Elden Ring ou le plaisir de crever comme une merde

Autrefois, les jeux vidéo n’offraient qu’un nombre limité de vies à votre personnage. C’était à vous d’exceller pour parvenir à la fin ou de faire en sorte d’en gagner davantage au fil du jeu. Pour les jeux les plus bienveillants, il pouvait y avoir un système de « continue » permettant de repartir avec un nouveau stock de vies, tout en sachant que le continue n’était pas illimité non plus (sauf si l’on jouait sur une borne d’arcade et que l’on jouait avec un stock de pièces conséquent dans le but d’arriver au bout — j’ai connu un ami qui jouait ainsi). Il fallait donc faire preuve de persévérance et de dextérité, le joueur risquant de devoir reprendre tout à zéro en cas de perte de son ultime vie. De manière générale, je crois que l’on peut le formuler ainsi : les jeux d’autrefois demandaient plus d’application, de ténacité que ceux de maintenant. Enfin, ça, c’est si l’on ne prend pas en considération les jeux de From Software, de leurs Souls, de Sekiro ou de leur dernier chef-d’œuvre, Elden Ring et son DLC exigeant, Shadow of the Erdtree, jeu que l’on doit à Hidetaka Miyazaki.

Si l’homme ne donne pas particulièrement l’impression de se fendre la gueule, il veille particulièrement à fendre celle des personnages de ses joueurs.

Et pourtant, voilà un jeu qui propose des vies illimitées, de quoi rendre l’aventure vidéoludique paisible, hein ! C’est en fait tout l’inverse qui se produit, le studio japonais ayant fait de la difficulté (dans tous leurs jeux, inutile de voir si une option permet de la paramétrer, y’en a pas !) la colonne vertébrale de leur esthétique. Ainsi, dans Elden Ring, à tout moment peut apparaître à l’écran en lettres sanglantes la formule « VOUS ÊTES MORT » ou « VOUS AVEZ PÉRI ». C’est un peu vexant, oui, mais deux secondes après, le temps que le jeu se charge à l’endroit d’où vous étiez parti, vous voilà d’attaque pour faire une nouvelle tentative, cette fois-ci en essayant d’éviter de tomber dans un ravin, de vous voir déchiqueté par un hideux piège ou encore d’être empoisonné / brûlé / mangé / perforé / écrasé / découpé / pourfendu (rayez la mention inutile). On peut se dire que la mésaventure va servir de leçon mais en fait, non, ce serait mal connaître l’univers du jeu et ses mécaniques « injustes ». Je mets l’adjectif entre guillemets car c’est un mot qui est repris par certains joueurs, mot qui permet de camoufler finalement soit un manque de chance, soit une incapacité à trouver le moyen de surmonter une difficulté. Et donc, oui, il m’est bien souvent arrivé, alors qu’apparaissait « VOUS ÊTES MORT » pour la dixième fois consécutive dans des catacombes me donnant du fil à retordre, de baisser la tête, les mâchoires crispées, à deux doigts de faire mon Caliméro mais me retenant, me disant que c’était surtout à moi de me sortir les doigts une bonne fois pour toutes. Et pendant que les multiples essais défilaient, les minutes, puis les heures faisaient de même, me plongeant dans un vortex dont je sortais les yeux explosés et parfois au bord de la gerbe.

Plaisir vidéoludique, tu parles !

Et pourtant, au-delà du stress parfois intense que les joutes contre les boss ont suscité, il faut reconnaître que je me suis constitué un incroyable souvenir. Il en va de même pour certaines lectures ou certains films qui vous marquent plus que d’autres. Là, Elden Ring est dans le même panier qu’un Zelda Breath of The Wild, la fantasy lumineuse de la licence de Nintendo étant remplacée par la dark fantasy de Miyazaki. L’univers est sombre, très sombre même, mais qu’est-ce qu’il est beau !

Car quitte à crever comme une merde, autant que ce soit dans un bel univers.

Et cet aspect apparaît finalement comme la bouée de sauvetage au joueur qui, impuissant devant un boss dont il ne voit pas du tout comment il pourrait le vaincre, va explorer pour découvrir de nouveaux endroits, fouiller des bâtiments et trouver de nouvelles armes, de nouveaux talismans (souvent cruciaux), gagner de l’expérience en battant des ennemis plus accessibles, avant de revenir vers le boss avec l’espoir que l’amélioration de ses compétences suffira pour le vaincre. La réalité d’Elden Ring est souvent bien dure : non, ça ne suffira pas forcément et votre personnage repartira derechef la queue entre les jambes pour s’éprouver encore avant de tenter une autre confrontation. Ou plutôt d’autres confrontations, pour ne pas dire une pléthore. Il n’est pas exagéré de dire que l’on peut passer plusieurs heures (se matérialisant en une centaine d’essais) à tenter de l’emporter sur un boss. Les joueurs les plus doués comprennent très vite les mouvements (les « patterns ») de l’adversaire et savent exploiter cette connaissance à leur avantage. Pour les joueurs plus besogneux comme moi, qui peuvent comprendre ces patterns mais qui, dans le feu de l’action, paniquent facilement et peuvent faire n’importe quoi, on ne va pas hésiter à demander l’aide d’un allié rencontré lors de l’aventure, ou à faire une invocation, c’est-à-dire faire venir un esprit guerrier qui permettra un rééquilibrage des forces. « Ce n’est pas loyal », diront les puristes. Mais c’est salvateur pour le joueur qui voudrait avoir une chance d’arriver à la fin. Et cela ne change pas la philosophie du jeu, à savoir faire ressentir au joueur un intense sentiment d’accomplissement (dixit Miyazaki) quand il parvient à vaincre un boss. Hier, j’ai vaincu le boss ultime du DLC (malheureusement une heure après qu’Olrik jr, 18 ans, l’a vaincu — et sans invocation s’il vous plaît ! Le tirage de bourre père/fils a été à mon désavantage dans les dernières heures), avec une invocation donc, eh bien je peux vous dire que cela ne gâche en rien le sentiment de félicité qui m’a inondé lorsque a retenti le petit bruitage faisant comprendre que les derniers pixels de la barre de vie du boss venaient de disparaître. Et je ne dirais pas que l’invocation m’a permis de défoncer aisément l’adversaire puisqu’il m’a fallu plusieurs dizaines de tentatives. Et puis il y a toujours la « la magie du dernier quart ». Quart de quoi ? De la barre de vie du boss. Normalement, dans n’importe quel jeu, ça commence à sentir bon. Dans Elden Ring, non. Le jeu est tellement difficile qu’arriver dans cette zone est chose quasi anormale. Grisé par l’espérance, on a le palpitant qui accélère, les mains transpirent, la manette devient glissante, les doigts déconnent et on commence à déjouer… à moins que n’arrive un improbable enchaînement de coups qui, cruellement (injustement ?), réduisent à néant votre barre de vie alors que vous n’aviez plus qu’un coup à infliger pour gagner. Un grand classique dans Elden Ring.

La farouche beauté qui m’a permis d’aller au bout du DLC. La couronne qu’elle porte en est la preuve ! #paietafiertéd’avoirfinileDLCd’EldenRing

On le devine, on passe par toute une palette d’émotions dans ce jeu et, pour le joueur qui tomberait amoureux de l’aventure proposée par From Software, on n’aimerait pas forcément que la formule change pour les œuvres du studio à venir, notamment en proposant une difficulté moindre. Etonnant paradoxe de jeux où le masochisme est érigé en art de jouer. Dans Elden Ring, on meurt plein de fois, oui, et c’est ça qui est bon !

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