L’appel de Gô Tanabe

Objet lourd tenant bien en main, couverture en simili cuir, illustration de couverture inquiétante et soignée, y’a pas, les mecs chez Ki-oon ont mis le paquet pour leur nouvelle collection consacrée aux chefs-d’œuvre de Lovecraft. Et avec le choix des Montagnes Hallucinées qui couvrira les deux premiers volumes, on se dit que la collection part sur de bons rails. On se demande d’ailleurs si cette collection verra apparaître d’autres auteurs (mais il n’est pas dit qu’il existe beaucoup de mangakas qui se soient essayés à l’adaptation d’œuvres lovecraftienne) ou bien si elle sera uniquement consacrée aux mangas de Gô Tanabe. Le site de Ki-oon semble sous-entendre qu’il s’agira d’une collection qui suivra exclusivement les publications de Tanabe, et c’est une bonne chose, le mangaka ayant déjà publié quatre adaptations (et peut-être qu’un autre titre est en cours de pré-publication au Japon actuellement – à vérifier, je n’ai pu trouver d’infos sur le sujet), et ce avec beaucoup de brio.

Quoi qu’il en soit, pour les amateurs de mangas originaux sortant de l’ordinaire dans la cargaison mensuelle 90% ennuyeuse qui se déverse sur nos étals, ce premier tome des Montagnes Hallucinées est à se procurer de toute urgence, surtout si par-dessus le marché on est amateur du lugubre maître de Providence ou si l’on a goûté la récente série The Terror, adaptation de l’excellent roman de Dan Simons. J’avoue pour ma part avoir pleinement goûté le voyage polaire mis en scène par Tanabe. C’était hier, il était à peu près 23H30. Bien au chaud sous la couette, les écouteurs sur les oreilles histoire d’écouter par la même occasion la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartok, histoire de rendre le voyage graphique encore plus inquiétant et vénéneux, j’ai suivi avec délice cette histoire d’explorateurs scientifiques partis pour l’Antarctique et dont le voyage commence à partir en sucette lorsque l’un des hommes découvre une monstrueuse chaîne de montagnes noires et surtout une grotte où se trouvent de stupéfiants organismes datant d’avant même la création de la Terre. Ça commence dès lors à sentir mauvais et le lecteur aura tôt fait de préparer un jet de santé mentale (les amateurs du jeu de rôles l’Appel de Chthlu comprendront).

Gni ?

Le récit commence habilement par un flash-forward dont la sinistre violence permet au lecteur de prendre patience pendant une bonne centaine de pages. En fait, durant cette longue introduction, il ne se passe pas grand-chose, Tanabe mettant en place dans son récit les préparatifs de l’expédition et son installation à son arrivée en Antarctique. Mais avec les décisions un brin impulsives du professeur Dyer (qui possède dès le début un je ne sais quoi d’inquiétant, comme s’il était déjà sous l’emprise, malgré lui, de l’appel des Grands Anciens), le récit devient passionnant et frustrant en même temps, car à la fin du volume il faut bien se rendre à l’évidence : il faudra attendre quelques mois avant d’avoir dans les pognes un autre tome en simili cuir pour connaître la suite et la fin de l’expédition. Mais ne chouinons pas trop, l’édition française a choisi au moins de ne pas reprendre la japonaise qui se découpait en quatre volumes.

Enfin un mot sur le graphisme de Tanabe. Comment représenter le fantastique de Lovecraft, fantastique qui tout en s’appuyant sur une description très appuyée, cultive en même temps un art de la rapide évocation, les horreurs de ses histoires étant bien souvent liées à la notion d’ « indicible » ? Tanabe fait le choix d’un grand réalisme, choix parfois vertigineux lorsque se livrent sans crier gare sous nos yeux des doubles planches présentant le paysage de ces montagnes hallucinées – et hallucinantes par leur profusions graphique.

Même chose lors de la découverte des créatures ou de celle du charnier (je n’en dis pas plus). Avec à chaque fois le même effet : celui d’une certaine confusion, d’un manque de lisibilité, mais qui n’est pas pour autant un défaut. On s’attarde, on écarquille les yeux sur ces montagnes escarpées sétendant à perte de vue, sur ces créatures dont on ne sait si elles sont d’origine animale ou végétale, sur ces restes de cadavres associant le charnier à un puzzle graphique très confus. Rien ne nous est caché et pourtant, oui, on est bien face à une sensation d’indicible, ou plutôt d’irreprésentable auquel l’imagination, comme devant une page de Lovecraft, suppléera pour donner la pleine mesure de l’horreur décrite. En soit ces Montagnes hallucinées illustrées par Go Tanabe constitues une véritable expérience de lecture, et une pure réussite dans la mesure où l’univers de Lovecraft a toujours la réputation d’être quasi impossible à adapter.

Petite preview du début du tome 1 :

Lien pour marque-pages : Permaliens.

4 Commentaires

  1. Comment ne pas laisser un commentaire lorsqu’un « investigateur » présente une rencontre entre Lovecraft et l’œuvre graphique… Je suis clairement impressionné par les extraits présentés ici, d’autant qu’il est si ardu de s’attaquer au maître de la terreur. Encore félicitations amicales pour ce site et cet article. J’espère bien faire l’acquisition de cet objet lors de notre rencontre annuelle à Angoulême!!

    • Tu pourras même t’acheter le deuxième volume, en espérant qu’il soit alors dispo. Hey ! Avec de la chance y’aura peut-être Chtulhu pour le dédicacer ! Il paraît que le gars est sympa…
      null

      • Le père Noël, ami intime de l’indicible Cthulhu, a déposé le précieux volume au pied du sapin ; j’espère dénicher la suite sur Angoulême. Je prépare mon jet de santé mentale pour la fameuse dédicace du Grand Ancien.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.