison à profiter du chauffage, des livres et de différentes boissons chaudes, alcoolisées ou non, à écouter mélancoliquement le Winterreise.

Dures aussi les innombrables promenades à la campagne, les séances de constructions de bonhommes de neige avec Olrik Jr et celles de photos avec Olrik the 3rd examinant interloqué cette étrange substance blanche.

Et encore plus dures les innombrables crêpes ingurgitées que Madame concoctait pendant ce temps. Et je vous passe le Grand Marnier et les baisers chauds et sucrés à côté du poêle à charbon hérité de ma grand-mère pour achever de se réchauffer. Non, tout cela n’est décidément pas une vie et il me tarde de reprendre le travail dès lundi prochain.

En attendant, pour me sortir de cet engourdissement physique, je stimule mon esprit avec de douces pelloches que je ne rate jamais de revoir lorsqu’il fait -10°C à l’extérieur. Ainsi Millenium Mambo :

Et pas seulement pour le déhanchement de Shu Qi

Jeremiah Johnson :

Cela me rappelle qu’il faudra que je songe à vous faire goûter un jour à ma terrine maison de caribou

Ou encore, pour taper du côté du Japon, ceci :

 A Day on the Planet

Un film sur une baleine qui s’échoue (je schématise un peu, même si…). Non, ne partez pas, restez, restez ! Car à côté de ca mastodonte des mers vous trouverez un autre mammifère, plus gracile celui-ci, en la personne de la délicieuse…

Rena Tanaka

Certes, avoir une idol dans le casting, au-delà du simple plaisir visuel, n’est pas toujours rassurant. Mais enfin, de Aoi à Miyazaki chez Hiroshi Ishikawa à  Megumi Kagurazaka chez Sion Sono, les contre-exemples ne sont pas rares et celui de Rena chan en fait partie.

Malgré cela, vous hésitez encore ? Bon, allons-y alors, à moi d’essayer de vous convaincre pourquoi ce petit film mérite d’être vu.

A Day on the Planet est un de ces films suivant des êtres qui vont se croiser et influer plus ou moins sur leur destin respectif. Nous faisons ainsi d’abord la connaissance de Nakazawa (Satoshi sumabuki) et Maki (rena Tanaka), jeune couple accompagné de leur amie Kate (Ayumi Ito), jeune femme collectionnant les déceptions amoureuses.

 

Nakazawa, Kate et Maki

Le trio se rend à Kyoto pour retrouver Masamichi (Shûji Kashiwabara), étudiant fraîchement installé et s’apprêtant à pendre sa crémaillère accompagné de plusieurs amis : Nishiyama (Masaki Miura), grand flandrin aux cheveux longs (pas pour longtemps) et peu chanceux en amour, Sakamoto et Kawachi (Toshinobu Matsuo), beau gosse timide que la Jeune Kate va tenter de séduire éhontément – en vain :

Pendant ce temps, une baleine s’échoue non loin de là et est découverte par une lycéenne dont on ne connaîtra pas le nom :

… tandis que l’employé d’un tripot clandestin, Tetsu, se trouve inexplicablement coincé entre deux immeubles.

Ces trois situations présentées, Yukisada peut lancer ses billes et les laisser s’entrechoquer… ou non. Car il faut bien le reconnaître, A Day on the Planet n’est pas de ce côté un Short Cuts ou un Magnolia.

Difficile ici de résister à une coupure pub.

Pas de carambolages entre les personnages, juste des effleurements, voire de simples rencontres par le prisme du tube cathodique :

Ainsi Nishimaya et Sakamoto se marrant devant les déboires du pitoyable Tetsu retransmis aux infos.

Cette absence d’interactions entre les personnages tient du fait que ceux-ci, à bien des égards, apparaissent comme autant de baleines échouées. Prisonnier de leur personnalité, ou bien prisonniers d’une situation amoureuse inextricable, ils peinent à évoluer, à trouver une solution pour atteindre au bonheur. Nakazawa et Maki ne cessent de clamer qu’ils s’aiment et qu’ils sont faits l’un pour l’autre. Mais à voir la complicité entre le jeune homme et Kate, ainsi que le regard circonspect que porte Maki sur ces moments de complicité, on se demande si cette certitude n’est pas un leurre.

 

Tout comme ce geste affectif, quelque peu forcé.

Pour Kate, sa passion des beaux garçons apparaît très vite comme sans issue. Et l’on comprend assez vite qu’un regard à proximité, par exemple sur  Nishimaya qui semble être son pendant masculin en matière de loufoquerie et de solitude amoureuse, pourraît être la solution pour elle. Même Masamichi, qui semble plus mature, le plus équilibré de cet échantillon estudiantin, n’échappe pas à un certain pataugement amoureux. Alors qu’il enfourche son vélo à deux heures du mat’ pour aller chercher des desserts au combini le plus proche, il se fait renverser par un chauffard qui se garde bien de s’arrêter pour vérifier s’il va bien :

 

Le voilà lui aussi échoué, non pas sur le sable mais sur le bitume, incapable de se relever. Pendant un temps on craint bien sûr pour sa vie. Mais une sonnerie de keitai a pour effet magique de le faire bouger. Il se relève lentement, décroche et, alors que la caméra s’est entretemps approchée, montre au spectateur sa blessure, juste une grosse éraflure sur la joue gauche. Du coup, l’accident et sa position longuement immobile sur le sol résonnent a posteriori de manière symbolique. Masamichi aussi est un être qui préfère rester englué dans un présent à l’avenir incertain plutôt que d’aller vraiment de l’avant. L’appel téléphonique ? Une amie étudiante enfin, une ex petite amie qui prend poliment contact avec lui pour savoir comment se passe son installation à Kyoto. On comprend assez vite que la séparation est plus douloureuse pour le jeune homme qui essaye de la rencarder. Les réponses évasives de la jeune femme ne lui laissent peu d’espoir, la rupture semble bien consommée. Sur le retour, il y aura la tentation de faire son deuil de cette liaison en suivant une autre voie, plus à court terme mais parfaite pour chasser les mauvaises pensées :

Mais cette fille que lui et le spectateur prennent pour une prostituée est en fait une jeune femme qui attend son Jules qui n’est autre qu’un vieil ami de Masamichi rencontré durant cette nuit malencontreuse.  Masamichi devra mariner encore un peu…

Enfin Tetsu, que certains des personnages ont connu dans leur jeunesse, l’employé d’une affaire douteuse, coincé entre deux immeubles pour avoir sauté d’une fenêtre afin d’échapper à une descente de police, apparaît évidemment comme la réponse humaine la plus frappante du pauvre cachalot échoué sur la plage. Comme pour ce dernier, Tetsu va être entouré d’une horde de badauds. La différence étant que si la baleine a droit à l’aide de ces derniers pour tenter de la renflouer :

 

… Tetsu lui, a surtout droit à une médiatisation humiliante puis à un désintérêt total, n’eût été la présence d’un ouvrier qui va sympathiser avec lui durant cette longue nuit. Il finira par être tiré de sa prison mais pour en gagner une autre puisque deux inspecteurs l’attendront puis les mettre les menottes. N’importe, il pourra serrer la main à la personne avec laquelle il aura partagé un moment humain d’une rare complicité.

 

Notons ici une anecdote concernant Tetsu, anecdote racontée par Kate. Alors qu’elle était petite fille, elle s’était demandée à quel moment le « aujourd’hui » devient « demain ». Pour le vérifier, elle n’avait rien de trouver de mieux à faire que de rester éveillée toute la nuit pour essayer de saisir ce moment. Ayant raconté par la suite son expérience à Tetsu, celui-ci se mit aussitôt en colère, soulignant la stupidité de Kate puisque le passage au lendemain se fait pour lui évidemment à minuit. Or, l’expérience qu’il vient de subir, pris en sandwich entre deux immeuble, lui montre que ce n’est pas si simple. Commençant avec les événements se situant vers trois heures du matin (ceux concernant le trio Nakazawa-Miki-Kate, la baleine et Tetsu), le film opère ensuite un flashback situé en fin d’après-midi. On suit alors le cours des différentes narrations jusqu’aux différents points vus lors de l’ouverture, puis on les dépasse, avec à nouveau d’autres flashbacks montrant la cause de la mésaventure de Tetsu mais aussi celle de Kawachi, le beau gentil garçon emprunté.

Si le film est facilement compréhensible dans cette structure qui s’étale à cheval sur deux journées, ces retours en arrière dans la narration donnent un sentiment mêlé de fragilité et de complexité de l’existence. Celle-ci apparaît comme étant loin d’être aussi cartésienne que le pense Tetsu, avec une juxtaposition chronologique d’événements faisant sens. Avec ces multiples flashbacks on sent combien le présent s’explique par le passé, est même pollué par ce dernier pourrait-on dire. D’où cette impression de personnages englués, échoués dans leur quotidien et à l’avenir fragile.

Par ailleurs, comme le fait remarquer Nakazawa à Kate, il n’y a pas réellement de lendemain. On baigne dans un instant présent qui est à jamais un « aujourd’hui ». Vision finalement pas vraiment rassurante pour ses personnages qui ont peine à évoluer. Mais d’un autre côté, cette « journée sur la planète » n’est donc pas à prendre au sens de « une journée parmi tant d’autres ». L’article indéfini pourrait être perçu comme une manière de saisir ce que va avoir cette journée de particulier, de fondateur pour tous ces êtres dans la construction de leur avenir (1). Pas non plus un changement radical mais une pulsion, un coup de pouce du destin qui va leur permettre soit de les conforter dans leur certitude :

 

Nakizawa et Maki, tout-à-coup plus sereins dans leur relation.

… soit de les faire bifurquer vers une autre direction.

La lycéenne anonyme que l’on voit quitter sa chère baleine pour reprendre la route.

Enfin la baleine, justement, que les personnages ont décidé de voir par eux-mêmes mais qu’il ne pourront justement pas admirer puisque le cétacé, alors mêmes que les pelleteuses ne sont pas parvenues à le remettre à la mer, le laissant comme mort sur le sable, a purement et simplement disparu. De sa propre volonté ? Grâce à une bonne fortune ? On ne le saura pas, tout comme on ne saura pas si tous ces personnages confirmeront ou non leur propre sortie de leur petite mélasse existentielle.

A Day on the Planet est un peu un film sur l’échec qui n’a rien de dramatique. Un peu comme ces takoyakis :

… que tient Chiyo, la petite amie de Kawachi, et qui sont en train de refroidir parce que le jeune homme est – une nouvelle fois – en retard à leur rendez-vous, les personnages, qu’ils soient chauds, froids ou tiédasses, parviendront à un moment ou un autre à libérer, comme Tetsu, ce qui fait leur saveur.

Comme je vous le disais, un petit film optimiste mais pas cucul, empli de finesse et succulent comme des takoyakis dégustés en se promenant au Yuki Matsuri de Sapporo (expérience vécue). Un de ces films qui font office de bouillote mentale, particulièrement appréciable lorsque même les bonhommes de neige ont l’air de se les cailler dehors.

 

(1) interprétation que corrobore le titre japonais, Kyô no dekigoto, c’est-à-dire « le(s) événement(s) d’aujourd’hui ».

 

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5 Commentaires

  1. Merveilleuse Shu Qi… merveilleuse Rena Tanaka… les idol ne m’ont jamais fait peur. Elles nous ont offert les plus grands chef d’oeuvres du cinéma japonais. Oui, monsieur. J’ose le dire ! J’ose l’écrire ! J’ose le penser ! Sans ça m’a l’air pas mal ce p’tit film.

    • « Merveilleuse Shu Qi… »

      Merveilleuse surtout dans Millenium Mambo où elle irradie de naturel et de sensualité. Pas besoin de faire des photos de charme vulgaires les jambes bien écartées comme elle a pu le faire lorsqu’elle était modèle, juste un rôle dans un film de HHH mesdemoiselles, ça vous booste infiniment plus le sex appeal. Dans un autre style, Tsai Ming Lang se démerde pas mal non plus pour faire ressortir une féminité même dans des milieux où l’on se dit que c’est forcément mal barré :

  2. Ces films auront permis de faire connaître Shu Qi et surtout permis de montrer ses tétés à des amateurs de jolies femmes comme nous. 😉 En attendant, elle choisie au mieux ses projets depuis qu’elle tourne dans de « l’auteur ». La donzelle aurait même du mal à causer de cette période dénudée. C’est devenu le sujet tabou en ce qui la concerne.

    Tu sais que tu causes à un fan de TML là ? ‘Tain qu’est-ce qu’il a déconné avec « Visage ». C’est un auteur que j’adore. Un univers propre avec de l’eau et du cul. Cool.

  3. Le problème avec Shu Qi, c’est qu’elle a tourné dans une production de Besson. Savoir que ça lui fait un point commun avec Jean Réno fait quand même un peu mal. Bien plus vulgaire d’ailleurs que sa période dénudée. Tiens d’ailleurs, s’il y a des lecteurs qui se demandent à quoi ressemble cette période, voici :
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    Et encore, je vous évite les photos du style « regardez bien à l’intérieur pour voir si elle est fraîche ».

    Pour Tsai Ming Liang, j’avoue avoir quelques wagons de retard. C’est un tort car j’avais vu the Hole à sa sortie et j’en garde un bon souvenir, tout comme, dans une moindre mesure, la Saveur de la Pastèque. Faudra que je m’y remette.

  4. Aaaah ‘tain, cette prod’ Besson, m’en cause pas, ça va me foutre ma journée en l’air. Qu’est-ce qu’elle est allée foutre là-dedans ?! OK, elle a pris son chèque. Elle a peut-être cru que ça lui ouvrirait les portes de l’international mais merde quoi…

    Pour la photo, ça faisait longtemps. 🙂

    Pour Tsai, il aura au moins créé une patte bien à lui. Après, je comprends les personnes qui n’accrochent pas. Dans tout les cas, ça reste un cinéaste à découvrir, rien que pour pouvoir dire après que c’est pas ça. Ca me fait penser qu’on a pas mal d’avis sur les films du bonhomme et qu’ils n’ont toujours pas été diffusé sur Made in Asie. Faut que je relance la taulière sinon ça va pas le faire. 😉

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