Maîtres de demain ? #3 Kokoro (Sho Tsukikawa – 2007)

Œuvre de fin d’étude de l’année 2007, ce Kokoro de Sho Tsukikawa propose une histoire de vengeance mélangée à une histoire policière. Ça commence comme ça : Bing.

Une mère de famille reçoit sur le crâne un extincteur balancé en haut d’un immeuble par… un gamin. Celui-ci est interpellé par la police mais, du fait de son jeune âge, n’est pas ennuyé par la justice.

Les années passent, chacune des deux familles (celle du meurtrier et celle de la victime) a repris une existence normale. La famille de a mère assassinée, les Motomiya, fait vivre un petit bar. Dans la journée, le fils travaille dans une usine. Tout va bien, même si l’appartement suggère un vide intérieur du fait de l’absence de la mère (le père n’ayant pas refait sa vie) :

 

♫Le soleil vient de se lever…♫

Dans la famille du meurtrier, les Katayama, c’est un peu mieux :

 

Mais à peine. L’appartement lumineux, bien briqué, est en fait à l’image de Rina, la fille, qui a autrefois autrefois au crime commis par son frère. Lisse, parfait mais un brin artificiel. Il lui manque quelque chose pour donner l’impression de la vie. De même, Rina vaque à ses occupations, enfin on la voit sortir de chez elle, marcher, sans savoir en quoi consiste ces occupations. Elle file en tout cas, à la fois dans le monde et coupé du monde puisque l’on apprend que la jeune femme est sourde et muette. Ce n’est pas vraiment dit, mais l’on devine que cet état est la conséquence au traumatisme du meurtre de la mère.

Le père vit quant à lui seul, on ne sait pas pourquoi son épouse n’est plus dans le foyer. Là aussi, on imagine que c’est une conséquence directe de ce qui s’est passé. A part ça, Katayama est flic et enquête sur un tueur en série qui kidnappe et tue des jeunes femmes. Quant à son fils, Tsutumu, s’il a échappé à la prison, on le devine coupé du monde comme sa sœur, un peu paumé, sans amis :

 

Le principal attrait de Kokoro est donc de mélanger deux intrigues.

Dans la première, on suit Katayama dans son enquête pour mettre le grappin sur le tueur en série, tueur qui utilise un uniforme de flic, qui filme ses victimes puis dépose leur cadavre (ou des parties de leur corps) dans des sacs qu’il dépose dans n’importe où dans la rue.

Dans la deuxième, on s’attache surtout à l’évolution du fils Motomiya (personnage qui a lui aussi assisté en direct à la mort de la mère). En apparence, rien ne cloche avec lui. Fils serviable qui aide son père dans la petite entreprise familiale, il apparaît aussi lors d’une scène comme un ouvrier modèle. Contrairement à Tsutumu qui ère dans les rues, sa vie semble bien occupée. Mais tout bascule lorsqu’il rencontre un jour, à son usine, ce jeune homme venu délivrer un paquet :

 

On ne sait pas si Motomiya reconnaît Tsutumu sur le champ. Mais ses paroles amicales sur sa casquette de supporter des Hiroshima Carps, casquette qu’il portait déjà le jour du drame, sonnent comme le coup de départ d’un changement. Quelques scène plus loin, on verra Motomiya occupé à essayer de faire du baseball avec une barre de fer et des cailloux :

 

Plan tout en symboles. Les cailloux font immédiatement penser à la scène du meurtre (1). La récurrence de cette scène donnera un caractère obsessionnel à cette pratique du baseball qui renvoie évidemment à l’homme à la casquette. Au loin, une cheminée qui fume : la colère couve, gronde vis-à-vis d’un meurtrier qui vit tranquillement et qui a sans doute bénéficié de la protection injuste d’un père policier. Il doit payer, un bon coup de barre de fer réglerait bien le problème…

Mais il n’en est pas encore là. Le fils Motomiya (seul des 4 enfants dont on ne connaît pas le prénom, cela n’est pas anodin…) va d’abord assister à une étrange scène à proximité de son usine :

 

Tsutumu déposant un sac.

Alertant aussitôt la police, Motomiya n’hésitera pas à dénoncer son nouvel ami. Or, après l’interrogatoire de celui-ci, il s’avérera que Tsutumu, sans doute grâce à un alibi en béton, sera rapidement relâché. Pas d’ambiguïtés pour le spectateur : il sait à quoi ressemble le véritable meurtrier et que Tsutumu n’a donc rien à voir avec ces meurtres en série (à moins d’une éventuelle complicité avec le tueur). Mais s’il n’a réellement rien à voir avec ces crimes, comment expliquer cette scène ? C’est l’autre attrait de Kokoro, cette impression de côtoyer une certaine irréalité qui contraste avec ce genre Ô combien préoccupé de réalité qu’est le genre policier. A-t-il bien vu Tsutumu ? Ne s’est-il pas plutôt convaincu que c’était Tsutumu ? Dans tous les cas, cette dénonciation n’empêchera pas celui-ci de revenir vers Motomiya, tout à sa joie d’avoir enfin un ami avec lequel il peut taper dans des cailloux à coups de barre de fer. Symbole ultime de sociabilisation en devenir : Motomiya lui demandera son numéro de téléphone ce qui amènera Tsutumu à se procurer un keitai.

On peut donc craindre pour la vie de Tsutumu. Et pourtant, on se demande si le danger viendra réellement de Motomiya puisqu’un autre personnage semble bien plus apte que lui à se venger :

 

Son frère, Teruya.

Un peu plus vénère le père Teruya, à l’image de cette gueule et de ce journal intime dans lequel il exprime à longueur de pages sa rage de voir le meurtrier de sa mère continuer à vivre tranquillement. Etrangement, lui aussi travaille à l’usine et au bar de son père. Lui aussi aime à taper dans des cailloux, encore le fait-il avec plus de hargne que son frère. Lorsqu’un client refuse de payer en prétextant qu’il a trouvé un cheveu dans sa tasse (cheveux qu’il a adroitement glissé), il est à deux doigts de le rattraper pour lui casser la gueule. Et quand il regarde une cheminée :

 

Elle crache du feu.

Oui, Teruya semble bien plus dangereux, bien plus imprévisible, à la fois présent et absent, comme finalement dans ce plan où apparaît une troisième chaise, mais vide :

 

La présence fantômatique de Teruya, conjuguée au trouble de son frère, au mutisme et la surdité de Rina et à ce tueur déguisé en flic, tout cela permet de donner une aura d’étrangeté à cette histoire de vengeance ancré dans le réalisme du Japon que l’on pourrait appeler « des petites rues ». En cela le choix du DV est judicieux : par son image lisse et ses couleurs saturées, il offre la représentation d’un univers irréel, à la fois présent, bourré de détails et artificiel, presque menaçant.

 

On se demande dans tout ça pourquoi Tsukikawa a choisi ce titre, Kokoro (« cœur »), puisque le cœur semble bien malade. Et si les images présentent souvent des couleurs chaudes, on ne peut pas dire que l’on baigne dans l’allégresse, à l’image de la bande sonore, limitée aux bruits de la vie quotidienne et à une « musique » électronique pour le moins minimaliste. Néanmoins, les dernières scènes montrant Rina et les deux pères, offriront habilement un élément de réponse au choix de ce titre (et ouais, pas de spoil aujourd’hui).

Sans être un chef d’œuvre, Kokoro parvient assez bien en 64 minutes à intéresser le spectateur par cette histoire de vengeance et de serial killer nimbée dans une atmosphère numérique irréelle. Passant d’un personnage à l’autre, Tsukikawa arrive à donner un certain rythme à une histoire qu’il maîtrise finalement de bout en bout. On aimerait que le sieur confirme avec un long métrage malheureusement, après un excellent court métrage réalisé en 2009, il semblerait qu’il faille encore attendre.

(1) Avant de balancer l’extincteur, Tsutumu était occupé à viser une cannette avec des cailloux du haut de son étage.

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2 Commentaires

  1. « et ouais, pas de spoil aujourd’hui »

    Moi qui guettais l’apparition des lettres de sang, pour ce coup-ci, c’est donc raté…

    Encore un film que je rajoute à ma liste…

    A.rnaud, au Jeu des Trônes, il met un petit billet sur Sarah Connor…

  2. Game of Thrones… ‘suis toujours sous le coup de l’émotion. c’est rare que je biche autant dès les premières minutes d’une série. Habituellement, c’est au bout de deux ou trois épisodes que je commence à apprécier ou non.
    Bref, je sens que ça va être passionnant de découvrir au fur et à mesure cet univers. Je pressens que le nain lubrique va avoir un rôle prépondérant dans l’histoire. Un type aussi queutard a forcément plein de ressources…

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