Hairpin Circus
Kiyoshi Nishimura – 1971
Un ancien champion de course automobile, retiré suite à un accident ayant causé la mort d’un concurrent, et devenu depuis un sage moniteur d’auto-école, retrouve Miki, une ancienne élève qui sillonne maintenant les artères de Tokyo dans sa Toyota 2000 GT accompagnée de trois acolytes, dans le but d’affronter d’autres fous du volant…
Easy Rider, Point Limite Zéro, Macadam à deux voies, autant de films américains qui ont associé vrombissement de moteurs et échappatoire dans une société dont les personnages ne partagent pas les valeurs. Eh bien Hairpin Circuit s’inscrit dans cette veine et, sans aller jusqu’à dire que le film est brillant, il est suffisamment original et brut dans son approche pour mériter de s’y intéresser.
On sent que Nishimura a regardé attentivement French Connection et sa fameuse scène de course-poursuite dans des rues de New-York remplies de passants et de véhicules (contrairement à celle de Bullitt). Dès le générique, la caméra, fixée au ras du bitume à l’avant d’un bolide, nous fait vivre l’expérience de foncer dans le périphérique tokyoïte, en slalomant pour doubler les autres véhicules (on songe à C’était un rendez-vous, de Lelouch, court-métrage qui sortira quatre ans plus tard). Et le film n’hésitera pas à proposer d’autres scènes de ce type. N’attendez pas des plans tout confort : l’image est heurtée, pour ne pas dire parfois franchement épileptique, comme lors de ce flashback à Macau où l’on suit la course de Shimao ayant causé la mort de son concurrent. L’image tressaute alors furieusement dans tous les sens. Insupportable ? On peut le trouver. Pour ma part, vues sur grand écran, j’ai trouvé cela limite hypnotique. Après, il faut aussi dire que toutes les scènes de bagnole finissent par s’épuiser d’elles-mêmes. Le film se termine sur un morceau de bravoure de vingt minutes et, accompagné sans discontinuer de la musique jazz de Masabumi Kikuchi (qui faisait parfois penser à du Yuji Ohno), il a fini par me lasser. La faute peut-être à une overdose de scènes nocturnes, alors que des scènes diurnes auraient rendu plus graphiques et spectaculaires les duels sur le bitume. Mais cette réserve mise à part, Hairpin Circuit a une approche rageuse dans sa manière de retranscrire les poursuites qui fait plaisir à voir.
Sinon, n’espérez pas déborder de sympathie pour les protagonistes. Ici Nishimura s’abstient de prendre parti pour l’un des protagonistes. Shimao ? Il est évidemment la voie de la raison. Ou plutôt, il incarne la société et son conformisme. Chez lui l’attendent une charmante épouse et un bébé tout mignard. Il est rangé et finalement un brin ennuyeux, comme l’atteste son visage la plupart du temps dénué d’expression.
En comparaison, Miki apparaît plus séduisante. Un peu comme les personnages d’Easy Rider, elle choisit la liberté du bitume. Le souci est que ce choix fait aussi d’elle une criminelle. Sur la portière de sa Toyota, à la manière des pilotes d’avion de la première Guerre Mondiale (à laquelle un panneau fait allusion en ouverture), elle peint une fleur à chaque fois qu’elle a vaincu un adversaire lors d’une joute. Que l’adversaire soit légèrement ou mortellement blessé, elle n’est pas du genre à s’arrêter pour aller le vérifier de ses beaux yeux. Et puis, il y a cette scène où elle invite Shimao à l’accompagner dans un bouiboui rempli de hippies. Là aussi, on est loin de la sympathie que l’on pouvait ressentir envers les personnages de Peter Fonda et de Denis Hopper. C’est un Flower Power un rien moisi que donne à voir Nishimura. Finalement, entre la vie rangée et une contre-culture caricaturale, Miki et ses complices choisissent un style de vie fait de vitesse et de violence, qui annonce l’apogée de la culture des bosozokus durant les 70’s.
Et il n’en ira pas autrement pour Shimao qui (spoil), hésitant entre sa vie pépère et des retrouvailles avec les anciennes sensations quand il était pilote, apparaîtra comme le successeur de Miki qu’il aura fini par vaincre, et tuer, faisant écho à la mort de ce concurrent à Macau. Mais entre causer la mort dans une course officielle et en causer une dans une course parfaitement illégale, il y a bien sûr une différence. Comme Miki, le voilà devenu lui aussi un criminel. On peut se dire qu’il sera arrêté et emprisonné, mais comme la police est étrangement absente du début à la fin, on peut tout aussi bien se dire que le virus a été transmis par Miki et que le « Hairpin Circus » n’a pas fini de faire rage sur les routes tokyoïtes.
7/10