Happyend
Neo Sora – 2024
Voilà un « fils de » dont il pourra être intéressant de suivre la carrière. Fils de Ryuichi Sakamoto et de la chanteuse Norika Sora, Sora s’était illustré en 2023, avec Opus, film captant en noir et blanc une prestation live du père, au piano, sans public, à un moment où Sakamoto était condamné par son cancer. Film beau, avec des mouvements de caméra qui m’avaient donné l’impression d’un ange obervant le musicien, mais exigeant tant la playlist jouée était sombre, un rien mortifère.
Ce qui n’est pas le cas du film sorti l’année suivante, premier film narratif, ce Happyend qui annonce une couleur différente… du moins en apparence.
Car l’univers choisi par Sora est un univers dystopique, avec un fascisme en devenir, laissant suspendre une épée de Damoclès au-dessus de la population des Japonais non natifs. On suit l’amitié d’un petit groupe de lycéens ayant l’habitude de faire les 400 coups. Le ciment de ces cinq enfants terribles est constitué du duo Yuta / Kou. Le premier est un Japonais natif, le second d’origine coréenne. Passionné tout deux de musique techno, ils font montre d’une indéfectible amitié. Mais il y a aussi Tomu, garçon métis à moitié américain, Ming, fille avec du sang chinois dans les veines, enfin Ata-chan, Japonais lui, mais plus du genre « clou qui dépasse » que Japonais soucieux de se montrer discipliné.
Bref, une joyeuse bande attachante qui va se voir mise à rude épreuve par un réel dans lequel la politique joue de la crainte d’un terrible tremblement de terre à venir pour serrer la vis sur la communauté des immigrés, prétextant des exactions passées lors du tremblement de terre de 1923 (durant lequel on avait accusé les Coréens d’avoir empoisonné des puits). La mère de Kou en subit déjà les effets, puisque quelqu’un a griffonné « hikokumin » (traître) sur la devanture de son petit restaurant. Quant à Tomu, le jeune garçon noir qui doit bientôt retourner aux States, il a beau rassurer tout le monde en mettant en avant des retrouvailles familiales, on ne peut pas s’empêcher de se dire que c’est peut-être aussi une pression raciale qui écourte sa vie au Japon.
À cela s’ajoute la décision du proviseur du lycée d’installer un délirant système de vidéosurveillance permettant d’identifier en temps réels des « fautifs » dans les couloirs et de leur soustraire des points (deux tourtereaux qui s’embrassent innocemment ? -3 points !).
Dès lors, il convient de faire acte de rébellion et Kou, déjà amoureux de Fumi, jeune Japonaise faisant dans l’engagement, avec force réunions contestataires et manifestations, va finir par oublier son insouciance juvénile pour se laisser habiter par une colère rageuse qui, forcément, mettra son amitié avec Yuta à rude épreuve, le jeune Coréen reprochant à son ami de ne penser qu’à lui et à ses amusements.
Comment se rebeller, contester, dans un pays comme le Japon où de puis les sinistres actions de l’Armée Rouge Unifiée, la population japonaise a décidé de confier le pouvoir au parti conservateur, le PLD (à deux brèves exceptions près) ? Et un jeune Japonais natif peut-il avoir une conscience politique et une aptitude à se rebeller ? Car à l’exception de Fumi, on ne peut pas dire que les autres soient en ce sens particulièrement rassurants. Ce sont finalement les deux grandes questions du film. Chose amusante, il est sorti au même mois que les dernières élections législatives anticipées, élections qui ont vu la majorité échapper au PLD, l’obligeant à constituer un gouvernement minoritaire. Une lueur d’espoir…
En tout cas, Happyend est un solide premier film, avec un bon casting (aussi bien les acteurs jouant les élèves que ceux incarnant les adultes : le vétéran Shinô Sano dans le rôle du proviseur est vraiment excellent), une capacité à restituer un élan juvénile sans que cela soit saoûlant (c’est parfois le risque) et une bonne photographie (avec notamment un Japon urbain et nocturne qui flatte la rétine). Comme on dit, auteur à suivre.
7/10